60 - Dame Kina (1/2)

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 Ewa et Yuling suivirent les deux garçons dans les couloirs. Elles croisèrent en chemin plusieurs têtes qu'elles commençaient à reconnaitre, à force de les croiser dans l'enceinte des murs. Yùn s'était posé à l'écart de la salle d'éthique, avec son groupe d'amis ; deux garçons et deux filles. Elle reconnut Erin, plutôt douée, à laquelle elle s'était confrontée dans la forêt, ainsi que Mina, qui s'était distinguée au même titre qu'elle et Solrik au cours de la première épreuve. Que pouvaient-elles bien trouver à un gars dans son genre ?

 Son regard glissa vers le dos de Solrik ; ses cheveux parfaitement relevés dénudaient sa nuque. Il avait la peau si claire qu'elle se demandait ce qu'il avait bien pu faire toutes ces années.

 Une chose est sûre, il n'a pas traîné dans les champs...

 Pour autant, il était doué de ses mains. Et il connaissait les préceptes de la magie ; elle l'avait vu s'en servir, même si avec le recul elle commençait à en douter. Elle n'avait jamais entendu parler d'un pouvoir comme le sien.

 En contraste, Kön semblait tout droit sorti d'un champ de blé. Sa peau dorée appelait l'été et la douceur du soleil. Ses cheveux semblaient capter la moindre parcelle de lumière. Il arborait une beauté à la fois naturelle et féérique qui attirait le regard, si bien qu'elle était persuadée que nul ne restait insensible à ses charmes.

 Qu'importe Yùn, elle s'était entourée des meilleures pour la bonne cause : elle ne souhaitait pas renouveler l'épisode de la forêt. Elle espérait seulement que les cours de combat ne tourneraient pas au règlement de compte car elle avait vu ce dont le garçon était capable et elle ne voulait plus se mesurer à lui. Mais si elle y était forcée, elle serait prête.

 Un soupçon de curiosité caressa son esprit à ses mots. Fei s'était réveillée en captant le flot de ses pensées et des ondes réconfortantes la détendirent dans les secondes qui suivirent ; malgré sa petite taille, elle n'était pas du genre à se laisser faire, encore moins quand il s'agissait de protéger sa maîtresse. Un grondement sourd roula dans son cœur : elles étaient liées, peu importe le danger.

 Lorsqu'un le chant des dragons retentit indiquant le début du cours, les apprentis qui s'étaient amassés devant la salle prirent place. La pièce était organisée en arc-de-cercle tel un amphithéâtre de sorte que les rangers du fond, surélevées, pussent apercevoir correctement l'estrade au premier rang. Comme à son habitude, Yuling avisa une place près de la fenêtre. Elle avait au moins la chance de ne pas être accompagnée de sa dragonne qui avait préféré rester dans la chambre, contrairement à d'autres qui avaient ramené le leur et qui peinaient à se faire obéir.

 Ewa prit place à ses côtés, tandis que Solrik et Kön s'installaient une rangée derrière. Un certain enthousiasme flottait dans la salle ; aussi ennuyeux que leur avait été annoncé ce cours, la plupart des apprentis n'en restaient pas moins curieux. D'ailleurs, ils n'étaient pas les seuls ; une odeur particulière planait dans l'air. Immédiatement, l'esprit de Fei se porta sur les effluves et la jeune fille tourna la tête en réalisant que sa dragonne avait vu juste : à trois pied d'elle à peine, Sky l'observait fixement, la bouche entrouverte. Un bref regard à son maître lui permit de réaliser que Solrik la dévisageait, un brin gêné. D'ailleurs il détourna les yeux et Yuling aussi. Elle se sentit presque coupable de l'avoir observé à son insu dans le couloir.

 La porte claqua alors vivement et tout l'amphithéâtre amorça la surprise. Une vague de murmures s'éleva : un Maître d'une cinquantaine d'année, les traits tirés, les cheveux courts soigneusement peignés, pénétra dans la salle. Il portait la traditionnelle combinaison de cuir des Maîtres de la Dragonnerie et posa machinalement la liasse de parchemins qu'il tenait sur le bureau. Les bavardages cessèrent.

 – Cours d’éthique. Le premier pour la plupart d’entre vous. Le plus important, pour ce qui est du reste. Aujourd’hui, nous allons étudier les bases du parfait petit Héros. J’ai pour habitude de ne pas répéter et de requérir le silence absolu, pour des raisons que vous comprendrez sans tarder. J'attends de vous que vous soyez investis et que vous fassiez preuve de sérieux. Est-ce que c'est compris ?

 A peine un murmure d'approbation perça le silence qui s'était installé dans l'amphi. Il disposait d'une autorité naturelle, c'était indéniable.

 – A commencer par un discours bien rodé que vous avez sûrement déjà entendu plus d'une fois depuis votre arrivée à la Dragonnerie, je parle bien sûr du lien. Si je prends le temps d'évoquer ce sujet avec vous aujourd'hui, c'est parce qu'il est bien sûr primordial. Bien plus que vous ne pouvez l'imaginer, d'ailleurs. Le lien, c'est la base de toute relation avec un dragon ; on vous l'a sûrement présenté comme quelque chose d'indéfectible qui une fois créé ne peut se briser, en réalité, ce n'est pas tout à fait vrai. Il arrive qu'un lien se rompe, le plus souvent parce que celui-ci s'est terni, notamment quand maître et dragon ne sont plus en adéquation. Quand cela se produit, la situation devient extrêmement dangereuse, non seulement pour le maître, mais également pour tous ceux qui ont le malheur de se trouver dans les parages. C'est pour ça que nous dispensons des cours d'éthique. L'éthique d'un Héros, d'un apprenti Héros, se doit d'être irréprochable. Non seulement envers ses pairs, mais plus encore à l'égard de son dragon. Il y a des choses que l'on peut faire, et d'autres que l'on ne peut tout simplement pas faire.

 Yuling se souvenait de la mise en garde d'Ella les premiers jours : la jeune femme avait évoqué avec elle l'importance du lien ; et plus celui-ci venait à se renforcer, plus Yuling comprenait pourquoi elle avait insisté sur ce point. Rompre cette attache qui l'unissait à Fei lui arracherait le cœur, elle le savait.

 – Dans le milieu des dragonniers, on utilise un terme bien spécifique pour désigner l'état du lien : on parle de synchronisation. Ce qui signifie en d'autres termes que le lien représente l'imbrication des deux esprits, l'un par rapport à l'autre. Plus ceux-ci s'accordent, plus la communication devient efficace : elle gagne en rapidité et en précision. A l'inverse, plus les deux esprits entrent en conflit et tendent à se dissocier, et plus la communication s'altère. Elle s'effrite, jusqu'à parfois même disparaitre. Or, un tel lien ne peut s'éteindre sans laisser de séquelles. D'où l'importance des cinq lois d'éthique que je vais mentionner, qui tendent à maintenir la relation la plus saine possible avec son dragon : en premier lieu, on ne maltraite jamais son dragon.

 Des rires fusèrent devant l'évidence énoncée. Le Maître fixa sévèrement l'auditoire qui se tut.

 – J'entends déjà ce que vous vous dites : qui frapperait son dragon ? Il faut être fou, et vous avez raison, mais parfois l'évidence se perd de vue en fonction du contexte et des épreuves que vous allez être amenés à traverser. D'autant qu'on pourrait disserter des heures sur ce que l'on entend par le terme "maltraitance". Ne pas nourrir son dragon plusieurs jours d'affilée pendant les missions ne peut-il pas être considéré comme une forme de maltraitance ? Encore faut-il trouver une vache, ce qui n'est pas toujours évident dans les déserts arides de l'ouest... Oubliez ce que vous croyez savoir avec la certitude, personne n'est à l'abris. Deuxième règle : on s'assure que personne ne touche son dragon. Du moins tant que la relation n'est pas pleinement installée. Pas la peine de vous faire un dessin, j'imagine que vous vous doutez pourquoi. Troisième précepte, qui aurait dû être le premier : la synchronisation prime sur le reste. Dès ce jour et pour toutes les raisons énoncées plus tôt, elle devient votre priorité. Nous comptons sur votre sens du devoir et des responsabilités car oui, il en va de votre responsabilité d'assumer ce rôle qui devient le vôtre ; à l'intérieur de ces murs, vous êtes élèves, vous êtes Maître, vous êtes responsable. Dès lors que vous franchissez ces murs, vous représentez le Royaume. Vous obéissez, vous êtes droit, et aucun reproche n'est formulé à votre encontre. Suis-je clair ? Enfin, vous répondez au devoir qui vous anime envers la couronne et à ce titre, nous demandons une neutralité exemplaire ; vous ne prendrez le parti d'aucun mouvement politique ni ne formulerez vos opinions en publics. Elles vous appartiennent, mais tant que vous volez sous l'Ordre, vous répondez de la seule autorité du...

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