62 - Déluge (à réécrire)
– A droite ! De l'autre côté ! hurla Yuling qui aurait donné cher pour que la pluie cesse.
Fei courait dans tous les sens. La dragonne n'avait que peu connu la pluie depuis son éclosion, et à en déduire par l'état euphorique dans lequel elle était plongée, elle adorait ça. Les gouttes frappaient le sol en une mélodie unique que Yuling entendait dans son esprit, ce qui la rendait dingue !
Fei n'avait que peu grandi ces dernières semaines. Stream qui avait vu sa croissance tripler, devenait de plus en plus svelte. Ses membres s'allongeaient, sa tête s'affinait. Une légère collerette commençait à auréoler son cou d'une coupole d'or. Le plus impressionnant n'en restait pas moins les griffes et les crocs qui, chez tous les dragons, semblaient pousser comme un bambou après les fortes intempéries de printemps. X, le dragon de Kön, avait vu doubler sa masse initiale. Ses écailles viraient au rouge profond à mesure que son Maître adaptait son régime alimentaire, sur les conseils de Maître Sylga, en y introduisant des crevettes. Mais le plus impressionnant restait Sky. Il était évident qu'un tel dragon était né pour combattre. A chaque fois qu'elle le croisait, elle ne manquait pas remarquer les changements qui s'opéraient : ses muscles se développaient, ses articulations s'épaississaient. Ses écailles étaient devenue aussi dures que de l'acier, et ses ailes aussi semblaient pousser plus vite que chez les autres dragons. Il ne tarderait pas à s'envoler. A contrario, Fei n'avait que peu évolué. Elle n'avait pas son pareil en énergie mais elle ne grandissait pas, ce qui commençait à questionner la jeune fille sur ses capacités à devenir un bon Maître. Qu'avait-elle omis ? Qu'avait-elle fait de différent qui entrave la croissance de sa dragonne ?
Dame Calwaën était venue les réveiller tôt ; les apprenties avaient été conviés sur le terrain d'entrainement pour un exercice commun. L'heure, pour Yuling et Ewa, de mettre en application ce que leur avait appris la jeune femme. Mais le temps s'était rapidement gâté, et ce qui n'avait été tout d'abord qu'une fine bruine s'était rapidement transformé en véritable déluge. Des verses de pluie déferlaient dans la vallée, inondant les champs aux abords de la Dragonnerie.
Complètement trempée, Yuling tenta de reprendre le contrôle sur sa dragonne qui ne l'écoutait plus.
– Essaie de penser à quelque chose de plus consistant, cria une voix dans son dos.
Solrik l'avait rejoint. Paniquée, Yuling tenta de garder son sang froid en sachant pertinemment que la moitié des apprentis l'observaient à l'abri et devaient bien rigoler.
Le garçon suivit son regard puis fronça les sourcils.
– Ne pense pas à eux, concentre-toi !
Il était de bonne intention, mais il aggravait sa situation. Non seulement elle culpabilisait de le savoir trempé à cause d'elle, mais en plus, comme elle ne parvenait pas à appliquer ses conseils. Plus aucun des apprentis ne la respectait.
Elle jeta un regard dans sa direction et eu pitié de lui : ses cheveux étaient trempés. Des goutte dégoulinaient sur son visage et il avait l'air furieux. Il fallait dire que même sa tunique était foutue. Le tissu collait à sa peau, dévoilant à travers le tissu des muscles bien dessinés.
– Mais bon sang, concentre-toi ! hurla-t-il.
Son estomac se retourna : elle se sentait mal pour lui, mal de le faire passer pour un idiot. Et elle en avait marre du froid, marre de sentir ses vêtements spongieux lui coller à la peau. Marre que sa dragonne n'écoute rien. Marre d'entendre ce fracas en continue dans sa tête sans pouvoir le stopper.
Dans un ultime effort, elle finit par pousser un cri de rage. Ce fut précisément à ce moment que sa dragonnette choisit de la rejoindre, la faisant passer pour une idiote. C'en était trop. Elle était fâchée après Fei.
Plus de câlins dans le lit, lâcha-t-elle. Comme tu sembles n'aimer que la pluie, tu n'as qu'à dormir dehors.
Sa dragonne grogna, mais elle n'en avait que faire. Elle venait de passer la matinée à reprendre son souffle sous le déluge qui l'avait trempée jusqu'aux os. Les humains n'avaient pas d'écailles, contrairement aux dragons. Et même si Fei n'en avait pas non plus, se retrouver mouillée ne semblait pas la déranger.
Sans un regard pour l'attroupement qui la regardait quitter la piste d'entrainement, elle regagna la Dragonnerie pour le tests de magie. Solrik ne vint pas la trouver, probablement agacé du temps qu'il venait de perdre avec elle, et elle le comprenait.
– Ca va finir par passer, lança une voix qu'elle aurait reconnu entre toutes.
Kön venait de la rejoindre et tentait de la raisonner.
– Comment est-ce que ça pourrait passer quand elle n'en fait qu'à sa tête !
– Ce n'était juste pas votre jour...
– Comme toute la semaine qui vient de s'écouler, et celle d'avant aussi.
Yuling serra les poings. On avait beau leur dire de garder leur calme, c'était plus simple à dire qu'à faire. Fei lui mettait les nerfs en pelotes, elle n'en avait tout simplement rien à faire de son existence. Elle prenait toute la place dans son cerveau, à telle point que Yuling n'avait même plus l'énergie de penser pour elle. Quant à se reposer... Ce mot n'existait pas au sain de ces murs.
– Tu ne devrais pas aller au test dans cet état, lui suggéra le garçon.
Elle soupira, agacée, et finit par s'arrêter pour lui tenir tête.
– Est-ce que tu crois que j'ai le choix ? Est-ce qu'on a seulement notre mot à dire ici ? Depuis que je suis arrivée, c'est seulement "fais ci, fais ça", parce que j'ai un dragon blanc et qu'il faut que je le protège, que je nous protège, que j'apprenne et que je devienne un Maître en moins de temps qu'il n'en faut à la foudre pour griller de neurones ce qu'il reste à mon dragon ! C'est facile à dire quand on a un dragon qui obéit au doigt et à l'œil ! rétorqua-t-elle. Tu veux le dragon blanc ? tu n'as qu'à le prendre ! Je te le donne !
Le garçon afficha une mine stupéfaite et sembla en perdre ses mots. Elle regretta instantanément ses mots en sentant son cœur se serrer. Fei s'était brusquement mise en retrait, comme si elle essayait de se faire toute petite. Après tout, c'était bien fait pour elle. Elle avait pris trop de place ces derniers temps.
Elle poussa un long soupire et gagna le Volarium, où se déroulaient les tests de magie, plantant le garçon sur place.
Encore un problème qui m'attend, songea-t-elle.
Le dernier qu'elle avait passé n'avait pas été concluant. En même temps, elle ne s'était jamais posée la question de savoir si elle avait quelque affinité en la matière. Elle avait découvert ses pouvoirs le jour de l'évaluation d'entrée, un peu surprise. Mais pas la moindre flamme, pas la moindre goutte d'eau n'était née par la force de son esprit depuis.
Elle franchit le seuil de la porte sans grande conviction et alla rejoindre le groupe d'apprentis qui attendait sur les gradins. Ewa, d'un naturel enthousiasme, vint aussitôt se caler à côté d'elle.
– Alors ? demanda-t-elle les yeux remplis d'espoir.
Elle savait ce qu'allait demander la jeune fille. Elle en parlaient depuis des soirs, essayant de trouver des solutions dans leur chambre quand Dame Calwaën leur permettait enfin de souffler deux minutes. C'est à dire trop rarement.
Alors rien. Fei ne s'était pas plus concentrée qu'à l'accoutumée. Elle était certes chargée de la protéger, mais plus le temps passait, et plus elle se demandait comment protéger un dragon de lui-même. Elle commençait même à s'en faire une raison. Peut-être que c'était leur destin, de finir aux mains d'une personne malveillante, à souffrir atrocement. Plus le temps passait et plus l'avenir qu'elle s'était imaginé pour elle s'assombrissait.
La jeune fille baissa la tête, laissant comprendre à son amie qu'elle ne souhaitait pas en parler. Ewa posa la main sur sa cuisse, apportant là un soutien silencieux. Au moins quelqu'un comprenait.
– Tous les dragons sont différents, murmura-t-elle discrètement. Le tien a peut-être besoin de plus de temps.
Peut-être que moi aussi... songea-t-elle, emplie au doute.
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