Le Sanctuaire
Éléanore marchait à pas lent sur le tapis végétal, mélange de feuilles, de fougères, d'herbes grasses et d'humus. L'atmosphère se prêtait aux légendes et aux créatures tapis dans les ténèbres. La lune, en cette nuit hors du commun, faisait briller la forêt d'une lueur rouge. Les feuilles semblaient tachées de sang et les troncs d'arbres, dégouliner du même liquide.
La jeune femme, uniquement vêtue d'une robe blanche et de modeste sandales, était plus qu'épuisée. Cela faisait maintenant trois jours qu'elle avait entrepris son pèlerinage avec pour seul bagage, un petit sac en toile contenant les pierres pour le rituel qu'elle entamerait une fois arrivée au sanctuaire et les outils rudimentaires qu'elle s'était fabriqué en chemin. La nourriture qu'elle avait consommée jusqu'ici, elle l'avait soit cueillie ou chassé, mais aujourd'hui elle ne s'était encore rien mis sous la dent. Éléanore avait pénétré sur le territoire sacré tôt ce matin et y prélever ne serait-ce qu'une fleur la condamnerait, dit-on, à une terrible malédiction. Il en était d'ailleurs ainsi pour toute offense faite à l'Esprit.
Chaque pas lui semblait plus lourd que le dernier, la menant plus proche de l'effondrement ; et ses paupières ne demandaient qu'à se fermer. Jamais elle n'avait vécu pareille épreuve, mais elle refusait de s'arrêter si prêt du but. Plus elle approchait et plus elle sentait qu'on l'appelait, elle avait attendu ce moment toute sa vie. Encore quelques minutes et elle pourrait reprendre des forces et rentrer chez-elle triomphante, avec la preuve pour tout le monde qu'elle valait plus que ce qu'ils le croyaient. Une fois qu'Éléanore aurait parlé à l'Esprit, elle ferait partie à part entière de sa communauté.
Après un moment qui lui sembla une éternité, elle apperçu enfin le sanctuaire au mileu des branches basses. En les écartants et en s'approchant un peu, la jeune femme découvrit un arbre immense trônant au milieu d'une clairière. Son tronc était large comme dix arbres plus petits et ses racines entraient et sortaient de la terre comme de gros serpents, formant un entrelac étrange à l'intérieur du petit espace découvert. Ses feuilles étaient blanches comme du quartz et leur couleur contrastait vivement avec l'éclat rouge ambient du reste de la forêt. Au pied de l'arbre centenaire, se trouvait une cavité assez grande pour s'asseoir à l'intérieur. Tremblante, fébrile, Éléanore s'avança vers elle. La sueur perlait sur son front alors qu'elle sorti les pierres de son sac. Chacune d'entre elles était unique et il n'y en avait pas d'autres semblable au monde. Il s'agissait de pierres d'âmes.
On les appelaient ainsi, car elles étaient formées au cours d'un autre rituel très important. Elles représentaient par une couleur et une texture différente, chaque côté de la personnalité de celui qui les détenaient. Ce soir, elles allaient enfin trouver toute leur utilité et serviraient d'indicateurs.
Éléanore plaça avec nervosité chaque pierres à une extrémité de la cavité et s'assit en tailleur juste devant. Elle prit alors une grande inspiration et commença. Elle fit le vide dans son esprit, se débarrassa de toute pensée, puis les paroles vinrent d'elles-mêmes. Elles n'étaient d'abord qu'un murmure, mais à mesure qu'elles s'imposaient à la jeune femme, elles devinrent plus claire et sans réfléchir, elle les prononça haut et fort dans la nuit. Les incantations n'appartenaient non pas à une langue ancienne, mais à un dialecte totalement inconnu et qui ne se voyait parlé qu'à très peu de moments et par très peu de personnes. Chaque mots sortant de sa bouche semblait envahir tout son être avant d'être libéré autour d'elle.
Bientôt, ce fut comme si le corps d'Éléanore ne lui appartenait plus, elle se sentit basculer et sombrer dans la demi-conscience. Ses membres lui semblaient tout à coup bouger d'une étrange façon, mais elle ne ressentait aucune douleur. Elle se sentit ensuite ramollir, puis être attiré vers le bas. C'était une impression fort désagréable, comme si elle était constamment au bord de l'évanouissement. La jeune femme comprit qu'elle n'avait plus aucun contrôle sur ce qui était en train de lui arriver. Bien qu'on l'eut prévenue maintes fois de ces évènements et qu'on lui eut dit que c'était tout à fait normal, Éléanore aurait voulu hurler, mais rien n'arrivait plus à sortir de ses lèvres,
Ce moment qui ne dura en réalité à peine plus d'une minute, lui parut comme un long supplice, puis tout s'arrêta. Reprenant son calme, La jeune femme se redressa lentement. La première chose qu'elle remarqua fut à quel point le monde autour d'elle semblait avoir grandi. La cavité au centre de l'arbre était maintenant aussi haute que les portes d'une cathédrale et ses racines n'étaient plus seulement de gros serpents, mais d'immenses dragons prêts à l'entraîner dans les entrailles sombres de la terre. L'inquiétude la saisi. Mais qu'était-elle devenu ? En quoi l'Esprit avait-il choisi de la transformer ? Peu après, Éléanore vit une lumière aveuglante grandir au milieu de l'arbre. Appeurée, elle recula de quelques pas. L'apparition descendit à la hauteur d'Éléanor qui retint son souffle. Ça y était, le moment qu'elle attendait, celui où elle entrerait en contact avec l'Esprit, celui où elle connaîtrait l'animal en lequel elle pourrait se métamorphoser, mais à ce moment précis, la jeune femme n'était plus certaine de vouloir le savoir...
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