Les dernières notes du bonheur (partie 1)

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.16 juin 2164.

L'ambiance, pour une fois, était plutôt détendue, dans la cour du bâtiment 14. Les détenus restaient chacun dans leur coin, en bande ou en solitaire, et se toisaient avec mépris, mais aucune bagarre n'avait éclaté depuis plus d'une heure, au grand bonheur des surveillants, qui, depuis plus de cinq heures, avaient pris leur service en haut du balcon de surveillance. Les regards se tournaient notamment vers Breaker, de son vrai nom Anthony Zeiguel, surnommé ainsi après avoir brisé les deux jambes d'un des prisonniers qui lui avait subtilisé les quelques biscuits auxquels chaque détenu avait le droit, en fin d'après-midi. Breaker était le plus redouté de tous, avec son mètre quatre-vingt dix et ses tatouages provoquants, son crâne chauve marqué à vie de traces de rasoir, ses muscles hypertrophiés, et son passé de criminel chargé. Arrêté dix fois pour meurtres, vols, braquages, viols de règles, et pour un attentat, il encourait la perpétuité, ainsi que l'isolement cinq jours par semaine. Les rares fois où il partageait les mêmes lieux que les autres prisonniers, il était placé sous une surveillance rigoureuse, et avait des horaires très stricts, qu'il devait respecter sous peine d'isolement plus ferme, ce qui comprenait : lavage à la lance à eau à jet puissant, nourriture maigre ou périmée, tortures plus ou moins intenses, et d'autres passages réjouissants.

En effet, si Breaker était aussi surveillé et encourait un tel traitement, c'était car il s'était rendu l'un des ennemis publiques de Mhon Zarok, empereur dictateur d'Américonova. Tous ces assauts étaient d'une manière ou d'une autre contre lui. Comme la fois où le colosse avait passé à tabac l'un des associés du dirigeant, ou celle où il avait fait exploser une bombe à rayons perceurs - un explosif rare et fabriqué en très petite quantité, habituellement utilisée par la police de Zarok en cas de gros déploiement, et vendue à un prix exorbitant sur le marché noir - dans un bunker de l'Ekla, causant la mort de neuf officiers et de la destruction des trois machines intelligentes de classe A présentent dans l'abri blindé. Le dixième militaire présent était décédé dans un hôpital de l'Ekla de ses blessures, profondes et meurtrières. En voilà donc un peu plus sur le terrible passé de Breaker.

La perpétuité... Jamais le puissant skinhead n'avait eut l'intention de rester croupir dans ce maudit pénitencier haute-sécurité de l'Ekla pour le reste de sa vie. Un projet d'évasion circulait en ce moment même parmi les détenus, et Breaker avait bien l'intention d'y participer. Seulement voilà, comme chaque prisonnier savait pertinemment que la surveillance était triplée lorsqu'Anthony était parmi les autres, il n'avait jamais été question de s'échapper de la prison de Deviation un mercredi ou un samedi, les jours où Breaker était de sortie. Ce qui lui déplaisait fortement, car, comme tous ceux placés en isolement, il le savait : on ne s'échappe PAS, d'une cellule IS. Alors, tandis que les autres discutaient à une distance respectable de lui, il réfléchissait à comment il allait pouvoir quitter ce trou sale et hautement sécurisé. Il fallait s'évader un jour où il était de sortie, de toute façon. Mais même s'il faisait mine d'aller aux sanitaires, il serait accompagné par trois ou quatre policiers de l'Ekla portant des armures et des armes paralysantes qui auraient raison de lui en quelques secondes. Et, bien sûr, chaque officier portait à sa ceinture un dispositif d'alarme en temps réel, connecté au système de contrôle de la prison, qui enverrait immédiatement un plus important détachement à leur secours.

Il faudrait donc être précis, rapide, et réussir à tromper les gardes. Breaker concoctait un plan depuis plusieurs mois, déjà un plan. Un plan que sa tête de gorille n'aurait jamais put imaginer si cela ne faisait pas cinq ans qu'il était à Deviation.

Premièrement, il ne fallait sous aucun prétexte en parler aux autres détenus, qui n'avaient aucune envie de savoir le colosse en liberté dans la région. De plus, certains d'entre eux étaient assez stupides pour prévenir les gardes, qui auraient immédiatement mis fin aux espoirs du prisonnier. Deuxièmement, il fallait absolument ne pas faire rappliquer toute une patrouille de policiers de l'Ekla. Leurs armes neutraliseraient Breaker avant même qu'il n'ait pu faire un pas. Troisièmement, garder en tête que chaque détenu avait un tempérament fort combatif, développé au bout de une à deux années d'emprisonnement à Deviation. Le bloc 14 était réputé pour être un des moins insalubres, mais un des plus dangereux, compte tenu du type de prisonnier qui s'y trouvait. Enfin, dernièrement, mettre uniquement Skeleton sur le coup.

Skeleton, de son vrai nom Rudy, était d'une apparence - comme son surnom l'indiquait - squelettique. Il aurait dut être tabassé par tous les autres dès son premier jour derrière les barreaux, seulement, il était d'une intelligence incroyable, son quotient intellectuel devait bien dépasser les 150, et il avait réussi à monter les détenus les uns contre les autres, et à en choisir une dizaine comme ses gardes du corps privés. Seulement, Skeleton et Breaker ne s'adressaient que très rarement la parole, car aucun des deux n'avaient de point commun. D'un côté, un manipulateur sanguinaire, de l'autre, un rebelle brutal. Skeleton avait était incarcéré à la perpétuité pour avoir tué plus d'un millier de policiers, de civils, et détruit une centaine de machines intelligentes dans le centre-ville de la cité de Highsky, activant plusieurs bombes à des points stratégiques, faisant s'écrouler quatre gratte-ciel en x sur les passants paniqués, qui moururent presque tous dans l'attentat. Skeleton s'est protégé avec tout l'argent et les avocats dont il disposait, mais, malheureusement, il avait tout de même été condamné. Selon beaucoup de prisonniers, il avait échappé à la peine de mort de justesse.

Pour sortir de la prison, Breaker n'avait pas vraiment besoin d'un plan de la part de Skeleton - ce que le détenu aux cheveux noirs refuserait catégoriquement, de toute manière -, il avait besoin de créer une émeute, quelque chose qui distrairait les gardes et les surveillants le temps qu'il se rende aux toilettes, et emprunte le couloir d'aération. Le couloir en question était bien trop petit pour le faire passer, mais c'était le point le plus proche d'une antenne radioélectrique, et dans le conduit était caché un dispositif raccommodé de signal de détresse. Breaker avait passé des mois à la bricoler, lorsqu'il était aux toilettes. Il l'avait toujours caché au même endroit, là où personne ne viendrait le chercher, et aujourd'hui se présentait l'occasion de passer un appel à la Brèche, la planque secrète des rebelles, située sous terre, mais disposant de capteurs à haute puissance et, grâce à un bricolage illégal, indétectables des autorités de Mhon Zarok. Voilà ce qu'il allait faire.

Restait à convaincre Skeleton de créer un bagarre assez violente pour occuper les gardes une à deux minutes, le temps d'envoyer le signal de secours à la Brèche. Ce n'était pas une mince affaire, que de convaincre quelqu'un de bien plus intelligent que soi, mais Breaker avait la rage et la détermination en lui, et il devait absolument tenter sa chance. La Brèche pourrait ensuite organiser son évasion, et il serait libre.

Il prit son courage à deux mains, et s'avança en direction du détenu, adossé contre un mur à l'ombre d'un préau, entouré de six de ses gardes du corps. Cependant, Breaker étant le plus redouté, seul l'un d'entre eux osa se dresser devant lui.

— Ecarte-toi, minus, gronda le colosse de trente-et-un ans. Affaire de grands.

— C'est toi qui va dégager, bouffeur de merde, répliqua l'autre, visiblement intimidé mais entêté à protéger celui qui l'avait manipulé. Skeleton n'a pas demandé à te voir.

Breaker émit un petit rictus guttural, et écarta le prisonnier d'une main musclée, puis s'avança vers l'homme maigrichon aux cheveux noirs d'une saleté repoussante, qui retirait méticuleusement la terre coincée sous ses ongles longs et pointus.

— Je ne pensais pas voir notre casseur de rotules préféré ici, en cette somptueuse journée au ciel dégagé, déclara-t-il sans lever la tête, d'une voix narquoise. Que nous vaut cet honneur ?

— Je préfèrerais que cette discussion soit un peu plus privée, grogna le skinhead en jetant un regard meurtrier aux gardes du corps de Skeleton.

Ce dernier pianota un instant de ses ongles crochus sur son pantalon de treillis imposé en uniforme minimal à tous les détenus, puis s'exclama.

— Allez voir ailleurs, vous tous ! Je dois m'entretenir avec mon très cher ami de longue date insoupçonné.

Breaker détestait le timbre de la voix de Skeleton. Chaque phrase l'énervait au plus haut point, et une rage inconnue bouillonnait dans son esprit, ses poings serrés prêts à frapper. C'est ce qu'il aurait fait à n'importe quelle autre personne. Mais Skeleton disposait d'une garde rapprochée d'hommes totalement corrompus à ses mensonges, et le prisonnier tout en muscles avait besoin de lui. Du moins, pour le moment.

Une fois les prisonniers aux muscles hypertrophiés partis un peu plus loin - sans pour autant lâcher leur dirigeant des yeux -, l'homme maigrichon aux longs cheveux noirs et sales se tourna vers le colosse, et son visage s'illumina d'un grand sourire, révélant une dentition répugnante, comportant un nombre incalculable de dents jaunies ou noires, ainsi qu'une canine d'or.

— Alors, Breakfast, je t'en prie, qu'est-ce qui ne va pas ? Tu sais que tu peux tout dire à Tonton Skeleton...

— Epargne-moi tes remarques inutiles, le maigre, pour que j'en vienne au fait. Je veux que tu déclenches une émeute, avec des armes blanches improvisées, du lourd.

— Pour que tu les tabasses tous et montre une nouvelle fois que tu as des gros bras ? l'interrompit Skeleton. Non, tu n'es pas aussi bourrin que ça, j'imagine... Non, tu veux attirer l'attention des gardes autre part que sur toi, et te laisser du temps pour t'évader... Mais il y a des caméras et des surveillants de l'Ekla partout, alors tu as forcément autre chose en tête. Un réglage manuel sur ton plan que tu veux accomplir en toute tranquillité ? Un contact avec qui seul les dieux le savent tu parviendrais à communiquer ?

— Cesse ce petit jeu, et aide-moi, gronda Breaker.

— Je te pensais plus bête que ça, mais ça me fait plaisir de voir que ton QI s'élève au moins à plus de trente, ricana le détenu aux cheveux de jais. Personne n'a envie de croupir dans un bâtiment comme Deviation pour le restant de sa vie, mon petit briseur de tibias, autant toi que moi. Tu as l'air d'être sur un coup final, mon ami, et j'ai déjà eut vent des rumeurs qui veulent d'exclure de l'évasion de groupe. Des imbéciles qui n'ont même pas songé à solliciter mon aide, à la différence de toi. Au meilleur, ils seront tous placés en isolement pendant une à deux semaines pour tentative d'évasion. Au pire, la majorité d'entre eux seront condamnés à mort pour non respect des règles de détention, et bien sûr, attaque au personnel de l'Ekla, des trucs comme ça. Je n'ai aucune envie de risquer ma peau, mon cher. Alors si, comme l'indique cet étrange appareil que j'ai trouvé dans le conduit d'aération des sanitaires, mais que je n'ai évidemment pas touché, tu as bel et bien un allié extérieur à contacter, je peux t'aider, mais à une condition.

— Laquelle ? demanda Breaker, soulagé que Skeleton ait accepté sa demande.

— Je viens avec toi.

L'autre manqua de s'étrangler.

— Nous sommes les deux personnes les plus surveillées du 14, le squelette, ce sera l'évasion la moins discrète de l'univers !

— Tu oublies que tu pars avec le détenu le plus intelligent d'Américonova, mon frère.

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