Chapitre 5 - Surprise !
Tout d’abord j’entends leur voix, puis le bruit de leurs pas. Ce réveil en fanfare me surprend autant qu’il m’affole et la terreur s’empare une nouvelle fois de moi.
Je m’efforce de trier les informations : cet endroit est donc encore occupé, ce qui explique l’électricité. L’absence de discrétion de ces gens m'indique qu’ils se croient seuls, pourvu que cela dure !
Puis les questions désagréables m’assaillent : qui sont-ils ? Que font-ils là ? Combien de temps vont-ils rester ?
En effet, je doute à présent de pouvoir m’échapper à leur insu, je ne connais pas assez les lieux.
Ils s’éloignent, mon coeur se calme un peu, reste cette angoisse lancinante que je connais si bien…
Je dois agir vite, je replie la couverture, prends mes affaires et sors avec regret de ce cagibi. L’odeur de café me guide, continuant d’avancer je me cache derrière une porte entr’ouverte juste à côté du ‘restaurant’ afin d’écouter.
- “Ecoute Ben, j’ai besoin de ma marchandise, tu devais me l’apporter hier soir au bar. Or non seulement tu n’es pas venu mais en plus tu ne m’as pas prévenu. Ça t'aurait écorché la bouche de m’appeler ? Tu sais qui sont les gars avec qui je travaille ? Eux, ils se fichent des explications, si on ne respecte pas les accords, ils tirent d’abord et discutent ensuite ! Je tiens à ma peau moi !”
- “Désolé mec, difficile d’appeler des urgences surtout avec ma mère à côté. Je te donnerai la came dès qu’on aura fini, mais tu sais bien que le patron a un truc important à nous dire. D’ailleurs il est où ?”
- “Ici !”
Cette voix ! C’est la sienne, celle de l’Autre, celui qui veut me détruire avant de me tuer.
Je glisse à terre, pliée en deux, le souffle coupé. Les larmes jaillissent en flot continu, je serre les dents, un poing sur mes lèvres pour étouffer les sanglots.
L’esprit brouillé j’entends quand-même la suite
- “Je ne veux rien savoir de vos histoires de petits trafiquants, ce que je vous offre est bien plus audacieux et rémunérateur. Je me demande seulement si vous serez à la hauteur. C’est pour votre bien que je dis ça. Inutile de vous rappeler ce qui arrive à ceux qui me déçoivent, n’est-ce pas ?, alors, conseil d’ami, réfléchissez avant de répondre”.
Ce ton calme,assuré, presque doux me ramène à mon passé. J’entends ses mots chaque jour doucement prononcés
- “tu seras à moi, totalement, j’userai de toi, te prendrai tout, t’arracherai à ceux que tu aimes et, seulement après, quand je serai lassé de toi, je te tuerai aussi très, très lentement”.
Je reste ainsi prostrée durant ce qui me semble être une éternité…
Des bras m’enserrent soudain, une main sur ma bouche, un murmure à mon oreille :
- “Ils sont partis, tu n’as plus rien à craindre, je te libère si tu promets de ne pas crier, nous devons parler, c’est très important”.
Je suis tétanisée par la peur, c’est Lui, je reconnais sa voix !
Il y a pourtant quelque chose qui cloche, je mets du temps à comprendre avant de me décontracter complètement, en confiance. Alors seulement j'acquiesce d’un hochement de tête, l’étau se dessere, la main saisit délicatement mon poing, je me plaque contre le torse de mon ange et respire enfin.
Car si c’est bien la même voix, ce n’est pas la même odeur.
Et celle-ci m’a toujours réconfortée, consolée sans une parole, fugacement, la nuit.
Tant et si bien que je croyais rêver…
Je me retourne enfin et là, nouveau choc, j’ai l’impression d’avoir la berlue car devant moi se tient le sosie parfait de l’Autre !
Devant ma stupéfaction, il reprend :
- “Je suis Alain, le gentil jumeau !’ un sourire triste étire ses lèvres fines, ‘tu n’es pas facile à trouver tu sais !, à chaque fois que je t’ai vue, tu disparaissais sans laisser de trace. Une chance que je te retrouve alors que je cherche à savoir quels méfaits prépare mon frère. Nous sommes dans son QG du moment car, comme toi, lui aussi a la bougeotte.”
- “Sûrement pas pour les mêmes raisons” je marmonne.
- “Il nous faut partir maintenant, depuis une semaine que je le surveille, il va revenir d’ici une heure ou deux. Où sont tes affaires ?”
Du doigt je lui montre mon sac à dos.
- “Quoi ? tu n’as que ça ? mais comment fais-tu ?”
- “Je me débrouille, bien obligée ! Avant de partir, un café et un petit tour aux toilettes si tu veux bien”
- “Oui, bien sûr ! Euh, pour la toilette tu ne seras pas trop longue, dis ?”
Je pouffe de rire, on est du genre à se pomponner en cavale ? !
- “je parle des WC, idiot !”
- “Oh, désolé, je ne voulais pas… je ne pensais pas…”
- “Pas de problème, ne t’en fais pas pour si peu. J’imagine que les filles normales mettent un certain temps pour se préparer !”
Mon linge de la veille est encore humide, tant pis il faudra faire avec.
Besoin naturel d’abord puis café.
Nous le prenons en silence, tant de questions, de choses à dire or ce n’est ni le lieu ni le moment.
Je récupère in extremis son gobelet vide et le mets avec le mien dans mon petit sac poubelle - “pas de trace, il sait compter non ?” lui dis-je en lui montrant le bac à déchets.
il me regarde penaud:
- “je n’y ai pas pensé”
- “Normal, tu n’es pas en mode survie, tu ne peux connaître l’importance des petites choses”.
Nous partons par où je suis entrée, là encore c’est l’expérience et la prudence qui me guident.
- “Normalement personne ne s’apercevra que nous sommes venus, tu vois, c’est facile à verrouiller”
Il me regarde, perplexe et aussi un peu admiratif je crois.
- “Bien,” il me lance “maintenant on va faire à ma manière, j’ai une voiture de location garée un peu plus loin, dans le parking du centre commercial. Je ne suis qu’un amateur mais je connais certaines bases pour passer inaperçu !”
un large sourire accompagne le propos. C’est qu’il est fier de lui, ma parole !
- “Caméras de surveillance ?”
- “pas à ces emplacements... Bon sang, il y en a dans les entrées et sorties, la poisse !”
- “Bon, tu avais bien ton bonnet quand tu es arrivé ?”
- “Oui, avec ce froid de canard, obligé !”
- “Tu le remets bien enfoncé jusqu’aux yeux, tu sors la voiture et tu viens me récupérer devant l’entrée principale ici, il doit y avoir les traces fraîches des pneus des abrutis de tout à l’heure, elles cacheront les nôtres. Tiens, profites-en pour jeter ce sac puant” je lui tends notre poubelle, “et prévois une couverture pour me cacher à l’arrière, tu dois la rendre quand la voiture ?”
- “Oui chef !, d’accord chef ! et j’ai la voiture pour une durée illimitée, chef !” dit-il en esquivant mon pied prêt à lui botter les fesses.
Souriante, je me poste devant l’entrée comme convenu.
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