Une nouvelle vie
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La petite fille rit aux éclats à l’arrière de la voiture, son père chante à tue-tête Je t’attendrai à la porte du garage, de Charles Trénet, en roulant exagérément les « r », et l’ensemble sonne allègrement faux. Sa mère, tournée vers elle, se bouche les oreilles et fait d’horribles grimaces, provoquant un tel fou-rire que la fillette craint de faire pipi dans sa culotte.
Jouant à l’outragé, le conducteur déclare d’un ton solennel : « décidément, vous n’entendez rien à l’art ! », puis se joint à l’hilarité générale.
Partis en milieu de matinée de Carcassonne, ils décident de s’arrêter pour déjeuner dans leur petit restaurant préféré, à Narbonne. À l’autoroute, ils ont préféré la nationale pour profiter pleinement de ces terres rocailleuses balayées tantôt par le Cers, tantôt par le vent d’Autan, offrant ainsi un décor sans cesse renouvelé avant d’arriver au pays de la Tramontane qui soulève tout aussi furieusement le sable du bord de mer.
Mais aujourd’hui, seule une légère brise vient rafraîchir l’air chaud en ce mois de juin, permettant à la petite famille de s’attabler en terrasse ombragée dans l’arrière-cour du restaurant.
Après les embrassades, le patron apporte un pichet de vin et s’assoit.
— C’est la cuvée de tes beaux-parents d’il y a deux ans. Il m’en reste peu et les clients en redemandent. Pourrais-tu m’en faire livrer pour la saison ? J’ai encore du stock pour le Vieilles Vignes et le Roma de mon cousin, mais comme pour les vôtres, je les réserve à ma clientèle la plus fidèle, ou celle à même de les apprécier comme il se doit.
— Vrai qu’elle a bien marché celle-ci. C’est toujours gratifiant de savoir que les heures passées à soigner nos vignes ont porté leurs fruits, si je puis dire ! Je vais voir avec eux mais je crois pouvoir t’assurer une centaine de bouteilles demain, ça ira ?
— Pour sûr que ça ira. J’ai déjà les papilles qui s’impatientent ! Ta terre de Fitou est peut-être rude, mais elle sait rendre l’amour qu’on lui porte.
Pendant cet échange, la maman va saluer les trois générations de femmes qui s’activent aux fourneaux, leur accordant ainsi une petite pause bienvenue.
L’enfant, quant à elle, s’amuse avec les chiens et les chats en prenant bien garde de ne pas faire de geste brusque, comme on le lui a appris. Elle continue en donnant des herbes aux lapins puis attend sagement que quelqu’un l’accompagne dans le poulailler afin de chercher des œufs. Avec de la chance, elle pourra en gober un tout frais.
Comme à leur habitude, ils sont arrivés bien avant le coup de feu pour partager le repas avec leurs amis. La table est assez grande pour accueillir les deux familles et les discussions vont bon train.
Après le plat de charcuterie maison, tout le monde se régale du ragoût d’anguilles au vin blanc et pommes de terre avant de passer au café, accompagné de touron catalan.
Sur une tartine de pain grillé, aillé, frotté à la tomate et légèrement imprégné d’huile d’olive, la petite fait son repas avec le jambon cru dont chaque tranche est presque aussi épaisse qu’un steak ! On la laisse faire : ces moments ne sont pas si fréquents.
Au moment de partir le père murmure quelques mots à son ami :
- J’ai un projet que je dois finaliser avec les parents de Sophie car, après mûre réflexion, je pense me reconvertir et travailler à temps plein dans l’exploitation familiale en l’améliorant notablement. J’ai un investisseur intéressé par mes idées. Je t’en dirai plus dès que ce sera fait. D’ici-là je te demande de n’en parler à personne.
- Je suis heureux que tu prennes leur suite, vu leur âge ils se faisaient bien du souci quant à l’avenir de leurs vignobles. Et puis non seulement tu as quasiment grandi dedans mais en plus tes connaissances te permettront certainement d’optimiser et le rendement et la qualité. Rappelle-moi combien de diplômes dans ce domaine tu as déjà ?! Et d’éclater d’un rire tonitruant en lui donnant une bourrade de rugbyman.
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Le soleil se couche paresseusement laissant ses rayons orangés raser l’horizon, forçant l'automobiliste à baisser le pare-soleil et froncer les sourcils en maugréant. Les vingt minutes de route avant d’arriver à bon port s’étirent au gré de la luminosité intense parsemant le trajet : quelques arbres supplémentaires au bord de la route éviteraient l’éblouissement qui met les nerfs à rude épreuve. Cependant, le paysage est tellement beau, il flotte des odeurs de fenouil, d’air iodé et le chant des cigales complète ce tableau à nul autre pareil. Sa femme et sa fille sont assoupies, il en profite pour réfléchir à la proposition inespérée que lui a faite André Thirion, cette association le ravit et il ne doute pas un seul instant de l’accord de Georges et Hélène, les parents de son épouse. Si tout se passe comme il le souhaite, ils signeront les papiers dans les dix jours afin d’entamer leur nouvelle vie et, qui sait, peut-être donner un frère ou une sœur à leur petite puce, depuis le temps qu’elle les taraude à ce sujet…
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