- Hey Mister Lou!!! Je suis contente de te voir…

- Salut Mag, bonjour à tous… Je vois que ça bosse dur.

- Dur je sais pas, mais sérieusement oui… Alors je vais enfin pouvoir vous présenter Louis, qui est passé voir mes progrès en tant que prof de chant, il était à votre place et à la mienne il y a quelques années, c’est lui qui a créé cette chorale. Et depuis…

- Depuis je vais beaucoup mieux, merci… Elle est pas trop sévère avec vous au moins?

- Tu parles, tu l’étais plus que moi quand t’étais à ma place.

- On verra ça dans les semaines qui viennent, Patrick est d’accord pour que je vienne tous les vendredis midi… Vous bossez sur quoi?

- Je suis au courant… On bosse “Emmenez-moi” d’Aznavour.

- Très bon choix.

- Bon, on reprend…

Après les avoir écouté, je me permet quelques conseils, quelques ajustements, et Magali semble ravie de me voir m’impliquer avec ce groupe et je le suis de voir qu’elle prend son rôle très à cœur. Je suis content aussi de pouvoir l’aider dans cette mission, d’aider ceux qui, comme moi, sont venus ici pour aller mieux. Je les quitte quelques minutes plus tard pour aller me poser sur mon banc, au soleil, lorsqu’une jeune femme, fine, brune, l'air vraiment triste viens me rejoindre, timidement.

- Bonjour, vous êtes Louis je suppose?

- Et vous êtes Amélie, c’est bien ça?

- Oui.

- Charlene vous accompagne pas?

- Ben, elle joue à la nounou, la petite est un peu… Grincheuse, en ce moment… les premières dents je pense... Elle m’a rien dit, à part de venir ici, que vous seriez là… Et que vous risquiez de m’engueuler si je te vouvoyais…

- Elle a raison sur toute la ligne, mais je t’impose rien… Fait comme tu le sens…

- Merci de bien vouloir m’aider, elle m'a raconté que tu avais vécu quelque chose de similaire.

- Je sais pas si je vais vraiment t’aider, mais en tout cas, on peut en discuter, ce sera déjà bien. T’es là depuis combien de temps?

- Depuis fin août, j’ai commencé avec Magali les deux premières semaines, en attendant que Charlène arrive. C’est bien d’être suivie par des personnes différentes, les approches ne sont pas les mêmes, ça permet d’avoir plusieurs points de vue.

- C’est sûr, Magali est plus directe, elle te balance tes problèmes en face, sans prendre de gants. Elle est une disciple de Patrick, depuis très longtemps, elle a été à notre place elle aussi…

- Oui elle m’en a parlé, c’est triste ce qui lui est arrivé… Alors que Charlène est plus posée, plus calme. Elle sait trouver les mots pour me tranquilliser, pour m'apaiser, on sent que même si elle est jeune, elle a déjà beaucoup d’expérience…

- Elle a eu de quoi faire pendant ses études, mais son calme, sa tranquillité, c’est surtout ici, je peux te dire qu'à la maison c’est une autre histoire.

- A la maison? Tu veux dire que… Elle et toi… Vous êtes ensemble?

- On peut dire ça comme ça… C’est elle qui m’a emmené ici, peu après notre rencontre, quand j’étais au plus mal… Elle m’a pris sous son aile, et de fil en aiguille, on s’est rapproché…

- Ok… Elle m’en avait pas parlé du tout…

- Elle t’as raconté quoi alors?

- Juste que tu avais fréquenté le centre, après un accident et que c’est Magali qui avait suivi ton cas.

- Rien du tout en fait…

Je prends le temps de lui raconter mon histoire, ce drame qui me tiraille encore les entrailles quand j’en parle, de ma descente aux enfers jusqu’au début de ma résurrection, quelques années auparavant, ici même.

- Je comprend mieux pourquoi elle m’a envoyé vers toi.

- Disons que quand elle m’a parlé de toi, je me suis reconnu, un peu, et je lui ai proposé de te rencontrer et d’en discuter si vous le vouliez bien toutes les deux.

- C’est gentil de vouloir l’aider, et m’aider aussi.

- J’ai pas cette prétention, mais parfois en parler avec quelqu’un qui a vécu des choses similaires, ça permet de mieux appréhender sa guérison. Sans Mag, je pense que ça aurait été beaucoup plus long pour moi. Puis c’était pas mon seul souci, c’était même plutôt une conséquence de mon hyperempathie… Alors que pour toi, si j’ai bien compris, il y avait déjà un bébé, des projets…

- Oui… J’ai rencontré Hervé au lycée, on a mis longtemps à s'avouer nos sentiments, on s'est tourné autour pendant plusieurs années, puis on a emménagé ensemble après nos études, trouvé du boulot, commencé une vie à deux. Il était technicien dans les télécoms, je suis secrétaire médicale, on avait une vie de rêve, avec l’arrivée d’Angie, on vivait sur notre petit nuage. C’était un papa attentionné… Doux… Il avait une relation spéciale avec sa princesse… C’est comme ça qu’il l’appelait… Le jour où j'ai accouché, un peu avant Noël, il est arrivé dans ma chambre… Avec un bouquet de roses rouges… Il s’est agenouillé devant moi… Et… Il m’a demandé en mariage… Comme dans les films… Le plus beau jour de ma vie…

- Laisse couler… Laisse s’échapper tes larmes… Essaie de te calmer, de respirer… Je vais te chercher un verre d’eau, on reprendra après.

- Merci.

Je pique un sprint vers les cuisines, salue tout le monde d’un grand geste, quémande un verre d’eau et retourne auprès d’Amélie. Je ne veux pas la laisser seule trop longtemps et je la retrouve debout devant le banc, le regard perdu vers l’horizon, ses épaules encore secouées de quelques sanglots.

- Et voilà madame… J’ai fait aussi vite que j’ai pu…

- Merci Louis, c’est vraiment gentil…

- C'est rien tu sais… Puis j’aime pas trop voir les gens pleurer… Surtout les jeunes femmes… Après j’ai envie de les réconforter, de les prendre dans mes bras, et je me fais gonder par ma femme quand elle l’apprends…

- Je suis sûre que c’est faux… Elle est pas comme ça, Charlène… T’exagère…

- A peine… Ça va mieux?

- T’es arrivé a me redonner un semblant de sourire… Donc oui, je vais mieux… Je continue… On a repris notre vie avec Angela, si tu avais pu voir son regard quand il voyait sa fille… C’était comme si plus rien n’existait à part nous trois… Et puis… Ça m'a fait comme un coup de couteau dans le cœur… L’accident bête… Il aurait jamais dû… Pas tout seul… Mais il supportait pas de laisser un boulot en cours… Pas pour les clients, ou pour son patron, il s’en foutait… Mais pour lui, c’était important… Quand on m’a appelé pour me le dire… Je suis pas arrivé à réaliser, j’ai dit merci, bêtement… Et j’ai raccroché…

- J’ai connu ça… L’impression de vivre un mauvais rêve, même si, dans mon cas, j’étais là quelques minutes après l’accident, j’ai réalisé sur le coup, mais quand le médecin est venu nous dire que tout était fini… Je me suis juste senti vide…

- C’est exactement ça… Si j’avais été là au moment où il est tombé, ça aurait été plus facile à comprendre, à intégrer l'information, j’aurai eu une réaction normale… Mais là…

- Ta réaction est normale, ne doute pas de toi… T’étais sous le choc, c’est tout…

- Le reste est flou, j’ai appelé mes parents, ils se sont occupés de nous avec la petite, elle aussi semblait éteinte… Je suis sûre qu’elle a compris, qu’elle l’a senti immédiatement… Depuis c’est plus la même…

- Et ensuite?

- Deux mois d’enfer… Les funérailles… Les amis… La famille… Pendant quelque temps…Puis le vide… J’ai voulu nous foutre en l’air plusieurs fois… Mais elle a le regard de son père, ses yeux, et à chaque fois… J’ai pas réussi… Puis on m’a envoyée ici…

- C’est pas plus mal… Je suis sûr que c’est lui qui t’en a empêché, comme Cécilia l'a fait avec moi… Vous êtes liés à jamais quoique tu puisse penser, et c’est important que tu puisses l’accepter, en plus t’as encore votre fille avec toi, comme une partie de lui qui ne te quittera jamais, qui te rappellera qu’il existe encore quelque part.

- Elle est tellement lui parfois… Ça me fait du bien de retrouver son regard dans celui de ma fille, mais parfois ça me fait mal aussi… J’ai peur de pas y arriver… Toute seule…

- Je te connais pas assez pour te dire que je suis sûr de quand tu y arriveras, mais ce serait con de pas essayer, ce serait con de pas faire de ton mieux, pas spécialement pour toi, mais surtout pour ta fille… Elle a besoin de sa maman… T’es la seule chose qui lui reste…

- Et si j’échoue?

- Ca y’a aucune chance…Si tu fais de ton mieux, tu pourras pas avoir de regrets… Je pense pas que Mag, Patrick et Charlène te laisseront tomber, ils te laisseront pas partir s'ils sont pas sûrs à cent pour cent que tu vas réussir… Et moi non plus… Si j’y suis arrivé, si d'autre y sont arrivés, t’as aucune raison d’échouer…

- Merci Louis… Ça me fait du bien d’entendre ça…

- Et pense à Hervé quand ça va pas, imagine ce qu’il te dirait s’il pouvait encore te parler… Tu crois qu’il te demanderait d'abandonner, ou de t’accrocher? Je te dis pas que ce sera facile tous les jours, mais t’es encore jeune, comme moi, on a encore tellment de choses a vivre…

- C’est vrai… Il me laisserait pas lâcher… Ne serait-ce que pour sa fille… Merci encore…

- Ma première nuit ici, Chou m’a dit un truc, une phrase que je me répète quand je flanche, quand je doute, quand je vais pas bien, elle m’a dit: “ Essaye de te rappeler du bonheur que tu as ressenti dans les bons moments… Concentre-toi sur le positif… Il faut que tu gardes, enfouis, au fond de toi les mauvais moments du passé… Que tu te fixes sur les bons souvenirs… Mais surtout, laisse couler les larmes quand elles viennent, ne lutte pas… ”

- Ça me parle… Mais j’y ai pas prêté attention sur le coup…

- C’est très important que tu t’en souviennes, que tu l'utilises à chaque fois que tu te sens flancher… Ah je crois qu’on nous attend…

- Amélie, ta fille a un peu faim je crois… Coucou mon coeur, ça va?

- Ouais, ça roule… Le sta bene…

- Di cosa stai parlando??

- Il passeggino, il bambino, tutto il resto… Le sta bene…

- Amélie, récupère ta fille, j’en connais un qui me cherche là…

- Vous êtes trop drôles tous les deux, vous vous disputez en Italien… Merci encore Louis… Je me sens un peu soulagée…

- Pas de quoi… N’hésite pas si tu as besoin… Je serai dans le coin tous les vendredi après-midi…

- Merci madame la baby-sitter…

- De rien.