Premier défi…

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Mes rêves me conduisent quelques années en arrière, lors de mon premier défi sur les routes des Alpes.

- Ça va aller mon Lou?

- Je sais pas… Je… J’espère…

- Tu vas pas reculer maintenant? C’est ton premier chrono, tu vas le terminer, même si il faut que je te récupère à l’hosto! Je t’attendrai après la ligne et t’as intérêt à me rejoindre!

- Ouais, on verra, c’est pas simple quand même…

- Tu parles… Je sais de quoi t’es capable… Tu vas les tuer… Allez file!!! Je t’aime mon coeur… T’es le plus fort…

- Merci ma puce… T’as le don pour me motiver… Je t’aime aussi… A toute à l’heure.

J’ai enfourché mon vélo, enfoncé mes écouteurs dans les oreilles, poussé le volume de la musique, et je suis parti pour plus de six heures d’effort, quatre vingt dix kilomètres de souffrance, juste pour le plaisir du sport.

Depuis plus de six mois je me suis entraîné chaque jour, chaque week end, VTT, course à pied, natation, ski de fond, musculation, pour participer à ce challenge, trois cols des plus mythiques des Alpes enchaînés sur une journée. Je sais que ma condition physique est parfaite, je sais que mon vélo est parfaitement au point pour ce défi, je sais que si tous les éléments n’étaient pas réunis, personne ne me laisserait partir sur la route, mais je continue à me demander si j’arriverai au bout.

Au départ de Guillestre, la route nous mène le long de la vallée du Guil, direction le Queyras et le pied col d’Izoard, ces quinze premiers kilomètres en faux plat montant me permettent de prendre mon rythme de croisière, et d’intégrer un groupe d’une vingtaine de cyclistes. A la manière des professionnels, nous nous relayons tous en tête pour garder une vitesse raisonnable, et prendre quelques instants de repos entre chaque relais. Après cette entrée en matière plutôt tranquille, le premier gros morceau se présente devant nous, avec les premiers vrais pourcentages et le col d’Izoard, une légende pour moi, théâtre de tellement d’exploit sur le Tour de France, même si nous l’avons déjà gravi cinq fois en un an, même si je le connais par coeur, je le redoute toujours, situé tôt sur le parcours, il déterminera la suite de ma journée et mon état de forme.

Je prends donc les premières pentes avec sérieux, cherchant mon propre rythme, sans plus me soucier ni des mes compagnons, ni de ma vitesse, concentré sur mes seules sensations, à l'écoute de mon corps, les yeux rivés sur le ruban de bitume qui défile devant ma roue. Je pense aussi à m'alimenter correctement, et à m'hydrater pour éviter une mauvaise fringale, ma première équipe de ravitaillement n’est qu’à cinq kilomètres devant moi à Arvieux, Patrick, Caro, Angie et Amélie, qui avaient quitté le centre depuis quelques semaines, mais qui continuaient à venir chaque semaine pour le suivi.

Lorsque j’arrive à leur hauteur, nous ne sommes que cinq survivants de notre groupe, et nous avons déjà doublé une bonne vingtaine de coureurs, je balance mes deux gourdes bien entamées, Patrick enfourche son vélo et m’en fait passer deux pleines, accompagnées de quelques victuailles pendant que les filles hurlent leurs encouragements. Mon beau père continue quelques kilomètres à mes côtés, nous échangeons quelques mots, et après une tape dans le dos, il rebrousse chemin. Je suis reboosté par cette première salve de cris et ses paroles encourageantes.

Après avoir parcouru les premiers lacets du col au milieu de la forêt, je me retrouve esseulé, ayant semé les derniers survivants qui m'accompagnaient encore, je déboule enfin dans la Casse Déserte, dans cette partie tellement célèbre du col, semblable à un désert de roche et de sable, au paysage lunaire, effrayants, je profite d’un kilomètre de plat pour m’étirer au maximum avant la fin de la montée que je termine en danseuse, avec plaisir, avant de basculer dans la longue descente vers Briançon où je peux enfin respirer un peu, tout en restant vigilant. Les virages s’enchainent a une vitesse folle et après quelques frayeurs, comme quelques rappels à l’ordre venus d’ailleur, je remercie mes freins à disques pour leur efficacité. Je rattrappe et double quelques compagnons et sens dans leurs regards qui se posent dans mon dos leur étonnement de me voir filer à tombeaux ouverts sur le ruban de bitume que j’ai l’impression de survoler.

Après l’entrée dans Briançon, je passe en force le joli coup de cul au pied de la vieille ville, et bifurque sur la gauche pour retrouver un morceau descendant en bas duquel m’attendent encore mes beaux parents, Amélie et sa princesse, rejoints par Mag et d’autres résidents du centre, Patrick renouvelle sa manoeuvre pour m’accompagner une dizaine de kilomètres sur les pentes légères du col du Lautaret, et m’encourager, me donner encore quelques conseils et un aperçu du chronomètre. Je flirte avec les meilleurs temps de ma catégorie, sixième temps à moins de trois minutes du premier.

Pas le temps de cogiter plus longtemps, j’avale les dernières gouttes d’eau de mes gourdes, échange avec les pleines que me tend Patrick, une barre énergétique, une compote et je me dresse sur les pédales, j’en ai encore dans les jambes et je vais tout donner. Je sais que la fin du parcours, avec l'ascension du col du Galibier ne me sera pas forcément favorable, que je risque de me retrouver à cours de force pendant la montée, et que je dois aussi m’économiser, mais je ne veux pas avoir de regrets.

Je me pose confortablement sur ma selle, les bras appuyés sur le cintre, et je pousse sur les pédales, en rythme, je ne suis pas parti dans les premiers et mes concurrents sont potentiellement déjà arrivés, je n’ai donc aucun point de repère, je double encore plusieurs cyclistes, qui, au vu du rictus qu’ils affichent, risquent de ne pas voir l’arrivée.

A quelques kilomètres de la fin du Lautaret, je profite des dernières pentes plus douces pour terminer de manger, prendre une grande rasade d’eau. Après avoir viré à droite, je retrouve un groupe de cinq compagnons plutôt taillés pour la grimpette et décide de m’accrocher à leurs roues, prenant quelques relais quand les pentes s’y prêtent, espérant que leur rythme me permettra de terminer au mieux ce dernier col.

Après le premier mur à cinq kilomètres de l’arrivée, je profite d’un léger replat pour jeter mes dernières forces dans la bataille et leur fausser compagnie avant d’entamer le fin du col, partie ou s'enchaînent forts pourcentages et moments de répit.

En passant devant le monument Henri Desgrange et le refuge, je retrouve avec surprise mes parents qui ont fait le déplacement pour me voir souffrir, la bouche grande ouverte, à la recherche de mon dernier souffle. Ma mère agite une photo de Cécilia, en m’encourageant, et cette vision trouble mon regard quelques instants, je suis a deux doigt de poser pied à terre pour la lui prendre des mains et terminer cette épreuve en sa compagnie, mais voir son visage souriant sur ce bout de papier me donne des ailes, j’oublie subitement toutes les douleurs qui parcourent mon corps, qui commençaient à m'affaiblir, que j’avais réussi à oublier jusqu’à ma dernière accélération. Je me dresse soudain sur les pédales, reprends un peu de vitesse, porté par son sourire radieux, ses yeux rieurs, et son souvenir impérissable.

Je sais que si je suis ici, en train de me dépouiller de mes dernières forces, c’est un peu grâce à elle et beaucoup pour elle, même si j’ai beaucoup pensé à Charlène depuis le départ elle a quitté mes pensées depuis plusieurs kilomètres, laissant la place à des souvenirs moins joyeux, mais c’est peut être ce qui m’a donné suffisamment de rage pour arriver jusqu’ici.

Dans les derniers lacets, les plus raides, je sens mon vélo se tordre sous mes à-coups, je ne sens plus mes jambes, les muscles tétanisés par l’effort, mais je double encore quelques compagnons d’infortune, pour passer la ligne en larmes, larmes de douleur, larmes de joie, de fierté, de bonheur d’en avoir terminé aussi. Après quelques mètres, je retrouve mon amour qui m’attends à bras ouverts, un immense sourire barre son joli visage, ses yeux brillent de fierté, je descends tant bien que mal de ma monture pour m’écrouler dans ses bras, terrassé de douleur et de fatigue.

- Tu vois que tu y es arrivé… Je le savais… Je suis fière de toi… Je t’aime tellement… T’as géré comme un chef… Elle doit être tellement fière de toi de là haut, elle aussi… T’es tellement beau mon chéri…

- Tu parles… J’en peux plus… Merci ma puce… Sans toi j’y serai jamais arrivé… Y’a mes parents en bas… On va les rejoindre?

- Je sais, j’ai laissé la voiture là-bas, je les ai vus… Tu veux récupérer ton temps finalement?

- Ouais… Je sais pas… Je…

- Tu t’en fout du résultat… T’as passé la ligne ça te suffit pas comme récompense?

- Si justement…

- Allez file, je descends à pied… A tout’ mon amour.

J’ai repris la route jusqu’au parking du refuge, tourné un peu les jambes pour faire passer la douleur, et retrouvé mes parents, accompagnés par tous mes supporters du jour. Je tombe dans les bras de mon père, puis passe de l’un à l'autre sans comprendre vraiment ce qu’il se passe, submergé par l’émotion, et je retrouve Charlène essoufflée par le sprint qu’elle vient de faire.

- Mon Loulou, faut que tu ailles au chrono, ils t’attendent.

- Non, je m’en fout de mon temps…

- Louis, vas-y, je crois que t’as droit de connaître ton résultat…

- On verra quand les derniers seront arrivés… Là j’ai la dalle…

J’enfile une tenue plus chaude, avant d'attraper froid, et nous nous installons au bord de la route, sur l’herbe, au soleil, pour regarder passer le reste des concurrents. La plupart de ceux qui ont terminé sont installés autour de nous attendant, comme moi, l’arrivée des derniers survivants en les encourageant, pour participer à la cérémonie de remise des prix. Pour ma part, je n’en ai pas la force, prenant mon temps pour m’étirer tant bien que mal, assis sur le sol, pour éviter toutes les courbatures dues à mes efforts intenses.

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