Réussi…
Une fois le ventre plein, les muscles décontractés, et l’esprit plus clair, je file finalement jusqu’à la tente de chronométrage, pas convaincu par cette nécessité, mais avec un soupçon d’envie, de connaître la performance du jour, car même si ça a été dur, long et fatiguant, j’y suis arrivé et j'aimerais quand même savoir ce qu’a donné ma journée.
- Mr Gallo…
- Ah enfin… On avait peur que vous soyez déjà parti…
- J’ai failli…
- Sans votre classement?
- C’est pas important pour moi… J’en ai terminé, ça me suffit…
- Quand même… Un premier temps de catégorie, ça se refuse pas…
- De quoi???
- Ça s'est joué à pas grand chose, une vingtaine de secondes, mais vous allez avoir droit à un tour sur le podium…
- Mais bien sûr… Si c’est une blague, elle est pas vraiment drôle…
- C’est pas une blague… Je suis sérieuse…
- … D’accord…
- Alors? Alors? Ça donne quoi?
- Je… J’ai… Premier temps de ma catégorie…
- Sans déconner???
- Je crois bien…
- Putain mais… T’es… Wahou!!!
Après une tendre embrassade, je prends les quelques minutes qu’on me laisse pour essayer de réaliser, intégrer l’information, et de me remettre de mes émotions avant de monter sur le podium.
Je n’ai jamais été aussi fier de moi qu'à ce moment-là, applaudi par une centaine de participants et leur entourage, mon trophée dans une main, la photo de Cécilia dans l’autre, Charlène à mes côtés tenant un tas de cadeaux. Pour une première je dois dire que j’en ai étonné plus d’un, moi le premier, mais pourtant, ce n’est pas ce qui me rend le plus fier, je suis simplement fier d’avoir terminé cette épreuve, devant mes proches, pour Cécilia.
- Bravo Louis, je dois dire que quand je t’ai regardé passer dans la fin du col, je pensais pas que t’allais battre mon temps… Même de pas beaucoup… Mais t’as du me griller sur le plat…
- Merci, je dois dire qu’à la sortie de Briançon, quand on m’a dit que j’étais six avec moins de trois minutes de retard, j’ai poussé comme un âne sur les pédales, je me suis dit que j’avais rien à perdre… Puis sur la fin, j’avais plus de jambes, je me disais que j’allais terminer et puis voilà…
- En tout cas belle perf pour un débutant, beaucoup avant toi s’y sont cassé les dents… Félicitations, et à une prochaine j’espère…
- Merci, bravo à toi aussi, dommage que je sois pas parti plus tôt, on aurait pu rouler ensemble tout le long et se battre pour la victoire ici. A la prochaine…
Lorsque je quitte le podium, fier comme Artaban, chargé comme une mule, je reçois tout un tas de félicitations de la part d’autres participants, des organisateurs. Pourtant, j’en ai rien à foutre, le résultat, même s’il est inespéré, m’importe peu, ce qui compte c’est le plaisir que j’ai pris malgré la souffrance, c'est d'avoir réussi un défi qui me semblait insurmontable quelques mois auparavant, et même jusqu’au moment du départ.
Nous prenons le chemin du retour en fin d’après midi, tandis que nos parents se retrouvent chez Caro et Patrick, nous filons nous détendre dans les bains bouillonnants du spa, où je m’endors quelques minutes avant que Charlène ne m’offre une séance de massage qui me fait le plus grand bien.
- Alors? Comment tu te sens?
- Physiquement? Complètement vanné, vidé de mes forces, mais sans douleurs… Pour le moment… Mentalement? Je sais pas trop… Je suis content d’avoir réussi à rejoindre l’arrivée, de mon résultat... Pourtant… C’est peut être la fatigue, mais j’ai pas spécialement envie de sauter de joie, de raconter à tout le monde mon “exploit”...
- Te fais pas de soucis pour ça… Lundi t’es dans le journal… T’auras pas besoin de raconter ça à tout le monde… Pour ceux qui liront pas le journal, je m’en suis chargée pour toi… Regarde…
Elle fait défiler devant moi les messages de félicitations qu’elle a reçu pour moi, de mon frère et Thaïs, des copains du lycée, des potes de Briançon, Sabrina en tête, mais surtout celui d’Hélène:
“ Tu peux être fier de ce que tu as accompli aujourd’hui, et je le suis également. Je sais à quel point ça a dû être difficile pour toi, mais je sais aussi qu’une étoile t'a guidé sur ces routes, t’as donné sa force et son courage. Je te remercie de lui avoir rendu hommage avec cette photo, sur le podium, je sais que tu tiens encore beaucoup à elle, et que cet exploit c’est aussi le sien. Bisous Loulou et à très bientôt.
Les larmes me viennent instantanément, silencieuses, muettes, et je comprends pourquoi je n’arrive pas être vraiment heureux, je devine ce qui m’a manqué aujourd’hui: qu’elle ait pu être là, à nos côtés, pour m’encourager, me soutenir, et me voir me dépouiller sur mon vélo.
- Elle me manque… J’aurais tellement voulu qu’elle soit là aujourd’hui… Physiquement je veux dire… Pouvoir la serrer contre moi, l’embrasser à l'arrivée… Partager cet exploit avec elle…
- Je sais pas trop comment je dois le prendre… Mais je vais pas en rajouter…
- Désolé… C’est grâce à toi si j’ai pu y arriver, sans toi, j’aurais jamais été capable de le faire… Si elle était encore là, on serait pas ici, tous les deux, et j’aurais jamais participé à cette course… Sans toi, je serais certainement plus de ce monde… Alors…
- Essaye de te rattraper comme tu peux…
- Tu m’en veux?
- Peut être un peu, mais je peux comprendre et accepter… Je sais ce que seraient nos vies si vous ne vous étiez jamais rencontrés, si on s’était pas rencontrés… Et je préfère largement celles-là…
- Moi aussi… Je t’aime Charlène…
- Je t’aime Louis…
C’est dur à entendre, et pourtant, c’est la seule vérité, elle le sait et l’accepte, cette attitude vis à vis de Cécilia, depuis notre première rencontre, la rend encore plus géniale à mes yeux, me conforte dans mon choix de refaire ma vie ici avec elle. Même si, ces derniers temps, Cécilia est moins présente dans notre vie, dans nos discussions, je continue à penser à elle très souvent, à voir son visage souriant quand je ferme les yeux, quand je m’évade dans ma bulle.
Après ces doux moments de détente, nous retrouvons nos parents pour le repas typiquement Italien concocté par Caro, aidée de ma mère, pendant que les hommes se penchent sérieusement sur les plans de la future maison.
Je suis complètement vanné, à peine deux minutes assis sur le canapé, moelleux et confortable, suffisent pour que mes paupières se ferment, et que je sombre dans un sommeil agité, comme souvent après une journée bien remplie.
- Loulou, pousse ton cul du milieu…
- De quoi???
- Tu t’étales… Laisse moi un peu de place…
- Désolé ma puce…
- Ma laissé lé on po tranquillo… Il a bésoin dé répos… Mettiti comodo Lou…
- Grazie Carolina…
- Prego Giovanotto…
- Pfff vous faites vraiment la paire tous les deux…
- Hey!!! Un peu de respect pour ta mère jeune fille!!! Je suis tout à fait d’accord avec elle…
- Zitto!!!
- Ti amo…
Elle reste plantée là, devant moi, avec sa moue boudeuse, tandis que je la regarde fixement sans ciller, souriant, ne sachant pas lequel des deux craquera le premier.
Ces petits jeux d’amoureux sont monnaie courante entre nous, depuis le début, et ça pouvait durer de longues minutes avant que l’un de nous ne lache, mais aujourd’hui je suis beaucoup trop crevé pour jouer longtemps et c’est en écartant les bras, la tête penchée, le regard suppliant que je l‘invite à s'asseoir sur mes genoux.
- Vous êtes vraiment deux gamins!!!
- C’est ce que je me tue a lui dire depuis que je l’ai rencontré… Faudrait qu’il grandisse un peu…
- Merci M’man, c’est sympa de se sentir soutenu…
- Ma mère est de ton côté… La tienne du mien… Et ouais, c’est comme ça… Tu croyais quoi???
- Tu vois, elle est pire que moi…
- Vous vous êtes vraiment bien trouvés tous les deux!!!
Après un apéritif chaleureux sur la terrasse, nous avons dégusté un repas Italien typique, délicieux et tout simplement gargantuesque. Même si j’en ai l’habitude, l'enchaînement des plats et les quantités servies me laissent scotché sur ma chaise, tandis que mes parents, plutôt habitués à des repas frugaux le soir, n'osent pas refuser et sont à deux doigts du débordement. Nous terminons la soirée assez tôt, pour un samedi soir, mais je tombe de sommeil et Charlène qui déteste conduire la nuit en général est la seule personne apte à prendre le volant ce soir.
Quelques minutes plus tard, je retrouve avec plaisir le contact de sa peau tiède et la caresse des draps avant de sombrer dans un sommeil sans rêves.
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