Chapitre 4 – Une Trouble Rivalité

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Sous la garde de la comète, qui drapait le royaume d’un voile laiteux, Abel, les épaules affaissées fixait le lointain. Les turbulences causées par la jalousie de son cadet l’avaient élevé au trône, contre son gré.

Présentement, il se désespérait des perles de sagesse de sa mère qui lui manquaient cruellement. Son regard, révélé par la lueur subtile des cristaux de célestine qui flottaient çà et là, s’enfonçait dans la pénombre. Un frisson l’arpenta... un pressentiment ; aussitôt justifié par l’apparition de Dieu au cœur de la pièce.

Son timbre ironique retentit :

— Abel, mon frère, approche.

— Tiens donc. Tu as fini par trouver la sortie du repaire de Yahvé.

— Toujours aussi cynique et impoli ! Moi, ça va ! Et toi ?

Avec scepticisme, l’aîné se leva, puis, d’une démarche impériale, parcourut la distance qui le séparait de son visiteur. Face à face, ils se scrutèrent. Bien que brève, cette bataille aphone pesa dans l’atmosphère. Se méfiant de son rictus, il demanda :

— Que me veux-tu ?

— Comme tu peux être rigide ! Bon, contentons-nous de l’essentiel, seigneur Régent... Figure-toi que mon exploration des écrits de Yahvé m’a permis de découvrir la clé de tes soucis. Ainsi, j’ai choisi de te favoriser plutôt que ce bon à rien de Caïn.

— On n’a pas proscrit ces choses que tu étudies sans raison. Malgré ses prérogatives, notre ancêtre n’a pas su les contrôler. Comment toi, le pourrais-tu ?

— Bwahaha !

Sa paume s’ouvrit délicatement, libérant un halo d’obsidienne. Choqué par la puissance de ce phénomène, Abel chancelant recula.

— Tu te trompes ! J’ai atteint une maîtrise que Yahvé n’a jamais effleurée. Tes appréhensions sont légitimes, mais je t’en prie, sois lucide. La sérénité est brisée, et tes sujets en souffrent. Et surtout, on te verra en tant que rétablisseur de l’harmonie.

— Puis-je garantir qu’elle ne corrompra pas mon âme et ne me détournera pas de ma voie, comme cela t’est arrivé, par exemple ?

— Mon œuvre est ancrée dans la vérité et la justice. Elle te permettra de restaurer la confiance entre toi et notre frère. Ramener la paix dans le royaume n’est pas ta priorité ?

Une avalanche de doutes submergea Abel. Une réflexion de courte durée et, finalement :

— Je reste perplexe ! Cependant, démontre-le-moi et je réagirai en conséquence.

Ils quittèrent le palais Boréal, traversèrent ses jardins, sillonnèrent ses champs, foulèrent ses lacs pour s’enfoncer dans une île-forêt, inconnue de l’aîné, où l’immaculé de la comète jouait avec les feuilles.

Les trilles des corneilles résonnaient, créant une cacophonie qui tourmenterait n’importe quel cœur. Toutefois, la perfection sauvage persistait à travers les plantes qui s’enchevêtraient. Les fleurs embaumaient d’une fragrance sucrée, mais leurs pétales se flétrissaient à leur passage.

Le sentier se voyait jonché de dolmens, gravés de glyphes énigmatiques. Abel s’arrêta devant le premier, intrigué par son essence.

— De quoi s’agit-il ?

Malgré son empressement, le benjamin se devait de mettre son frère dans de bonnes dispositions, alors il révéla :

— D’après mes découvertes, le Paradis n’a pas toujours été le Paradis ! Ce monde s’appelait Xandria. Des êtres d’une beauté, d’une intelligence et d’une puissance redoutable le peuplaient, Yahvé fut l’un des plus éminents d’entre eux. Sa recherche constante de la parfaite évolution l’a conduit à concevoir des créatures qu’il baptisa démons ! Au début sous contrôle, certains de ses cobayes s’échappèrent de son antre.

— Qu’est-ce que tu racontes ? De tels événements auraient marqué notre histoire !

— Cesse d’être impatient et passons aux dolmens suivants.

Bizarrement, ils vécurent la situation sans animosité, ce qui ne manqua pas d’alerter Abel. Son index pointant la pierre, Dieu reprit :

— Les Xandriens, intimement unis au Royaume, sentirent la perturbation. Quatre enchanteresses furent envoyées pour enquêter. Seule la plus vaillante en revint en piteux état... la Princesse Ëlara, héritière du trône. Celle qui entretenait une connexion avec la Créatrice.

— Qui est cette Créatrice ?

— Selon les écrits, cette entité suprême a conçu Xandria.

Abel ne sut quoi répondre… Ils arrivèrent à la prochaine partie.

— Elle révéla que les monstres se terraient dans une forêt, qu’ils se reproduisaient de manière démesurée en pondant des œufs. Bientôt, poussés par la faim, ils viendraient pour eux.

Alors, pour cloîtrer le mal, on dépêcha les plus grands maîtres du mana.

— Je suppose qu’il s’agit d’ici ?

— Tu es si vif d’esprit... quoi qu’il en soit, le Haut Conseil mit toutes ses ressources à la disposition de Yahvé, toujours obsédé par sa quête de perfection. Ayant des cobayes volontaires, ses expériences firent une progression incroyable. Il engendra des êtres nous étant semblables en apparence, mais dépourvus de tout ce qui fait un ange. Il appela ces créatures humaines. Enfin, grâce au mélange des essences diaboliques et mortelles, il concocta un filtre qui muta les Xandriens en ce que nous sommes. Nombre périrent durant le processus.

Saisissant le mécanisme, Abel rallia le cromlech suivant et pressa Dieu de poursuivre son récit :

— Aucun des puissants de ce temps ne souhaitait subir la transformation afin de mener les troupes au combat, alors Yahvé ingurgita sa mixture. Dès lors, naquit le premier Divin.

— Y en a-t-il eu d’autres ?

— Pas encore ! Finalement, la guerre eut lieu. Elle dura, pendant des éons. Désormais Reine, Ëlara et ses fidèles comprirent qu’aucune issue ne serait favorable à Xandria, donc ils fomentèrent leur propre plan, et ce, grâce aux humains sauvés des griffes du savant fou et d’une effroyable bête qu’ils avaient capturée. Ils en extirpèrent les essences qu’ils projetèrent dans l’éther. En conséquence apparurent l’Univers et l’Enfer.

Ils ne restaient plus qu’un menhir.

— Une brèche fut ouverte sur le champ de bataille, expulsant les démons vers leur nouveau fief. Xandria fut libérée, mais ses sujets d’origine, qui se comptaient par milliards, ne demeuraient plus qu’une poignée, décidant de rejoindre une planète qu’ils baptisèrent Terre, en l’honneur du père d’Ëlara, mort au combat. Le millier d’anges travesti en humains les accompagna. Avant son départ, Ëlara prit soin de se rendre en ces lieux fuis de tous afin de garder trace de l’histoire, et ainsi, sous les préceptes de Yahvé, le Paradis naquit.

Le régent présenta une mine déconfite. Cela bouleversait sa perception de son dogme et de son monde, intensifiant le mystère entourant la disparition de son aïeul. Le récit terminé, Dieu arbora son masque perfide ; l’aîné, celui de noblesse. Ils cheminèrent à travers les fourrés.

Finalement, ils parvinrent à une clairière obscure. Un tronc de Karistal s’élevait au centre, ses racines entrelacées se nourrissant des ombres environnantes, plongeant dans le sol, tels des léviathan voraces de l’océan cotoneux.

— Abel, c’est ici que débute ton destin.

Une vague d’effroi le parcourut. « Trop tard pour reculer. »

Le zéphyr soufflait avec une vigueur inattendue, agitant les feuilles fondues tout en susurrant de funestes murmures. Les corneilles s’envolèrent, leurs cris stridents remplissant l’air d’une oppressante provocation.

Et pourtant, l’arbre maudit l’attirait. Cependant, sous l’influence impérieuse de Dieu, il fut tiré de sa contemplation. Son attention se posa sur une figue translucide gorgée de ténèbres ; ensorcelante. Sans plus réfléchir, l’aîné en cueillit une avec précaution, puis la porta à sa bouche.

À peine l’eut-il croquée, que sa réalité se retrouva chamboulée. Une intense chaleur l’imbiba. Son esprit s’éclaircit. À travers le tronc, il entrevit une arcade, invisible, mais révélée par l’intérêt qui le baignait.

Sans un mot, le marionnettiste s’évanouit promptement de la scène du futur crime.

Abel se tenait prêt à bafouer ses principes pour plonger dans l’inconnu, ses mains tremblaient. Tandis qu’il s’approchait prudemment de la manifestation, l’air s’emplit d’une électricité chatouillant sa peau. Enchevêtrant l’excitation à l’appréhension, ses cœurs s’emballèrent.

L’arche le transporta dans un tourbillon de sensations envoûtantes. Des couleurs s’entrelaçaient, formant un kaléidoscope hypnotique. Lorsque la clarté finit par se dissiper, le sol crissait sous ses pas, des complaintes sinistres accompagnaient ses mouvements. Des créatures rôdaient dans l’ombre. Malgré la terreur, il ne pouvait reculer.

Résolu, il s’enfonça dans ce paysage où horreur et élégance fusionnaient macabrement.

Siégeant sur un trône d’obsidienne, une entité d’une beauté à couper le souffle se dressa. Ses iris dorés reflétaient l’immensité des galaxies nées de sa volonté. Des étoiles virevoltaient dans sa chevelure polaire. Pour quiconque s’y confrontait, même celui qui ignorait son existence, sa prestance, son aura, son énergie suffisaient à révéler son identité : La Créatrice !

— En toi, je perçois l’ambition de dépasser les limites imposées. Mais sache que les confidences qui te guettent sont teintées de noirceur.

Le temps qu’un ange passe, elle se tut, puis enchaîna :

— Dieu, ce frère que tu as suivi aveuglément, n’est qu’un pantin soumis à la prétention de mon antagoniste. Le pouvoir qu’il convoitait l’a corrompu, et le manque d’amour de votre mère y a aussi joué un rôle. L’arbre de Karistal, si on peut l’appeler ainsi, est l’emblème de sa démesure et de sa soif d’absolu. Seule ma lignée peut incarner sa perfection. Ce fruit que tu as goûté renferme une puissance prohibée qui a scellé ton destin.

Son esprit bouillonnait, cherchant à assimiler ces nouvelles informations :

— Ô Créatrice des Univers ! Je me sens perdu dans l’océan de l’incertitude, que me conseillez-vous ?

Elle le fixa avec compassion, ses prunelles irradiant une sagesse millénaire :

— Explore ta conscience, écoute ton cœur, puis statue en ton âme et conscience.

Sa décision influencerait son devenir, mais également celui de son Royaume.

Il fit son choix promptement. Ce qu’elle devina. Insaisissables, ses doigts claquèrent, révélant un bâton d’ambre sculpté de symboles, surmonté d’une opale.

— On t’a élu pour brandir le sceptre de paix. Le temps est venu.

— Je suis prêt, réagit-il, empreint de résolution. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour préserver la quiétude, répandre l’amour et l’empathie.

— Ce chemin ne sera pas aisé. Mais tu es sous ma protection, à travers chacune de tes vies, car ce soir ton frère t’assassinera, proclama-t-elle.

— Que signifie assassinera  ?

Gratifié d’un sourire, il l’observa s’estomper. Abel se retrouva seul, mais la trace de cette rencontre était tangible. Tandis qu’il saisissait le sceptre, une nuée d’or l’enveloppa, le ramenant face au tronc de Karistal.

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