Chapitre 5 – Ignominie & Damnation

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Dissimulé dans l’ombre d’un bosquet flamboyant, Caïn observait son frère avec haine. Voir ce Juda en possession d’une Régalia ravivait sa jalousie. Il n’apparut guère surprenant que Dieu, machinateur suprême, veillât à ce dessein.

Caïn se blâmait pour ses propres faiblesses. Chaque fois qu'il était confronté à l'habileté de son aîné, il se sentait impuissant. Cette démonstration d'arrogance ne faisait qu'attiser son amertume. En lui, un tumulte intérieur cherchait désespérément une issue à sa frustration, inséparable de ses désirs de vengeance. L'idée de vivre dans l'obscurité, oublié par tous tandis qu'on célébrait ce vantard, tourmentait son âme.

Face à l’approche menaçante, Abel resta serein ; prêt à affronter sa présence corrompue. Mais... l’expression lugubre qu’arborait son opposant révélait une haine viscérale.

Son trouble camouflé derrière son impériosité, le Régent ouvrit les pourparlers :

— Pourquoi es-tu ici ?

— Quelle question, je suis venu t’administrer la leçon que tu mérites !

Abel empoigna son sceptre. Quant à Caïn, son corps athlétique émettait une aura d’intensité, ses muscles se contractaient. Ses veines qui serpentaient ses bras s’embrasèrent de pourpre. Il cracha son fiel :

— Tu n’es qu’un parangon de fausse vertu ! Ton attitude dissimule ta perfidie. Je t’écraserai et affirmerai ma primauté !

Ses paroles résonnèrent d’une haine inextinguible. Le rayonnement de ses ailes témoignait de sa décadence. En face, son détracteur irradiait d’une confiance transcendante. Sa stature élancée exsudait une feinte sérénité :

— Caïn, je comprends ta douleur et ta frustration, mais la violence ne résoudra rien. Nous pourrions trouver un consensus pour restaurer l’harmonie qui nous unissait.

Avec mépris, les dents serrées, il répliqua :

— Des propos vides de sens ! Ta naïveté te rend aveugle. Le pouvoir est ce qui compte. Tu le sais mieux que personne, puisque tu m’as évincé pour t’en emparer.

D’une patience infinie, le Régent affirma :

— La domination corrompt ! Elle t’enferme dans une spirale de destruction... Dieu en est la preuve. Ta rage est son œuvre ! Prenons une voie pacifiste, où nous pourrions coexister.

Ses paroles glissèrent sur l’armure de haine.

— Tes promesses mielleuses renforcent mon envie de t’anéantir. Prépare-toi à goûter la pleine mesure de mon courroux !

Dans une tristesse empreinte de tendresse, Abel murmura :

— Mon amour pour toi restera inchangé, petit frère, même si tu te perds dans la déchéance. J’espère que la sérénité te trouvera un jour.

Les cieux se figèrent dans l’attente, alors qu’ils se toisaient.

Caïn se lança à l’assaut, déchaînant une série d’attaques d’une rapidité fulgurante ; laissant derrière elle une traînée de chaleur. Elles s’accompagnaient d’oscillations détonantes, ébranlant les fondations du Paradis.

Mais Abel ne se dégonfla pas.

Sa grâce se manifesta en une chorégraphie martiale, esquivant les offensives avec habileté. Brandissant sa Régalia, il généra des boucliers. Leurs gestuelles s’entravaient dans un ballet mortel, les coups retentissaient. Les poings se heurtaient, créant des ondulations dans l’air. Chaque frappe libérait un torrent d’émotions – colère, douleur, regrets ; leurs âmes s’exprimaient à travers le combat.

Astres en collision, les techniques se succédaient. Les blessures s’ouvraient, relâchant de l’Argentiglobine, tandis que des grondements et des cris de fureur amplifiaient l’intensité de la bataille.

Puisant dans ses dernières réserves, le Régent concentra sa volonté dans son sceptre. Il le leva vers le ciel, expulsant une déferlante. Ses rayons fusèrent pour fusionner avec l’atmosphère, peignant un spectacle d’une atroce beauté. Mais son rival trouva la force de contrer. Dans un éclair de folie, Caïn arma son coup. Abel grimaça alors qu’on arracha l’un de ses cœurs.

L’incarnation de la grâce et de l’équilibre s’effondra. Son visage conservait une expression de quiétude, tandis que son teint de pêche cédait à une pâleur cadavérique. La réalité s’imposa au Fratricide. Ses genoux fléchirent, le poids de son acte s’abattit cruellement sur ses épaules. Il se détourna. Les larmes pétrole qu’il ne pouvait endiguer attestaient de l’agonie qui rongeait son âme.

Deux frères naguère unis, séparés par le fardeau de la fatalité, selon la volonté de Dieu, mais avant tout par la Créatrice ou le Fondateur…

Un maelström d’or, portail vers un autre monde, apparu non loin de Caïn, suscitant une peur mêlée d’inquiétude. Malgré tout, il se résolut à reculer pour se cacher derrière un énorme diamant noir.

Adam et Ève dînaient en Atlantide en compagnie de l’Empereur Aëgir et de l’Impératrice Nérisse. L’ambiance entre les couples atteignait son apogée lorsque les Seigneurs éprouvèrent la souffrance d’Abel. Avant qu’il ne comprenne, le sacrilège les aspira de par les dimensions, jusqu’au lieu du crime.

La douleur d’Abel les frappa de plein fouet. Leur prince oscillait dans une mare d’argent. Pour la première fois, la Reine fut submergée par des émotions négatives et brailla de désespoir.

Tétanisé Adam fixait son fils ; la bouche entre ouverte. Ses mains tremblantes flottaient, cherchaient à saisir une réalité qui leur échappait.

Quant à Ève, son cœur se serra alors qu’elle se précipitait vers son garçon, allongé sur ce sol si froid et si dur. Son souffle se dérobait. L’angoisse montait, menaçant de l’engloutir tandis qu’elle contemplait la scène désolante.

— Pardonne-moi..., balbutia-t-il.

La mère poussa un cri d’agonie, exprimant la douleur qui déchirait son âme.

— Non ! Mon angelot, non ! Je t’en prie, reviens !, gémit-elle, ses sanglots étouffés par le chagrin dévorant.

Sans réfléchir, Ève s’empara du bâton qui pendait entre les doigts ensanglantés d’Abel. Elle devait le sauver, l’aider à tenir. Mais lorsqu’elle prit la Régalia du moribond, une influence l’imprégna. Une substance sombre se propagea dans ses veines. Ses traits se durcirent, sa peau devint translucide, et ses cheveux d’or se renouvelèrent en une cascade d’ombres. Le sceptre fermement en main, elle se redressa. La Reine brûlait d’une quintessence perfide, reflétant la laideur de son âme nouvellement éveillée.

Lié à sa femme par sa cote durant l’union sacrée, Adam n’échappa pas à la disgrâce. Naguère maître de lumière, il se confrontait à une transformation inévitable. Les ténèbres infiltrèrent sa chair, se mêlant à son essence. Son épiderme changea en un cuir rubicond, ses yeux se remplirent d’un feu écarlate, et ses ailes s’endeuillèrent. À son auréole se substituèrent deux cornes d’ébène, symbole de la bête suprême.

Leurs rires retentirent sinistrement. La Régalia portait une malédiction. Forgée par le Seigneur des Djinns, elle fut conçue pour avilir quiconque d’autre que son propriétaire la touchait. Ève, dans son désespoir, fut une proie facile... prévue par celle qui confia l’arme à Abel.

Alors que les Sept atterrissaient à tout va, la démone les fixait, un sourire malsain sur les lèvres. Soudain, Adam se jeta sur eux avec une fureur inouïe. Ils se mirent en position de défense, brandissant leurs objets de pouvoir pour contrer.

Le bruit des sortilèges et des coups résonnait, alors qu’ils luttaient pour maintenir leur position. Le cornu faisait pleuvoir sa folie tandis que la diablesse lançait des maléfices.

Dieu, qui jusqu’alors performait par son absence, se campa dans les hauteurs avec une dignité à couper le sifflet. Son profil s’érigeait fièrement, baigné dans l’immaculée. Ses bras se levèrent ; les astres tremblèrent sous son influence – les sages se tenaient prêts à obéir.

Il ferma les paupières, se concentrant sur l’objectif – tisser une toile de pureté. Sa coupole de clarté s’étendait de plus en plus, enveloppant ses parents tétanisés par son éclat.

— Maintenant, claironna le prince.

Michael dégaina sa lame d’or et se précipita vers le dôme. Ses plumes majestueuses battirent avec une telle force que leur écho retentit. Se dressait l’imposante silhouette du cornu, dont l’apparence élancée revêtait quelque chose d’hypnotique. Cependant, il savait que cet être représentait une infamie qui pervertirait le Paradis. D’un mouvement précis, il assena un coup d’épée, parvenant à affaiblir Adam, et d’un second trancha ses ailes. Ainsi, Dieu s’assurait que jamais plus son père ne reviendrait.

Ève bondit sur lui, s’agrippant de toutes ses forces. Ses membranes décharnées claquaient tandis qu’elle le fixait avec haine. L’archange lutta pour se libérer, mais en vain. Elle réussit à le repousser. Une gifle de griffe le projeta au loin, et il atterrit près de Caïn, qu’il croyait mort. Sans tergiversation, Michael le saisit et s’envola vers l’extérieur. Bien que Dieu hésita à les laisser aux prises avec sa mère, il souhaitait se débarrasser de ses géniteurs au plus vite. Finalement, il leur accorda le passage.

Épuisés et meurtris, ils franchirent le bouclier. Ses compagnons accoururent pour les soigner, mais, d’une pensée, Dieu l’interdit. Il leur ordonna plutôt de se focaliser sur le Dôme, ce qu’ils accomplirent. Le manipulateur invoqua l’auréole royale ; puis entama un psaume antique trouvé dans les archives personnelles de Yahvé :

« Je fais appel aux forces célestes régissant les univers et les dimensions,

moi qui incarne la grandeur de la divinité et la toute-puissance.

Que les portes du troisième royaume s’ouvrent !

Que les barrières qui séparent les mondes cèdent sous mon autorité !

Que les étoiles dansent et que les esprits frissonnent à l’annonce de ma présence,

tandis que les lois physiques et temporelles s’inclinent devant ma volonté.

Amen. »

Le sol s’effondra sous les sabots de son père et les griffes aiguisées de sa mère, les bannissant dans un abîme béant. Leurs cris d’amertume retentirent pendant leur chute. Ève agrippa désespérément le bâton d’Abel tandis qu’Adam cherchait à se raccrocher à tout ce qu’il pouvait trouver. Cette rage se perdit bientôt dans l’obscurité abyssale, alors qu’ils tombaient de plus en plus dans les crevasses de l’enfer.

Durant ce temps, au-dessus des cieux, Dieu observa. Un faciès jusque-là impassible se fissura lentement, laissant apparaître un sourire subtil, mais indéniable. Ses épaules rigides se relâchèrent – un fardeau s’évaporait. Il savoura le déclin de ceux qui autrefois l’avaient repoussé, non avec la froideur d’un magistrat, mais avec la délectation d’un conquérant. C’est avec satisfaction qu’il scruta la déchirure se refermer. Il descendit, éblouissant les sages qui s’inclinèrent en signe de respect. Son doigt accusateur se pointa vers le meurtrier.

— Mon frère, par son acte ignoble, est responsable de la déchéance de mes parents, déclara-t-il. En qualité d’ultime héritier de la lignée de Yahvé, j’impose mes édits, désormais irréfutables commandements. De ce fait, je condamne le Fratricide à l’exil dans le Second Royaume, où l’agonie le trouvera. 

Le nouveau seigneur Paradisiaque ne se sentait nullement concerné par le sort de Caïn. Ce qui importait : aménager une brèche vers cette dimension, afin de se l’approprier une fois son Paradis réformé. Ayant une vision à long terme, il savait par avance que les Sept s’opposeraient à sa décision. Les prendre de court sur l’instant reflétait son machiavélisme :

« Ô puissances célestes,

répondez à mon appel ! Ouvrez la voie,

vers des sphères lointaines, infinies et éternelles,

laissez-moi franchir les voiles de la réalité rebelle.

Que les portes se brisent, que les murs s’écroulent,

Sur mon chemin béni que je puisse m’envoler,

De la lumière à l’obscurité, des ténèbres à la clarté

Que mon âme se libère et que mes pas se déploient

Que les mondes se mêlent et se confondent,

Que les limites de l’espace-temps s’effacent,

Laissez-moi voguer, traverser les dimensions,

Et découvrir ces royaumes inconnus, source de fascination.

Ô puissances universelles, je vous implore,

Ouvrez la voie vers l’inconnu, que mon cœur adore

Guidez mes pas, montrez-moi la voie,

Et révélez-moi les merveilles de cet univers.

Amen. »

La frontière entre les univers se déchira, dévoilant un désert aride. Lorsque Dieu le contempla – sa beauté l’émerveilla. Cependant, dans un coin de son esprit, un criminel attendait sa punition. L’index suffit à l’expulser sur Terre. Aussitôt, la brèche se referma.

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