Chapitre 6 – La chute de Caïn

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Sous le voile argenté de la lune, la clairière rayonnait les plaies de Caïn. Difficilement, tel un reptile, il rampait. Chaque mouvement arrachait un hurlement de détresse. Ses ailes, consumées par le jugement de Dieu, l’avaient abandonné, désarmé face aux périls de la Terre. Les lourds cieux étouffait les étoiles, rappelant la portée des conséquences qui ployaient sous son fardeau.

Épuisé, il cherchait un refuge, quand il tomba nez à nez avec une horde d’animaux. Initialement méfiantes, elles finirent par découvrir, avec une curiosité bienveillante, cette créature émaciée qui ne leur voulait aucun mal.

La proximité avec ces gibiers réveilla une irradiation dans sa nuque. Une souffrance lancinante traversa son corps, le faisant se tordre, effrayant la faune qui se déplaça pour l’observer de loin. La sensation de ses organes en mutation et, se réorganisant, accrut son supplice. La chute de sa dentition fut suivie d’une repousse brutale, formant une mâchoire carnassière. Sa crinière s’argenta, tandis que ses os se brisaient et ses membres se muaient en griffes. Il ressentait une fureur primitive, accompagnée d’un désir de destruction. Ainsi maudit pour le meurtre de son frère, naquit le premier Vampyr. Une fois la transformation opérée, sa raison l’abandonna.

Ses facultés se décuplèrent. Les battements de cœur, l’odeur sauvage, les veines palpitantes, tout lui fut perceptible. Il se lança alors, saisissant un Léopard sans même s’en rendre compte, s’en délectant frugalement, déchirant sa nuque avec bestialité. La horde de proies commença à s’approcher pour se venger, mais la menace des grognements et des crocs les fit détaler comme des gazelles.

Après avoir assouvi sa faim et restauré une partie de sa vigueur, la culpabilité s’éveilla de nouveau. Consumé par cette obsession, l’apparition de son défunt frère se dressa parmi les cieux. L’âme lourde, Caïn lui adressa ces mots :

— Absous-moi, sanglota-t-il. Je n’aurais jamais dû agir ainsi. Je voulais être aimé autant que toi. Je donnerais tout pour remonter le temps, mais c’est impossible. Alors, je t’en conjure, pardonne-moi. Pardonne-moi de t’avoir ôté la vie.

Le spectre conserva son mutisme, mais Caïn y perçut une lueur de satisfaction. Cela épancha légèrement son esprit, mais ne suffit pas à apaiser sa conscience.

Il resta prostré, des larmes salées dévalaient ses joues. Après des heures d’agonie, le chagrin fit place à la torpeur, l’emmenant vers les bras de Morphée.

Les premiers rayons du soleil le tirèrent de son sommeil. Des convulsions se déclenchèrent, le forçant à se traîner vers le ruisseau, chancelant, cherchant du soulagement. C’est alors qu’il contempla son reflet, le figeant d’effroi : sa peau se révéla tuméfiée, carbonisée par les sillons arides.

Guidé par son instinct de survie, il creusa la terre telle une taupe et se réfugia dans une galerie souterraine. Protégé d’Hélios, il s’enfonça dans les couches inférieures.

*****

Depuis le Palais Palladium situé au cœur des dimensions, la Créatrice, assise avec dignité sur son trône d’obsidienne, exposait sa beauté suprême et mirait de joie. L’entourait : ses trois fils, Rois de la magie, formant la Trinité ; son époux, Sage de la Création ; ses petites-filles, Gardienne du Continuum et Héritière de son titre ; sa bru, Impératrice Enchanteresse et son beau fils le Seigneur des Djinns. Grâce à l’intelligence magificielle, elles observaient simultanément les trois royaumes.

Ses préparations visant à sauver son propre univers du Fondateur évoluaient à sa convenance. Chacun avait abattus ses cartes attendant, le tirage. En totale improvisation, car prise par l’urgence, elle ne savait pas encore si cela se ferait au détriment de ces mondes, qui n’existaient que par sa volonté.

Pour célébrer cet événement, elle claqua des doigts, pour concevoir du champagne millésimé qui se mariait parfaitement avec les délicats amuse-bouches flottant sur des plateaux en diamonite.

Alors d’une pensée, elle contacta sa prêtresse afin qu’elle s’occupe de Caïn, puisqu’il s’agissait de son second champion, celui par qui tout arriverait.

*****

Dans l’ombre de la lune, une silhouette apparut. D’un geste de la main, elle extirpa le Vampyr du sol terreux. Une fois à sa hauteur, elle apposa la paume sur son torse et récita avec conviction une incantation xandrienne :

« Sarathar, Exanath, Ziriamor,

Spiritus volatum, ad portum ducamur.

Integrus comitatus, mecum adferre,

Abyssus transitus, nobis conjunctio conferre. »

Le portail s’ouvrit avec une grâce enchanteresse, ses contours dessinant une fractale mystique. Une invitation silencieuse à plonger dans l’inconnu. L’invocatrice et son passager, enveloppés par cette énergie enivrante, furent emportés dans une danse éthérée à travers les courants de l’univers. La traversée de la planète devint un ballet d’éclats éphémères.

À leur arrivée, la plage paradisiaque les accueillit avec ses vagues douces et son sable fin. La faille se referma dans une explosion d’étincelles éblouissantes, scellant leur passage.

L’invocatrice, fit planer son hôte vers une chambre née des émanations de sa demeure. L’environnement, bien que paradoxal dans son impossibilité, créait une harmonie entre le fantastique et le réel.

Pendant que le Vampyr reposait dans les bras de Morphée, les aiguilles de l’horloge cosmique tissaient leur toile invisible. Les jours glissèrent en un ballet délicat, peut-être des semaines écoulées dans le monde de l’horlogerie céleste. Le flux du temps évoquait le rythme inaltérable des destinées, une symphonie parallèle se déroulant en silence. Chaque tic-tac portait avec lui le poids de réalités s’entrelaçant dans l’éther du cosmos.

À son éveil, il se retrouva dans une pièce magnifique. Des voilages en soie vermeille adoucissaient l’éclairage qui pénétrait par les vitraux bigarrés, créant ainsi une atmosphère chatoyante. Il se redressa lentement et, veillant à éviter la caresse du jour, s’avança vers le balcon qui donnait sur l’océan. La splendeur du paysage l’envoûta. Une brise marine vivifiante effleura son visage tandis que les vagues dévoraient le sable. Hélios pointait, pourtant aucune douleur ne vint entailler sa chaire.

Il emprunta les escaliers en colimaçon qui menaient à une vaste salle de réception. Les murs de corail, ciselés de motifs floraux, révélaient une grande élégance. Au centre de la pièce trônait une imposante table en acajou, de laquelle émanait une fragrance exotique enivrante. Assise là, une sublime femme à la peau noire rayonnait d’un sourire aimable tandis que, voletant sur un plateau, se présentèrent des fruits juteux et des nectars divins.

— Salutations, articula-t-il en s’inclinant avec respect.

— Bonjour, Caïn, bienvenue à l’Ascienda, répliqua-t-elle suavement. Je suis comblée de constater que vous avez pu vous requinquer. J’imagine que vous avez des questions.

— Effectivement ! Premièrement, qui êtes-vous ? Et comment suis-je parvenu en ce lieu ?

— Dans ce monde, je suis la Mère de la Nature ! Quand je vivais dans le tien, on me prénommait Reine Ëlara.

Planqué dans le bois enténébré avant les malheureux événements qui le conduisirent sur Terre, il avait écouté le récit de Dieu concernant Xandria. Il ne put contrôler sa stupeur et s’exclama :

— Qui a banni les démons du Paradis !

— Celle-là même ! À travers mes songes, la Créatrice m’a ordonné de te récupérer pour veiller à ton bien être.

— Mais pourquoi moi ? demanda-t-il, perplexe.

— Il semblerait que le devenir des trois royaumes dépend intégralement de ta personne.

Elle se leva gracieusement et, d’un geste charmeur, l’invita à la suivre. Ils quittèrent la somptueuse salle de réception et s’enfoncèrent dans une forêt luxuriante, où l’air était empreint de fraîcheur. Les gazouillis des oiseaux et les bruissements d’animaux qui foulaient les feuilles résonnaient. Ils avancèrent, savourant le décor serein des ramées, jusqu’à ce qu’ils arrivent à une oasis exposée au jour. La multitude d’espèces présentes et l’ambiance l’extasièrent. Au cours de son errance, il n’eut pas le loisir de s’attarder sur la beauté du monde, en raison de sa soif insatiable et obsédante.

D’abord craintif, il n’osa s’aventurer au-delà de l’opacité fournie par les arbres :

— Ne t’inquiète pas. En mon royaume le soleil ne t’atteindra pas.

Caïn la contempla, étonné.

— Vraiment ?

Elle acquiesça.

— Oui, vraiment. Tu es mon invité spécial, après tout. Il est primordial que tu te sentes à l’aise ici, alors j’ai fait le nécessaire.

— Merci, dit-il timidement. Je ne veux pas engendrer de problèmes.

— Tu n’en causeras aucun, lui assura-t-elle. Je suis heureuse de t’octroyer ce refuge.

— Je suis reconnaissant pour votre hospitalité.

— Maintenant, allons nous asseoir et profiter de l’astre de feu. Tu es en sécurité sur mon île.

Mère Nature s’établit sur une souche d’arbre, le Vampyr la rejoignit. Elle prit sa main et la serra doucement. Les eaux cristallines grouillaient d’une myriade de poissons de toutes les couleurs qui nageaient sous la surface. Elle lui offrit un sourire chaleureux. Les oiseaux chantaient et le bruissement des feuilles formait une symphonie. Des fleurs exotiques émettaient des parfums enivrants.

— Je suis ravie que tu sois ici avec moi. Tu es un ange bon, malgré ce qui t’est arrivé. Je sais que tu souffres, mais je suis là pour t’aider.

Caïn baissa la tête, honteux. À ses pieds se trouvait une considérable roche sphérique, ceinturée de plantes grimpantes. Il y discerna une substance identique à celle de l’Augure.

— D’où tiens-tu une pareille merveille ?

— Mes créations prennent vie sous les noms de l’Augure Céleste, de l’Oracle naturel et du Prophète infernal. Chacune renferme et canalise l’essence des victimes de la Grande Guerre de Xandria, agissant comme un catalyseur crucial qui favorise la coexistence harmonieuse des trois royaumes. Ces entités sont étroitement liées, chacune ayant l’autorité de dévoiler le futur. Cependant, en plus de cette fonction, elles recèlent bien d’autres desseins que je garde confidentiels.

— Une équipe entière se consacre à son étude depuis l’ère de Yahvé, et pourtant aucun n’en a percé le moindre secret.

— Et si nous consultions ton avenir, proposa-t-elle, sans lui laisser le choix.

Ëlara avança lentement vers la pierre, sentant l’énergie vibrante émanant de la surface lisse du Karistal. Elle toucha délicatement l’Augure, qui s’imprégna de son mana argenté, qui pulsa.

Soudain, une image se forma dans l’orbe : Caïn, entouré de quatre êtres extraordinaires, luttait contre Dieu. Des flammes infernales et des éclairs divins s’abattaient, mais ils restaient vaillants et unis.

Stupéfait, Il se rapprocha de sa rédemptrice. La prophétie était claire : sa pénitence consistait à se dresser contre le chao de son benjamin afin de préserver l’équilibre régissant les Royaumes.

— Le sort de l’univers est écrit depuis le commencement, révéla sérieusement sa bienfaitrice. Il ne t’appartient pas de le changer, mais de l’opérer. Tout cela devait se produire puisque la Créatrice la voulut ainsi, mais seulement jusqu’à un certain point...

Elle se tue, attendant de voir s’il réalisait la portée de sa confession. Mais non. Cette offre apparue comme une chance de salut, le Vampyr acquiesça avec gravité.

— Tu dois apprendre à te pardonner et à te laisser aller. Seulement alors, pourras-tu avancer.

Ses démons le hantaient depuis trop longtemps.

— Je vous fais confiance, dit-il, tremblant légèrement.

Sentant sa vulnérabilité, elle l’enlaça doucement.

— Oublie ton passé, aujourd’hui tu renais.

Son étreinte relâchée, elle le toisa :

— Mais attention, les Écritures ne mentionnent nullement la victoire. C’est à toi de t’en assurer. Tu es maître de ton épopée.

Dame Nature se piqua le doigt sur une épine au sol, puis invita Caïn à ouvrir la bouche. Une goutte argentée tomba dans sa gorge : ses traits se détendirent, et révélèrent un teint moins cadavérique. Sa soif qui le consumait s’évanouit, et il n’eut plus à se réfréner, car, depuis son arrivée, il ne cessait d’imaginer se nourrir de sa compagne.

— Voilà, maintenant tu es apaisé et immunisé contre les affres du jour. Prends soin de cette nature et de ces êtres qui l’habitent, sinon ce cadeau te sera reprit. Ce fluide, c’est la vie, la tienne, celle des êtres vivants et celle de la terre elle-même. N’oublie jamais cela.

Caïn observa son environnement et vit l’écosystème dans toute sa splendeur. Son existence avait un sens ; plus que ça, la paix l’envahit. Alors, répondant à son instinct, Ëlara l’embrassa. L’Archange déchu rétorqua avec engouement à son premier baiser.

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