Chapitre 7 – Sodome

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Une fissure entre les Royaumes. Lucifer émergea d’une grotte, un spectre qui aspirait à répandre son influence pernicieuse.

Ses pas faisaient trembler la Terre, causant destruction et dévastation. Les plantes fanèrent, les animaux s’enfuirent, et les rivières se tarirent.

Au cœur du désert du Jourdain, il se dressa, entouré de dunes hâlées, tenant sa fidèle arme, la fourche chthonienne. Le démon était avide de conquêtes, de meurtres et de manipulations pour s’approprier cette planète dont les décors lui parurent infiniment plus plaisants que l’Enfer. Au fur et à mesure de sa progression, les lueurs des flambeaux surplombant Sodome se dessinaient. Les murmures discordants du désert s’entremêlaient. Lilith, à qui il vouait une déférence absolue, avait méticuleusement conçu ce plan, ourdissant perfidie et tromperie. Lucifer ingurgita une potion du cru de sa Reine. L’essence ardente s’intensifia alors qu’il plongeait dans les arcanes maudits. Les mots du langage infernal s’échappèrent de ses babines :

« Byvranth al’kradha, sha’kambla thra’nar,

Sélaerith durgath, velsharik malthar. »

Au moment où la psalmodie s’accroissait en vibrations, une force primordiale enroula la fourche. Ses contours se muèrent en un bâton de cèdre. La douleur voluptueuse l’envahit, et, sans réserve, il s’y abandonna. Sa silhouette convulsa, s’arc-bouta et se déforma, pendant que son ossature se disloquait pour se reconstituer, que ses organes mutaient et palpitaient. Ses cornes se rétractèrent, se fondant dans sa chair, tandis que ses iris s’éteignirent pour dévoiler une dimension champêtrement captivante. Sous l’éclat d’Hélios, Lucifer se montra sous l’apparence d’un homme d’âge mûr, tenant fermement sa canne. Sa crinière de braise s’étendit. Une barbe rousse borda son visage, portant les stigmates du temps. Une soutane vive recouvrit sa parfaite nudité, puis il se dirigea vers Sodome.

Curieux face à cet étranger, les citadins émaciés l’encerclèrent. Initialement pacifiques, les sodomites examinaient Lucifer sous un prisme de suspicion. Entre eux, les échanges de regards devenaient lourds de non-dits, leurs pupilles flambants de mécontentement. Des murmures acerbes naissaient de leurs lèvres, chacun ajoutant du feu à la touffe déjà allumée. Les sourires s’étaient transfigurés en grimaces à peine voilées de fureur.

Les mots tranchants se muaient en duels oraux incendiaires. Les postures se faisaient menaçantes, chaque main se crispant en un poing en réponse aux paroles haineuses. Le climat quiet céda sa place à une fournaise d’animosité que l’on pouvait presque toucher. Des discordes éclataient, les timbres vocaux s’intensifiaient, et des factions germaient.

Sans crier gare, la mèche atteignit la poudrière. Les bousculades verbales se convertirent en affrontements physiques, la brutalité se proliférant telle une épidémie. Des hurlements de rage et de souffrance se fondaient dans une cacophonie chaotique. La métamorphose était totale : ceux qui avaient vécu en symbiose se déchiraient maintenant dans une férocité mutuelle, toute trace de civilité s’étant dissoute. Satisfait de son influence qui se propagerait dans cette cité d’argile et de pierre perdue au cœur de la lande stérile, il prit le temps d’observer. Les bâtiments en ruine, témoignages des efforts acharnés déployés, s’élevaient au milieu des ruelles boueuses.

Le son des marteaux résonnait, accompagné du grincement des charrettes trimbalant les matériaux de construction. La chaleur suffocante oppressait les travailleurs, qui s’éventaient éperdument pour tenter de se rafraîchir. Des enfants décharnés mendiaient de l’eau aux passants, leurs lèvres cassantes, suppliantes prouvaient la sécheresse. La saleté et la maladie, omniprésentes, faisaient écho à la détresse miséreuse des habitants. Des figures creusées par la fatigue et l’inanition croisaient son chemin, pendant que des prières étouffées montaient des plus désespérés.

Par ailleurs, au cœur de ce décor charmant un sanctuaire imposant trônait, une métaphore de la sollicitude céleste. Les colonnes ornées de sculptures et de bas-reliefs touchaient les cieux. Le halo du soleil réfléchi sur les dorures du temple lui allouait une solennelle sainteté.

Les prêtres, vêtus de robes d’une blancheur éclatante rehaussées de détails exquis, se courbaient devant les grandioses portes d’argent dont ils avaient la garde. Une atmosphère empreinte de splendeur régnait, formant un contraste saisissant avec la pauvreté ambiante.

Lucifer scruta cette scène, s’en repaissant. Faire sombrer Sodome dans la corruption représenterait un triomphe majeur, une ouverture dans la dévotion cultivée par son mioche, affaiblissant ainsi sa puissance en perpétuelle augmentation.

Non loin de là, un moine prétendant propager la parole de Dieu exhortait la cohue à se repentir de ses péchés. Intrigué, Lucifer fouilla son esprit, et découvrit les ambitions sinistres de ce prêcheur. Égal à un loup dissimulé sous les traits d’un agneau, il cachait ses idéaux maléfiques, savourant déjà le plaisir d’abuser de ses fidèles.

Sous l’attention de la foule, le Malin se mit en marche, explorant les alentours. Les corps déformés par le malheur de la faim ne firent qu’ajouter à sa jubilation. Partout où il passait, les ombres s’épaississaient, les cœurs se perdaient.

Tout à sa dévoration des pires sentiments, il croisa un individu, jeune et charismatique, duquel se degageait une beauté radieuse, qui s’affairait à donner des instructions à quelques ouvriers.

Accoutré d’une bure rouge écarlate, symbole de son statut de chef, David se démarquait parmi ses sujets affaiblis. À Sodome, l’Abbé brillait tel un phare d’espoir au milieu de la pénombre. Son apparence soignée et ses parures précieuses témoignaient de sa moralité, promettant un avenir meilleur pour tous.

Un frisson inhabituel parcourut son échine, lui faisant dresser les poils. Ses yeux se posèrent sur l’étranger, ravivant les souvenirs prophétiques reçus de l’Archange de vérité.

Dans ces songes, l’émissaire de Dieu le prévint de l’arrivée imminente du déchu en son royaume, l’avisant de ses sombres desseins. Ces rêves s’accompagnaient d’une connaissance instinctive, d’une perception aiguë des signes qui trahissaient la présence démoniaque.

David fit face au Seigneur des Enfers sans aucune appréhension. D’un dédain marqué de curiosité, il lâcha :

— Lucifer, je suppose ! Je me prénomme David. Voici donc l’incarnation du mal. Qu’accorderais-tu à ces affamés de Sodome, si ce n’est des promesses creuses ? 

Lucifer esquissa un sourire sarcastique avant de rétorquer :

— Toi, tu m’as l’air repu en comparaison. La vertu et la compassion garnissent-elles les ventres ? Je peux octroyer des terrains fertiles, des récoltes abondantes, des trésors ahurissants. Tout ce qu’ils ont à faire est de payer le prix.

David resta imperturbable et répliqua :

— Je n’ai pas besoin de le connaître... je devine qu’il atteint un niveau excessif. L’aisance matérielle ne satisfait pas le vide intérieur, elle ne fait que cultiver l’avarice et la corruption. J’offre aux Sodomites l’opportunité d’étreindre le vrai bonheur, de bâtir une communauté sur les valeurs célestes.

Jouant avec l’ironie, le démon reprit :

— Les prétendus préceptes divins. Un simulacre entravant le potentiel ravageur de ton espèce. Ne te méprends point, vous inspirez bien plus de crainte à ce morpion que ce qu’il t’insuffle de terreur. Visualise toutes les merveilles que je pourrais engendrer. Tout s’épanouirait, les coffres regorgeraient d’or et de gemmes. Unis, nous édifierions une cité d’une magnificence inégalée.

Résolu, David argumenta sans faillir :

— Je refuse de faire alliance avec les ténèbres pour une richesse éphémère. Les Sodomites méritent mieux. Ils s’orienteront vers la pureté afin de surmonter l’adversité.

— Maintenant qu’ils ont expérimenté ma perversion, la faiblesse les poussera vers moi. Ce jour-là, ta résistance sera éprouvée.

— Je suis là pour les guider, et rappeler que l’authentique grandeur ne se saisit qu’en embrassant la voie de Dieu. Tu ne triompheras jamais de notre volonté à s’améliorer.

Sur ces mots, l’Abbé tourna les talons, s’éloignant sans peur aucune, car Michael l’avait placé sous sa protection et l’assurance de sa foi écartait toute crainte de représailles. Lucifer le fixa un instant, sa ferveur d’orgueil alimentant sa frustration. Cependant, ses attaques verbales se brisèrent contre l’imperturbable ecclésiastique.

C'est enragé qu'il expulsa une salve de malédictions sur David. Celle-ci fut repoussée, revenant à l’envoyeur sans causer la moindre douleur. Nul doute qu’un Archange se planquait dans les parages. Démuni devant ce miracle, le Malin s’évanouit dans l’obscurité d’une sinistre ruelle.

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