Chapitre 12 : L’inquisition du Seigneur.
Dans l’enceinte du Palais Boréal, l’atmosphère, dense tel une mer d’orage, pesait sur les êtres célestes qui y flottaient. Leurs visages étaient des masques d’indifférence. Une salle aux dimensions incommensurables abritait une présence aussi vaste et sombre qu’un abîme. À ses côtés, son oncle, baigné dans une clarté d’entre-deux, émanait une révolte à peine voilée. Dieu, froid, le toisa, puis exigea :
— Michael, parle. Qu’as-tu vu en Sodome ?
Évitant le jugement abyssal du « Tout Puissant » qui aimait croire qu’il le terrorisait, l’archange inspira :
— C’est un puits de corruption, Lucifer y a tissé sa toile.
Un sourire cruel le fendit.
— Les âmes sont-elles mûres pour la moisson ?
L’archange se crispa, sa mâchoire se serra.
— Elles sont damnées, sans aucun doute. Mais est-ce inévitable ?
— Ce qui est nécessaire n’a pas de valeur. Quelle est ta proposition ?
Un sourcil levé, une moue cynique et, les bras croisés, l’oncle se perdit dans ses pensées :
« Si le gosse se met à bouffer la spiritualité pourrie de Sodome, il deviendra ingérable. »
Soulevant légèrement les épaules, il finit par rétorquer :
— Pourquoi ne pas les impressionner ? Un spectacle pour les terrifier ?
Un ricanement aussi froid que le craquement d’un glacier échappa à Dieu.
— Un avertissement ? Intéressant. La peur, après tout, est le plus délicieux des condiments. Prépare-toi, tu seras mon héraut.
— Il en sera fait selon ta volonté, Seigneur neveu.
Leurs regards se rencontrèrent, dépourvus de bonté, mais emplis de perfidie. Puis, dans un battement d’ailes, Michael s’envola, prêt à accomplir le ténébreux objectif.
Dans la salle, une influence indiscernable se mit à l’œuvre. Et pour cause, depuis son fief Le Fondateur imprégna son pantin préféré de ses exigences.
— Attends, murmura-t-il, d’une nuance quasi sympathique.
L’archange, déjà à mi-chemin entre les dimensions, se figea, dans un halo vacillant.
— Seigneur ?
— Je vais moi-même en Sodome. Il est temps que je comprenne l’attrait de ses humains pour mal.
Un tressaillement parcourut l’Archange :
— Vous-même, Seigneur ? Est-ce sage ?
— La sagesse n’est pas dans l’inaction. Parfois, elle réside dans la confrontation directe.
Imperceptible, Dieu fit un pas en avant. L’espace se courba sous son joug, les murs du Palais Boréal frémirent sous l’assaut de son népotisme.
— Je vais évaluer la situation et décider du châtiment le plus approprié.
Intérieurement soulager l’oncle s’inclina :
— Qu’il en soit fait selon votre volonté, Seigneur !
Élevant la paume, le Divin s’évapora dans l’éthéré, déclenchant une onde sismique qui fit trembler les fondements du Paradis. Les séraphins, Chérubin et autres castes perçurent une transformation subtile – la lourdeur atmosphérique du royaume s’était allégée.
Michael, resté dans la salle aux dimensions infinies, sentit le poids maléfique s’estomper.
Dans une venelle obscure de Sodome, Dieu refit surface, modulant son aura pour se mêler incognito à la population mortelle. Pourtant, même dans cette discrétion, il dégageait une présence qui le distinguait. Des courtisanes, leurs atours dévoilés, l’abordèrent avec des sourires lascifs. Perturbé, il tenta de faire appel à sa clarté pour les éloigner, mais il découvrit, à son grand étonnement, que leur dépravation les immunisait contre son pouvoir.
Esquivant leurs avances, tel une anguille glissant entre les rochers, il s’échappa de ce piège sensuel, se promettant d’y repasser avant de rentrer. Sa conscience parcourut la ville, cherchant des âmes pures parmi la corruption. Mais tout ce qu’il trouva fut souillé, noyé dans le vice.
Cependant, une lueur solitaire émergea dans la masse scabreuse. Piqué de curiosité, il s’évanouit dans l’impalpable pour resurgir sur le rempart septentrional. Là, un homme était agenouillé, adressant ses prières au ciel constellé, ses larmes entremêlées à des supplications ferventes.
Dieu s’en approcha. Pour la première fois, depuis des temps immémoriaux, il sentit une pointe désagréable d’espoir. Rapidement il fouilla son esprit en prenant garde à ne pas le blesser. Il s’appelait Loth, honorable descendant d’Abraham.
« Ah, il pense que les étoiles vont lui chuchoter des réponses. Comme si les astres allaient écrire son destin dans la poussière sous ses pieds. »
Un frisson d’amusement le parcourut puis dans un éclat, soudain, il laissa tomber le voile de sa mortalité. Ses ailes se déployèrent dans un halo de pureté, capturant les rayons de lune et les transformant en une auréole scintillante au-dessus de sa blonde chevelure. Loth leva la tête et fut instantanément captivé. Ses pleures cessèrent, remplacées par un émerveillement naïf, mêlé d’un effroi révérenciel, incapable de parler tant Sa Majesté le submergeait.
Touché par cette réaction Dieu s’accroupit prêt du dévot. Sa voix, exempte de toute trace de froideur, résonna :
— Ne crains rien. Ton dévouement à mon culte dans cette cité pernicieuse ne m’a pas échappé.
L’homme, toujours à genoux, réussit enfin à trouver ses mots, bien que bafouillant :
— Seigneur, suis-je digne d’une telle visite ? Sodome est une terre d’iniquité ; je suis simplement un cœur perdu cherchant le salut.
Dieu le toucha, ses doigts irradiait d’une chaleur presque paternelle.
— C’est exactement la raison de ma présence. Quelle action juges-tu opportune pour le bien des Sodomites ?
Loth hésita, puis avec une sincérité désarmante assura :
— Je ne suis pas en position de trancher, Seigneur. Mais si une âme peut être sauvée, alors peut-être qu’elles méritent toute une chance de rédemption.
Il se demanda si la destruction totale ne prévalait pas sur l’avertissement. Dieu pesa les propos de l’homme pieux. Une décision se cristallisa dans son esprit, claire comme de la célestine.
— Loth, écoute-moi attentivement. As-tu de la famille ? Gendres, fils, filles ? Fais-les sortir de cet enfer. Car l’heure de mon verdict est proche. Afin de t’octroyer le temps suffisant, je punirais d’abord les Gomorrhite.
Pâle, mais résolu, Loth acquiesça.
— Je comprends, Seigneur. Nous partirons au plus vite.
— Une dernière chose. Ne vous retournez pas durant la fuite. Ce qui arrivera est un acte de justice divine, et il ne doit pas être témoin de doutes ou de regrets.
Incluant la gravité de la situation, le croyant hocha la tête.
— Il en sera fait selon votre volonté, Seigneur.
Dieu disparut à nouveau. Loth se tourna et courut vers sa demeure.
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