Dans la grotte aux parois calcinées, une lueur cramoisie rappelait l’hémoglobine coagulant dans les veines des trépassés. Des colonnes de feu, aux teintes d’orange et d’ébène, s’élevaient en volutes, mettant en evidence les visages grotesques des infernaux et des âmes damnées. Une cacophonie de cris stridents et de rires gutturaux s’entremêlait aux chants dissonants, créant une sinistre harmonie qui réverbérait dans les Abymes.

Des tables de banquet s’étiraient, couvertes de plats abjects qui auraient glacé le sang de tout mortel : araignées carbonisées, globule de basilic en gelée, et autres atrocités culinaires. Des coupes de lave en fusion étaient portées aux lèvres des sous-fifres, grisés par ce breuvage bouillant.

Au centre de cette orgie sensorielle, les deux souverains trônaient, leurs prunelles scintillant de malice . Lucifer endossait une bure rouge rubéscente, incrustée de gemmes qui pompaient la chaleur environnante. Une exhalaison de soufre en émanait, jointe à celle de son cuir et du métal enfiévré. Sa posture était celle d’un guerrier, les épaules larges et le dos droit, prêt à bondir à tout moment.

À ses côtés, la reine Lilith incarnait la séduction. Vêtue d’une robe de soie rouge sang, elle dégageait une sensualité brute. Sa bouche pulpeuse, d’une érubescence intense, promettait à la fois le plaisir et la douleur. Un effluve entêtant de musc et de ronces flottait, créant un contraste saisissant avec l’odeur de son époux. Autour des monarques, la cour démoniaque se tenait. Chaque bête terrifiait : certains irradiaient d’une froideur qui te briserait l’âme, tandis que d’autres diffusaient une ardeure asphyxiante. À la droite de Lucifer trônait Belzébuth, incarnation de la gourmandise. Habillées d’un exosquelette chitineux, ses prunelles d’ambre balayaient l’assemblée. Incontestablement, il était en quête de sa prochaine proie. À sa gauche, Asmodée, la Luxure. Non loin de Lilith se trouvait Malphas, le grand sénéchal, sous la forme d’un corbeau gigantesque, riait d’un coassement mélodieux, qui masquait une cruauté sans fin.

Leurs sujets interagissaient avec une politesse perverse, échangeant des compliments voilés de menaces à peine dissimulées. Des fantômes circulaient, portant des plateaux d’œuf du diable. Ils savouraient chaque instant, chaque hurlement et éclat de rage ajoutant une nuance à leur décadence. Lucifer tenait une coupe en os, remplie d’un liquide sombre qui fumait légèrement. Lilith, quant à elle, jouait avec une dague, la faisant tourner entre ses doigts avec une habileté déconcertante. Soudain, l’orbe enchâssé dans un pentacle gravé au sol s’embrasa. Les piaillement vacillèrent, les chants se turent, et les attentions convergèrent vers le Prophète Infernal. Il projeta une une ruelle de Sodome, où Dieu tentait de se débarrasser d’une horde de catins.

— Il semblerait que notre fils entre dans la danse, murmura le diable, un rictus ourlant ses lèvres.

Un rire méphistophélique résonna. Le Prophète s’éteignit, les flammes reprirent leur pantomime, et le chœur des damnés redoubla de ferveur. En toute discrétion, un signal fut fait à Mammon. Ce dernier, à contrecœur, quitta sa compagne aux charmes tentaculaires et se dirigea non pas vers le trône, mais vers une alcôve adjacente. Là, les représentations spectrales de ses seigneurs l’attendaient déjà. Un signe de tête subtil accueillit l’avide Avarice.

— Des événements pressants requièrent notre attention, déclara Lucifer.

— Quand le maître convoque, on ne peut que se plier à sa volonté. Qu’est-ce qui justifie une interruption de mes réjouissances ?

Lucifer fixa son supot, puis annonça :

— Dieu prépare quelque chose à Sodome, et je veux en connaître les détails.

Mammon, intrigué, acquiesça.

— Cela paraît risqué, surtout si cela implique de s’approcher de votre perfide rejeton.

Lilith frôla Avarice du plat de la main, puis le gifla si fort que sa nuque se brisa :

— Nous seuls avons le privilège d’insulter notre maudite progéniture.

Alors que Mammon se replaçait le cou, Lucifer, amusé par le caractère de sa femme, s’esclaffa, puis poursuivit :

— Tu as un talent pour te fondre dans les ombres, pour écouter sans être vu. Découvre ce que Dieu manigance et rapporte-moi ces informations.

Sortant de l’extase due à la violence dont l’avait gratifié son fantasme, il dépeignit une grimace de convoitise :

— Et quel sera mon gain dans tout cela ?

— Tu lorgnes sur le titre de prince depuis longtemps, je crois !

— Dans ce cas, considérez que c’est fait. Je partirai immédiatement.

Avec l’ongle acéré de son majeur, le Diable déchira le voile entre l’Enfer et la Terre.

— Traverse cette faille. Elle conduit à proximité de Sodome, indiqua le cornu.

Mammon s’approcha, mais avant même de franchir le seuil :

— Attends, dit Lilith, tenant entre ses griffes une petite fiole contenant un liquide iridescent. C’est une potion de métamorphose. Elle te permettra de prendre n’importe quelle forme. Utilise-la pour te fondre dans l’environnement et échapper à la détection divine.

— Un outil précieux, en effet. Merci, majesté, susurra-t-il en la saisissant.

— Et reviens avec des informations qui nous donneront l’avantage, ordonna Lucifer.

Mammon inclina la tête, glissa le flacon dans un de ses nombreux orifices et s’avança vers la faille :

— Je ferai de mon mieux pour ne pas vous décevoir.

Fier et confiant, il franchit le seuil et disparut. Un regard complice fut échangé entre les amoureux :

— Le jeu devient de plus en plus intéressant, murmura le roi.

— Et nous n’en sommes qu’au début, ajouta la reine.

Dans l’antre principal, la fête se poursuivit alors que, portée par l’excitation du moment, le couple infernal se besogna à la vue de tous.