Chapitre 15 – Une Nuit à Sodome

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Mammon, maculé de sang, jaillit des profondeurs d’une caverne. Un sourire maléfique s’esquissa sur ses lèvres pourpres, exalté par l’accomplissement de sa mission. Honoré d’être l’émissaire du Diable, il ignorait toutefois que son Maître le considérait son sacrifice acceptable en cas d’inopinée rencontre avec Dieu, contrecarrant de la sorte les plans préétablis.

Le messager choisit de traverser la vallée du Jourdain avec une lenteur calculée, évitant ainsi d’éveiller les sentinelles disséminées dans les hauteurs. Grâce à une potion de Lilith, il se métamorphosa en un humain, noir de peau, aux corps musculeux qui dégageait un charme indéniable.

Alors que sur le rempart septentrional Dieu quittait Loth, Mammon franchit les portes maudites de Sodome. Seuls des œillades envieuses ou intéressés s’appliquèrent à sa nudité, sans lui causer la moindre gêne. À sa droite, sur un amas de tonneaux, trois personnes rondouillardes se goinfraient et s’enivraient en s’étreignant violemment. D’autres trimbalaient des marmites remplies d’une substance merveilleusement nauséabonde. Il y plongea voracement sa main et se régala de ce ragoût fangeux avec une fébrilité délectable.

Son chemin se poursuivit au milieu des bagarres, des viols, des larcins et d’autres méfaits jugés inappropriés par les simples mortels, qui pourtant s’y adonnaient en secret ou sous couvert de bonne conscience. Des putains vinrent le cajoler, éveillant des sens qu’il ignorait jusqu’alors. Mais cela faisait chapitre au plan de Lilith, car rien n’échappait au hasard pour la Reine de l’enfer. Les prostituées entraînèrent Mammon dans un boui-boui sur le point de s’effondrer, le caressant et l’embrassant sur différentes parties du corps. Avant même d’atteindre la porte, une atmosphère sinistrement festive régnait.

Mammon fut enveloppé par ce cadre malsain, qu’il apprécia. Les murs décrépits exhibaient de la moisissure, tandis que le sol se trouvait jonché de débris et de crasse. S’exhalait une odeur nauséabonde, cocktail de sueur rance et de spiritueux frelaté. Les occupants du lieu ne faisaient pas exception à l’ambiance lugubre. Des gars usés s’entassaient sur des bancs branlants, leur aspect reflétant la déchéance qu’ils subissaient.

Certains apparaissait faméliques, leur peau cendrée et leurs pupilles dilatées témoignaient de la lutte quotidienne dans un monde gangrené. D’autres arboraient une corpulence outrancière, leur ventre ballonné trahissant une vie consumée par les excès.

La clientèle se constituait d’un mélange hétéroclite désillusionné aux penchants sombres. Des prostituées sans éclat, attiraient ces individus corrompus vers des pratiques obscures. Des personnes ivres vacillaient sur leurs chaises au rythme des rires dénués de joie, joints aux bruyantes querelles qui s’élevaient dans l’air lourd. Des hommes agenouillés autour de tables jouaient jusqu’à leurs dents. Les cartes truquaient, les dés trafiquaient. Parmi eux, un pustuleux à l’apparence négligée, les cheveux en bataille, pariait frénétiquement la vertu de sa petite fille. Mammon traversa ce tableau décadent avec engouement. Cette déchéance trouva une forme de satisfaction artistique dans la contemplation de cette misère. Ces âmes perdues servaient parfaitement à ses desseins infernaux. Bientôt, lorsque son essence les aura tous dominés, les siens pourront les posséder, puis s’exiler aux quatre coins du monde pour propager l’impiété.

Alors que les courtisanes frayaient un chemin, des bêlements obscènes flanqués de gestes suggestifs accompagnèrent leur passage. Le spectacle grotesque ne faisait qu’exacerber ses penchants maléfiques. Il se sentait tel un roi dans cet univers paradisiaque où le péché régnait en maître, une sensation indescriptible.

Tandis qu’il savourait les délices de la débauche qui l’entourait, les murmures lascifs et les rires effrontés se fondirent dans le bruissement des vices.

Inopinément, une femme apparut, glissant avec grâce à travers la foule dépravée. Son voluptueux déhanché l’ensorcela. Vêtue d’une toge diaphane d’un bleu intense, ses courbes affriolantes se dévoilaient avec art. Elle s’en approcha, aguicheuse. Son regard brûlant transmettait une prophétie implicite, faisant naître une étincelle de désir entre eux.

— Bonsoir, toi ! Je suis Do. J’ai remarqué ta curiosité. Ton allure et tes attributs chevalins m’ont captivée. Je ne pouvais résister à l’envie de te découvrir davantage.

— Enchanté, Do. Ta beauté et ta fraîcheur attisent mon intérêt. Tu ne ressembles en rien aux femelles décrépites que j’ai croisées. Que fais-tu dans cet endroit empreint de décadence ?

Do se caressa sensuellement : ses doigts effleurant lentement le tissu soyeux. Sa voix, remplie d’effronterie, s’éleva :

— Oh, Mammon, je suis une fanatique des plaisirs de la vie. Je suis attirée par ceux qui osent se plonger dans l’inconnu, qui embrassent la déchéance. Je sens en toi cette audace qui m’appâte tant.

Elle se blottit contre sa nudité, ses mains baladeuses à la découverte de sa chair ferme.

— Tu excites mon appétit. Qu’est-ce qui t’amène vers moi ce soir ? Quelles sont les promesses langoureuses que tu murmures à mon oreille ?

— Je veux te révéler un monde où les fantasmes les plus exaltant prennent corps, où la tentation et la luxure ne rencontrent aucune limite. Suis-moi et, ensemble, nous goûterons aux jouissances que Sodome offre à ceux qui ont l’outrecuidance de s’y aventurer.

— Tu as éveillé en moi des aspirations insoupçonnées. Je suis prêt à me laisser emporter par cette passion pleine de garanties. Montre-moi ton univers et fais-moi succomber à ton charme enivrant. 

Dans un silence tendu, ils avancèrent bras dessus bras dessous à travers les sombres et sinistres ruelles de Sodome.

Arrivé à destination, Mammon pénétra dans le modeste logis de Do, plongé dans une semi-pénombre, le halo vacillant des bougies créant des ombres agitées sur les murs. Do, désormais seule avec sa proie, progressa lentement vers lui. Les mouvements gracieux de ses mains sur sa toge révélaient habilement ses tétons légèrement bronzés.

— Bienvenue dans mon humble demeure. Je suis ravie de t’accueillir ici.

Le sourire malicieux du Prince de l’enfer s’élargit, se mêlant à une lueur de convoitise.

— L’honneur m’est tout acquis, belle Do. Je suis curieux de découvrir ce que tu vas m’accorder.

Leurs paroles s’ancraient dans un jeu de séduction, une danse subtile entre la tentation et la prudence. Mammon sentait les pulsations d’un désir inconnu à la gent infernale, tandis que Do cherchait à le captiver, à le pousser vers une voie de perdition.

— Permets-moi de t’offrir du vin, cher ami. Un délice qui éveillera tous tes sens.

Mammon accepta d’un signe de tête, l’étudiant attentivement, pendant qu’elle s’approchait d’une petite table où une amphore attendait, débouchée avec une grâce déconcertante. Elle remplit deux godets, leurs parois étincelaient à la lueur des bougies.

— Voici, cher démon, le nectar des plaisirs terrestres. Il te conduira vers des extases étrangères.

Il saisit la coupe, l’observant un instant avant de la porter à ses lèvres. Le vin glissa le long de sa gorge, réveillant des perceptions inédites et exaltantes.

— Un breuvage. Ne crois pas que je me laisse séduire si aisément.

Do sourit avec une pointe d’énigme :

— Je n’ai aucun doute quant à ta résistance, cher démon. Mais ici, dans cette demeure, nous sommes libres de nos aspirations les plus sombres.

La tension montait crescendo. Les murmures de l’interdit flottaient dans l’air, une symphonie magnétique qui les enveloppait dans un tourbillon de passions.

Soudain, alors qu’il la pénétrait avec vigueur, la porte s’ouvrit brusquement, révélant l’arrivée de Loth. Dans un éclair d’intuition, Mammon se sentit passer de l’extase à l’alerte, ses iris incandescents se fixant sur la silhouette. L’indignation était écrite en lettres de feu sur son visage.

— Quelle abomination commettez-vous ? gronda Loth, son attention oscillant entre les fornicateurs

Do, surprise, récupéra sa toge diaphane en un mouvement fluide, enveloppant sa nudité tout en toisant l’envahisseur.

— Tu te trompes, murmura-t-elle, nerveuse.

Mammon, dépourvu de toute parure, se redressa, sa posture irradiant une dignité infernale.

— Qui es-tu pour nous juger ? répliqua-t-il.

Loth, l’index accusateur tendu, s’adressa à la créature.

— Je suis un serviteur du Seigneur, et je ne tolérerai pas de telles obscénités dans cette cité déjà damnée, surtout pas avec ma propre femme !

Un sourire narquois effleura les lèvres de Mammon.

— Ah ? Que fait un homme si vertueux dans le Royaume de la débauche ?

Loth, bien que lucide de l’ironie mordante, ne flancha pas.

— Toi, aberration des abysses, tu n’as pas ta place ici.

Do, fascinée, mais inquiète, intervint.

— Assez ! Ne juge pas ceux que tu ne connais pas.

Mammon lorgna son amante, puis se tourna vers Loth.

— Alors, que vas-tu faire maintenant ?

Loth inspira :

— Je ferai ce qui doit être fait, déclara-t-il, son ton se durcissant. Le châtiment divin est proche.

Dans un élan de fureur, la créature sortie, ses griffes prêtes à lacérer. Mais au moment d’atteindre sa proie, une aura jailli de Loth, formant une barrière céleste. Repoussée avec une force défiant l’entendement, la véritable apparence de Mammon fut révélée.

Un cri horrifié s’échappa des lèvres de l’infidèle et du cocu. Mammon déchaîna sa colère, brisant tout sur son passage. Puis, il bondit, laissant derrière lui un sillage de ténèbres tourbillonnantes.

Mais il ne put quitter Sodome. Un dôme immaculé englobait la cité, emprisonnant tous les pécheurs. Les séquelles de son contact avec le protégé de Dieu commencèrent à se manifester. Des acouphènes assourdissants l'assaillirent, le poussant à lutter pour maintenir son contrôle. Il parvint à atterrir, bien que difficilement, alors qu'une migraine dévastatrice envahissait son esprit. Bientôt, l'amnésie l'engloutit, érodant sa personnalité et son intelligence. Réduit à l'état de bête féroce, il déambula à travers Sodome, laissant derrière lui un sillage de désolation. Des femmes furent sauvagement déchirées, des animaux éventrés, sans épargner même les nourrissons. Parallèlement, un halo lumineux se détachait au-dessus de Gomorrhe, fendant le ciel obscur. Des secousses sismiques préludaient à l'apocalypse imminente.

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