Chapitre 16 – La colère de Dieu.

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Le monde virevolta dans un maelstrom d’or, alors que Caïn et Ëlara jaillissaient d’un monolithe au sein de la vallée du Rift. Au bord du précipice, ils contemplèrent le contrebas, où d’obscurs nuages s’étiraient.

— Là-bas, déclara-t-elle, en pointant de l’index le gouffre.

Il acquiesça, sentant la pression croître. Élargissant à grand renfort de mana un passage à travers les rochers escarpés et les falaises abruptes, ils entamèrent leurs périples. Le vent hurlait, menaçant de les précipiter dans le vide à tout instant alors que la pénombre les avalait. Enfin, ils atteignirent une grotte. Dame Nature se tourna vers son amant :

— C’est ici !

Sans hésiter, ils franchirent le seuil – l’espace parut suffocant. Ils surent être arrivés à destination lorsque deux infernaux, plus hideux que celui visionné dans l’Oracle, se délectaient des dépouilles souillées par Mammon.

Derrière eux, une brèche sur l’enfer meurtrissait le voile entre les dimensions. De la brume verdâtre s’en échappait. Par moments, des ondes pulsaient de ténèbres.

Tous deux puaient l’angoisse, mais il resserra sa prise sur le pommeau de son épée. Avec assurance il s’approcha, sa lame virant aux cramoisies. Il respira, puis se lança. Sa gestuelle fluide lui permit d’éviter les assauts avec une finesse millimétrique. À ses côtés, sa femme se tenait fièrement, polarisant les éléments. Des typhons l’encerclaient, tandis que des éclairs crépitaient entre ses doigts. L’un des démons rugit d’indignation et se rua d’un bond, déclenchant une série de coups ; le Vampyr se dégagea, se mouvant avec virtuosité, cherchant à déstabiliser l’adversaire.

Dame Nature expédia ses tornades, esquivées de justesse. Alors qu’il chargeait, elle invoqua une pléthore de bambou qui établit une barricade entre eux et l’ennemi. Exploitant cette occasion, elle centralisa l’énergie de la terre. Soudain, des piliers rocailleux émergèrent puis s’écrasèrent sur les suppôts du Diable. La caverne tressaillit sous la retombée, les engloutissant sous une avalanche de pierres.

Sous la masse de débris, les monstres grondaient d’une frustration grandiose. D’un geste puissant, ils projetèrent les roches dans toutes les directions. Alerte et réactif, le Vampire bondit avec souplesse, planant avant de se poser avec élégance. Prêt à en découdre, Caïn passa à l’offensive – son épée fendit l’air dans un ballet funeste. Le premier se releva avec une férocité renouvelée, les bombardant de flammes qui consumèrent la zone.

Ëlara matérialisa une bulle d’eau qui les protégea du brasier. Puis, elle forma un tourbillon qu’elle expulsa vers la bête. Le vent soufflait vivement, tourmentant la fournaise qui vacillait. Consciente de l’importance de l’instant, Dame Nature se concentra. Les bourrasques se renforcèrent pendant que le tonnerre zébrait le firmament souterrain ; l’antre se nimba d’un halo spectral. Le second riposta avec une séquence de mouvements fulgurants, d’une violence dévastatrice. Caïn esquivait avec agilité, à la recherche d’une ouverture, d’une faille dans sa défense. Devant l’infernal, un mur de feuillage dense s’éleva, les aveuglant provisoirement. S’emparant de l’opportunité, le Vampyr chargea avec une rigueur accrue. Sa lame ondulait alors qu’il se déchaînait. Ses estocs trémulaient de sa colère – à laquelle il s’abandonna corps et âme. Meurtris et désorientés, les démons firent un ultime effort pour contre-attaquer. Un rayon d’ébène prit forme dans leur patte jointe.

Au moment où ils libérèrent le phénomène, Ëlara créa un champ de force. L’assaut le frappa de plein fouet, mais le bouclier tint bon.

Profitant de cette chance, Caïn détacha deux de ses clones en avant. Surpris, le premier démon n’eut pas loisir de réagir et se retrouva décapiter. Le ménechme restant chopa le cou du second  ; sa tête s’arracha sous l’impulsion de sa vélocité. Avec une frénésie dévorante, il l’envoya contre l’une des parois ; sous l’impact, son contenu se déversa, aspergeant la doublure qui, après un cri de rage, se dissipa prestement, à l’instar de son homologue. Sous le stimulus d’Ëlara, les rafales grondèrent, les vêtements s’agitèrent, tandis que les cheveux flottaient. Ses foudres éclatèrent, pendant que des racines surgirent pour progressivement sceller ce vortex. Dame Nature arqua les sourcils et plissa ses paupières. Elle balança avec précision ses sortilèges jusqu’à ce qu’il n’y ait plus trace de la menace. Après cela, les crépitements s’évaporèrent ; une accalmie bienvenue s’installa ; l’écho de la victoire, porteur du triomphe, résonna.

— Il est possible que d’autres aient réussi à quitter cet endroit. Restons vigilants. 

Caïn approuva et recentra son attention sur l’émanation qui le menait vers l’extérieur. À en juger par les flambeaux lointains, leur proie se dirigeait vers une cité. Sans perdre de temps, Ëlara émit un appel psychique à la faune environnante, et deux zèbres, qui s’abreuvaient à proximité, y répondirent immédiatement. Elle se hissa sur la femelle. Le mâle, effrayé par Caïn, tenta de s’échapper. Succombant à l’influence d’Ëlara, l’animal se retint et fléchit les jambes.

Suivant les instructions télépathiques, les destriers sauvages se précipitèrent. L’odeur persistante de viande grillée confirmait clairement au Vampyr qu’ils empruntaient la bonne piste.

Alors qu’ils approchaient de Sodome, les torches devenaient plus vives, les sons du chaos et de la panique s’amplifiaient. Les pleurs terrifiés des habitants se mélangeaient aux secousses résultant de la chute de Gohmmore.

En pleine méditation, Ëlara fut traversée par une perception familière ; ses iris se révulsèrent.

La Créatrice se montra, assise sur un trône d’obsidienne au milieu des étoiles. Elle irradiait d’une aura à la fois sympathique et inquiétante.

Autoritaire, elle s’exprima :

— Ma fidèle servante, le destin s’apprête à s’exalter. Agis sans tarder. Capture le démon vivant, laisse Dieu à sa destruction imminente. Sois sans crainte, vous êtes sous ma protection. Aucune barrière ne vous signalera, car je veille sur vous.

Ses propos résonnaient, détenteurs d’une vérité transcendante. La Créatrice avait parlé, et ses ordres ne pouvaient être ignorés. Le poids de cette mission s’appesantit sur ses épaules alors que la vision se dissipait. Le rythme des zèbres ralentit quand Caïn décela l’agitation de sa compagne. Bien qu’elle n’en développe aucun symptôme, elle portait la vie, et cette conscience exacerbait ses inquiétudes quant à sa sécurité. Malgré ses soucis, il gardait une sérénité feutrée :

— Ëlara, chuchota-t-il, tout va bien ? Qu’as-tu aperçu ?

Reprenant sa respiration, elle apposa une main protectrice sur son ventre et répondit :

— Je l’ai vue. Elle m’a confié une tâche primordiale. Nous devons capturer le démon et abandonner Sodome aux courroux de Dieu.

Caïn haussa un sourcil :

— Sauver le démon ? Laisser mon frère à la destruction ? Cela se révèle un périple des plus saugrenu et des plus osés. 

Elle caressa sa joue.

— Je le sais. Mais la Créatrice nous conduit, et je sens que nous devons affronter cela ensemble, malgré les apparences.

— Nous sommes contraints d’opérer avec prudence. N’oublie pas que tu portes nos chérubins.

Elle le rassura :

— Je ne prendrai aucun risque inconsidéré. Pis rappelle-toi que j’existais des éons avant toi, mon chéri.

— Tu es la raison pour laquelle je me bats. Sans toi, j’aurais succombé à la folie.

Leurs prunelles se croisèrent, complices, confortant leur lien indéfectible.

Ils franchirent les remparts de Sodome, leurs zèbres hennissants. Les flammes infernales dansaient sur les façades des bâtiments, formant des ombres grotesques sur les murs de pierre. Des corps inertes gisaient dans les ruelles, témoins de la décadence ambiante. Le ciel, assombri par un voile de fumée, pleurait sur la cité perdue. Ils mirent pied à terre. Ëlara étendit ses bras et des lianes jaillirent du sol, immobilisant les assaillants qui s’avançaient. Caïn, épée en main, neutralisait ceux qui échappaient à l’étreinte végétale. Des jérémiades d’enfants perçaient. Hommes et femmes, en proie à une frénésie destructrice, saccageaient tout. Les lamentations se mêlaient aux rugissements des bêtes libérées. Dame Nature toisa la voûte stellaire – une pluie purificatrice s’abattit, mais l’anarchie persista.

Au gré de leur progression, le Vampyr ressentit l’intensité de la présence de Mammon. Son instinct de chasseur le guidait. Suivant les traces d’un massacre, ils pénétrèrent un édifice en ruines. Orienté par la lueur vacillante des torches murales, le tandem s’enfonça dans les méandres du temple désacralisé. Leurs bottes foulaient un sol marqué par des empreintes sanglantes et les stigmates de Sodomites agonisants. Ces traces macabres les menèrent à une porte en bois, gravée de glyphes ésotériques, qui s’ouvrit.

À peine eurent-ils franchi le seuil que l’atmosphère se chargea d’une puanteur de décomposition. Leurs pas, répercutés par les dalles de pierre, se mêlaient aux lamentations d’âmes égarées. Ils progressèrent jusqu’à une salle où Mammon, l’incarnation de la cupidité, siégeait en maître. Ses prunelles irradiaient une démence abyssale tandis qu’il déchiquetait un vieillard en un festin de voracité.

Le démon bondit hors de l’ombre, sa gueule emplie de crocs saigneux et ses griffes garnies d’organe déchirèrent l’air. L’impact fut le coup de tonnerre dans l’œil d’une tempête.

L’affrontement culminait en un crescendo de violence. Tendus à l’extrême, les muscles du Vampyr vibraient d’anticipation. Mammon émit un rugissement, mais l’intonation trahissait une innocence cachée. Esquivant une offensive brutale, Caïn cibla des zones cruciales, faisant s’effondrer la bête en un gémissement étouffé.

Dans cet instant suspendu, Ëlara éleva ses paumes vers le ciel. Ses iris s’embrasèrent, scintillant tels des astres. Le vent se figea. Ses lèvres articulèrent une formule :

«  Xaethrak gral'nixxek, xaestrel xitrandir xêlak,

xaepouvoir kandarxek xaldirxian, xaexnaquak neshri,

ô xaelenath dirzanixak !  »

Un voile d’ombre s’échappa de ses doigts, enveloppant Mammon dans une étreinte éthérée. Le démon frissonna, ses cris stridents se muant en plaintes lugubres. Irradiant de puissance, l’aura d’Ëlara amplifiait le charme.

Mammon se tordit, sa carrure imposante se morcelant en une forme plus fragile.

— Est-ce nécessaire ? questionna Caïn, perturbé par la souffrance du monstre.

Avec une élégance sans pareille, elle sortit une fiole de sa cape et rompit son sceau.

— Ce sont les ordres, répondit-elle.

L’ennemi se désintégra en particules d’obsidienne, aspirées par le flacon. D’un mouvement majestueux, Dame Nature verrouilla le contenant. indiquant le firmament fendu, où une lueur brillante lacérait la voûte étoilée, Caïn s’horrifia :

— Regarde !

Une silhouette ailée plongea du ciel.

— Cela ne présage rien de bon !

— Halte ! gronda Dieu, ébranlant les fondements de la cité corrompue. Repentez-vous, et, peut être, vous laisserai-je en vie. 

— Penses-tu sincèrement qu’ils se soumettront ? interrogea Caïn.

Ëlara agita la tête.

— Non ! Et c’est ce qui m’effraie. 

Au lieu de l’abnégation attendue, des éclats de rire et des hurlements de défi s’élevèrent, s’érigeant dans le tumulte des armes et le vacarme des festivités. Blessé dans son amour-propre ; sa fureur atteignit un seuil critique.

Dans ce brouhaha, une simple œillade leur suffit. Leurs paumes se rencontrèrent et se serrèrent, scellant un accord muet, leurs regards fouillant désespérément une échappatoire dans le dédale de ruelles bondées.

Prise d’une intuition prophétique, Ëlara s’exclama :

— Par ici ! 

Au croisement, une sphère dorée apparut, flottant légèrement. Sans un mot, elle s’élança.

Il était dur de suivre leur guide providentiel parmi l’anarchie, mais ils tinrent bon. En chemin ils tombèrent sur des disciples de Kharia. Des lianes surgirent, des murs de feu s’érigèrent, mais, à chaque entrave, la pelote émettait un rayon volatilisant les assaillants. Ëlara murmurait des incantations, et les obstacles se transformaient en cendres.

Finalement, ils atteignirent le rempart Sud. L’orbe entonna une mélodie. Les pierres grondèrent, puis s’écartèrent, animées par une volonté propre. Sans tergiverser, le duo s’engouffra dans la brèche. Ils ne prirent de repos qu’une fois parvenus au sommet d’une dune se localisant à une distance suffisante. Sodome se dressait au loin, intimidante – un cauchemar dont ils triomphèrent.

Au paroxysme de son ire, Dieu ne se contenta pas de menaces pour manifester son indignation. L’horizon s’embrasa. Des éclairs, tels des serpents, strièrent la nuit, dessinant des arabesques qui rivalisaient avec les constellations. Le tonnerre rugissait, identique au cri de guerre d’un titan en furie, faisant trembler les âmes de ceux qui l’entendaient. Et alors que ce concert apocalyptique atteignait son apogée, des météores enflammés se détachèrent du firmament, chaque impact laissant derrière lui une cicatrice fumante.

Camouflé sous des strates de sable et d’éons, le sortilège distillé par Kharya s’enclencha. Et puis, il frappa. Des vagues ténébreuses enveloppèrent le Tout-Puissant, défigurant sa splendeur et marquant sa pureté d’une empreinte indélébile. Des filaments d’argentiglobine s’échappaient de ses blessures, flottant dans le vide. Autrefois un pilier d’autorité, sa voix, se mua en un gémissement brisé. Alors que la déchéance de Dieu s’estompait, le maléfice de la Créatrice acheva son œuvre. Le filet énergétique se resserra, tissant une frontière entre la Terre et le Divin, qui le renvoya au sein de son pompeux palais.

C’était un bannissement. La dévotion, les prières et les sacrifices des humains, qui nourrissaient sa force, furent coupés tels les fils d’un marionnettiste avec son pantin. Une séparation définitive, le laissant affaibli et isolée dans son Paradis, l’empêchant d’intervenir davantage dans les affaires du second royaume.

En amoindrissant Dieu, elle fragilisait le Fondateur. Perchés sur les remparts de la cité, Caïn et Ëlara furent les témoins aphones de l’invraisemblable. Un mélange de fascination et d’horreur peint sur leurs visages. Alors, sans préavis, un vortex doré surgit du sol à leurs pieds, tourbillonnant avec une intensité qui défiait toute compréhension. Avant qu’ils puissent prendre une décision, la sphère d’or qu’ils tenaient explosa. Une onde de choc les frappa, les catapultant dans le maelstrom.

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