Lyana et Ëlara déambulaient à travers le pavillon ouest du Palais, en quête d’un sanctuaire dissimulé loin du tumulte ambiant. Elles cheminaient le long d’une magnifique allée bordée d’orchidées géantes aux couleurs chatoyantes, dont les pétales soyeux bruissaient sous la caresse d’une brise perpétuelle. Avec sagacité, l’Impératrice conseilla :

— Fais attention où tu marches, ces fleurs peuvent te faire voir des choses étranges.

Enfin, elles atteignirent les abords d’un étang aux reflets violine, où la lueur des cristaux suspendus dansait à la surface de l’eau. Lyana l’invita à fouler ces eaux particulières. À peine eut-elle effleuré le liquide, que ses vieilles cellules se régénérèrent, ravivant sa vivacité de jeune femme.

Au cœur du bassin, sa guide matérialisa un sceptre de bois blanc en forme de serpent - ses pupilles serties de pierres précieuses. Nonchalamment, elle le posa sur l’écume, qui s’écarta pour former un puits puis encouragea Ëlara à sauter, lui promettant une expérience amusante. Hésitante, mais sans autre choix évident, elle se lança. Un tourbillon d’émeraude jaillit du fond, l’emportant à une vitesse fulgurante vers le sol.

Effrayée au début, elle finit par trouver du plaisir dans cette chute vertigineuse. Porté par sa joie. Elle fut déçue d’arriver au terme de sa folle descente, mais, bientôt, une présence familière se fit sentir…

— Des Xandriens, souffla-t-elle.

Des tubes translucides d’une envergure impressionnante, saturés de mana, s’élevaient de part et d’autre, abritant à l’intérieur ceux qu’elle avait dépossédés de leur prérogative. Même Cronos, transformé en démon par Yahvé, figurait parmi eux, tel qu’il était gravé dans sa mémoire. Voyant son trouble, Lyana se résolut à anticiper certaines révélations :

— Ces Xandriens sont originaires de notre passé. Ceux de ton monde s’avèrent être leurs clones. Ils étaient appelés Enchanteurs ici, et, à l’instar des tiens, sur ta Terre, ils ont succombé à la vénération pernicieuse distillée par les humains. 

— Et la Créatrice les a chassés et emprisonnés, c’est ça ? 

— Oui, exactement. C’est une décision difficile, mais nécessaire pour préserver l’équilibre de notre dimension. 

Alors que leur conversation se poursuivait, des bruits de talons résonnèrent dans les environs…

Kelly se présenta, habillée d’un tailleur pantalon scintillant. Sa nouvelle coiffure, ornée de joyaux incandescents, ajoutait à son aura majestueuse. À ses côtés se tenait Kieran, drapé dans une cape bleue brodée d’un triskèle, le puissant symbole de son héritage ancestral. Il portait avec tendresse une fillette de cinq ans, aux yeux d’or, aux traits de porcelaine encadrés par une longue chevelure polaire. Le Roi étreignit chaleureusement Lyana avant de lancer d’un air taquin :

— J’espère que ma femme ne t’embête pas trop avec toutes ces révélations, Ëlara. 

— Non, non, c’est juste... beaucoup à encaisser. 

— Je te comprends parfaitement. 

Pendant ce temps, la princesse, qui avait disparu un instant des bras de son papa pour récupérer sa poupée dans sa chambre, réapparut dans ceux de sa maman, souriante et jouant avec une de ses mèches.

— Qui c’est elle ? 

— Oh, ma chérie, voici Ëlara. Elle est spéciale, tout comme toi et moi. 

Attendrie, Dame Nature demanda :

— Comment t’appelles-tu ? 

D’un rictus malicieux, la demoiselle répondit :

— Lya, et j’ai cinq ans. Je suis une enchanteresse ! 

— C’est incroyable, Lya. Tu vas devenir une virtuose du mana ! 

— Je le suis déjà ! Chui géniale ! 

Pendant que le Vampyr, drapé de velours sombre, arrivait en compagnie d’Enlil, Warren, Kayna et Darriust, Kelly les observa, puis son attention se focalisa sur son aîné, suspicieuse, elle requit :

— Où est Nick ? 

— Il est occupé à régler quelques soucis avec des djinns. Il nous rejoindra plus tard.

— Je plains le pauvre bougre qui lui a cherché querelle. Paix à son âme ! 

Un tel détachement envers la mise à mort d’un individu chamboula Ëlara. Bien qu’elle ne comprenait pas sa confusion, Lyana, qu’elle devinait d’avance une grande amie, saisit avec douceur son bras :

— Alors, prête à explorer notre Terre ? 

— Absolument !

— Je te préviens, ça n’a rien à voir avec chez toi. Lorsque le Néant a détruit la planète, Enlil l’a entièrement repensée. 

Sous le pas directif de la matriarche du clan, ils traversèrent la longue allée. Ëlara prit soin d’observer avec attention les captifs, et, parmi eux, elle aperçut Ménes ! Son cœur s’arrêta un instant, Une boule se forma dans sa gorge, menaçant de laisser échapper un sanglot. Ne supportant pas le débordement d’émotions, Kayna s’en approcha.

— Cesse de pleurer, ce n’est pas ton frère. Juste un type qui lui ressemble. Et pour ta gouverne, il est ici de son plein gré. Dans notre histoire Ménes est le grand héros qui a aidé mamie dans sa traque des Enchanteurs. Si un jour ceux-ci se réveillaient, il est le premier rempart !

— C’est difficile à encaisser, tu sais.

— Peut-être, mais ça ne sert à rien de s’apitoyer. Avance.

Se faire rembarrer par une enfant froissa son ego, mais cette princesse l’effrayait au possible. Si on ne lui avait pas dit qu’elle était l’aînée de Kieran, elle aurait cru sans hésiter qu’Enlil était son père. Nul doute que le tonton faisait office de modèle. D’ailleurs, elle la planta là, se tournant avec grâce dans sa robe dorée qui virevolta. Se reprenant, et soulagée que Ménes ne soit pas un hérétique, elle pressa les talons afin de rejoindre le groupe, qui aboutit à une pièce bardée de miroirs.

Warren s’installa devant l’un, y apposa la paume. La paroi se résorba, dévoilant un lieu identique à celui qu’ils venaient de quitter. L’ouverture se referma derrière eux. Reconnaissant l’autorité des souverains, les imposants battants s’écartèrent sans qu’un seul gond grince. Kelly clama :

— Bienvenue en Khalarie, Capitale de la Terre ! 

Ils avancèrent et se retrouvèrent confrontés à un immense couloir où s’alignaient des portraits. La petite Lya, mignonnette à souhait, avertit Ëlara qu’il s’agissait de tous les rois avant son papa et ses tontons. Au cœur de cette allée démentielle se dressaient trois miroirs géants noir, bleu et vert, qui parurent très familiers aux invitées. Ce qu’Enlil sentit ; avant qu’il ne cherche à en savoir davantage, tendue, il lâcha :

— Ce sont nos dimensions privées. Interdiction de s’en approcher sans nos accords sous peine de mort imminente.

Kelly lui lança une œillade assassine, dont il n’eut que faire. Tout au long de leur marche, la magie régnait, nombre d’individus plaisantaient, s’affairaient et s’inclinaient aux passages des Darck. Ëlara s’arrêta devant la toile d’une femme d’une beauté envoûtante. Ses longs cheveux argentés flottaient, ses yeux étincelaient, et son expression apparaissait à la fois douce et redoutable. Elle était vêtue d’une robe chatoyante faite de la lumière elle-même.

— Qui est-elle ? 

Agacé par la question Enlil soupira, mais répondit tout de même :

— Andromède. C’est par elle que notre dynastie est née, une sorcière aux dons exceptionnels, aimée et respectée de tous. Son sacrifice lors de la guerre contre le Néant a été un tournant capital pour notre victoire. 

Pendant ce temps, Caïn s’arrêta devant le portrait d’un Roi noble et fier. Ses iris perçants et sa posture droite témoignaient de sa sagesse et de sa force intérieure. Il éprouva une tendresse inexplicable avec le sujet de la toile.

— Et qui est-ce ? exigea le vampire, intrigué par l’allure de cet homme.

— Merzhin. Son époux, aussi tombé face à l’ennemi.

Cependant, avant qu’ils ne puissent en apprendre davantage, l’Imperator les interrompit brusquement :

— Assez de blabla ! Nous n’avons pas de temps à perdre avec de vieilles histoires ! Continuez à avancer, nous risquons d’être en retard !

Le ton sec les prit au dépourvu. Quelque chose d’étrange se tramait, qu’ils ne pouvaient encore saisir.