La colère d’Enlil, premier des trois Rois de la magie, retentit dans l’ensemble du Palais. L’énorme trou sur l’un des murs de la salle de bal démontrait clairement qu’il ne fallait pas déroger à ses directives. Tétanisés, les domestiques disséminés dans l’immensité du lieu et des autres ailes tentaient de ne plus respirer.

— Bande d’incapables, vociféra-t-il. Allez, dégagez ! Du balai !

Effrayés et vexés, c’est les têtes basses que les pages et les servantes, engoncées dans leur tailleur réglementaire, s’exécutèrent. Certain que le dernier ait franchi le seuil, c’est d’une vague d’air qu’il claqua les battants ; l’écho du choc résonna de longues minutes. Il s’apprêtait à reconstruire la paroi détruite, cependant, l’Intelligence magificielle s’en chargeait déjà.

Il se mit à rire nerveusement :

« Qui aurait cru qu’un ordi serait plus puissant que des sorciers ? »

Remis de sa pensée, il contacta les Junics :

— Si mes très chers grands-pères pouvaient me rejoindre sur-le-champ, je leur en saurais gré.

Endossant le même costard sur mesure, cousue de leurs mains, Jonas et Anatole transparurent.

— Que nous vaut cette royale injonction ?

— Surtout que nous étions en train d’achever ta tenue d’apparat !

D’un pareil élan, ils replacèrent chacun la mèche gênante tombée devant leur œil gauche. Fasciné par le phénomène de mimétisme alors qu’il y était coutumié, Enlil se reprit et, l’intonation n’appelant pas à la réplique, enchaîna :

— Nos nouveaux sujets ne sont pas foutus d’utiliser leur chakra de façon efficace… donc, il vous revient de préparer la sauterie.

Jonas n’approuvait pas, mais avoir défié son petit fils par le passé, lui avait servi de leçon. Du coup, il ravala son fiel et acquiesça. Anatole, la mine bougonne ne se gena pas :

— Mais on a des choses à faire, et surtout, tu pourrais t’en charger plus vite que nous.

— Je pourrais ! Mais non ! J’évite de mettre à profit l’essence du Néant. Pis accessoirement… ça fait partie de vos attributions d’Intendant de la cour.

Il s’approcha de l’un et posa deux doigts sur son front afin de lui transmettre l’image mentale de son désir. De par le lien gémélique, son sosie bénéficia des doléances.

Anatole trouvait que sa Majesté se montrait peu indulgente avec les nouveaux Khal car, dans un passé pas si lointain, la plupart ne disposaient pas de pouvoir, mais il n’osa exposer son point de vue. Son acolyte ne se gêna pas :

Jonas, le regard froid peignit un rictus :

— Si tu t’es contenté de ça, il n’est pas étonnant qu’il ne parvienne à rien. C’est limite si un Khal de souche te conviendrait. Tu oublies, un peu trop souvent, que nos sujets ne sont pas capables de nos prouesses.

— Bah, ils devraient !

D’un claquement de doigts, Enlil rouvrit les portes, puis, la démarche classieuse, regagna la sortie. Avant de les quitter, il pivota et précisa :

— Pas de fausses notes ! La première célébration doit marquer l’histoire et traverser les époques.

L’Imperator avait conscience que ses sautes d’humeur mettaient sur les nerfs son entourage. En vue de se ressourcer, il décida de rendre visite à ses nièces. À cette fin, il sonda la planète. Kieran, son cadet piqueniquait avec sa famille au sud du continent.

Un vortex d’or plus tard, il surgit non loin de la clairière d’opale. Kayna qui s’occupait à tresser Eurymion n’eut pas besoin d’apercevoir son oncle pour discerner sa présence. Sa brosse tomba sur la pelouse lie de vin et, enjouée, elle s’élança.

L’oncle lui ouvrit les bras. Badaboum. Ils se retrouvèrent à rire aux éclats, étalés sur l’herbe humide. Kieran sortit du bassin et, d’une main tendue, attira la serviette de bain se trouvant sur son hamac.

— Une visite inattendue de mon illustre frère. À l’autre bout du monde de surcroit… Quel honneur !

Ne lui laissant pas l’occasion de se sécher, Lya délaissa sa maman pour apparaitre dans les bras de son papa. L’œillade sévère dont il la fustigea la fit ricaner. Puis, présentant une mine fâchée, la sorceline quitta son père pour resurgir sur le dos de son tonton :

— Allez pégase, envole-toi !

— Non !

— Tonton ! T’eu plai. Tu faire ordre de Créatrice ! Moi être Mamie Kelly !

Pour preuve, elle pencha sa tête par-dessus l’épaule de sa monture et lui planta une réplique fidèle du regard assassin de sa mère. Ne pouvant qu’obéir, il lévita. D’une poussée de chakra parfaitement jugulé ; il plana et zigzagua à travers la forêt de Rosabres. Sa blonde chevelure au vent, sa nièce était ravie. Kayna, chevauchant Eurymion, apparut près d’eux.

— Youpi ! La course ! hurla la bambine.

Il n’en fallut pas plus à la grande sœur pour fuser.

— Accroche-toi bien mon petit cœur !

— Lya prête ! Hu Pégase.

Usant de sa propre magie pour assurer sa sécurité, la minuscule princesse apprécia l’aventure, mais pas autant qu’Enlil. Dans l’optique d’éviter une crise de colère, la course s’acheva sur une victoire de Lya. Il prolongea l’instant par un combat amical contre son frère, qui l’engagea dans ses retranchements, ce qu’il affectionna grandement.

Alors que Lyana s’apprêtait à invoquer le gouter, Warren exigea la présence immédiate de son ainé. Ratrapé par la réalité, Enlil les quitta de mauvaise grâce, pour réapparaitre au sein du Palais Paladium. Au bord de pentagramme d’accession, Zargua et Farouh, ses arrière-grand-mères, l’attendaient.

N’entretenant pas de franche relation avec celle-ci, il se contenta d’un salut de tête, puis dirigea ses pas au cœur du hall central. Habitué à voir ces lieux dépeuplés, lorsqu’il fit face à la masse de scientifiques et de magicologues, il se sentit mal à l'aise. Ceux remarquant son arrivée se plièrent bien bas. Il affectionnait l’endroit et son insaisissable histoire.

— Alexa, lance la MAJ de ton magiciel, résonna la voix de son benjamin.

À la manière d’une discothèque, la pièce se mit à luire de bleu, de vert et de rouge. Connaissant l’intense réflexion peinte par Warren, le convoqué patienta. Puis, lassé au bout de trente secondes :

— Hum ! Hum !

Warren adorait lui faire le coup de l’ignorance, faisant mine de réaliser sa présence, il s’engoua :

— Wech ! Tu tombes au moment opportun. Il ne manquait plus que ton avatar.

— Heu… tu m’as demandé de venir de toute urgence. J’espère que ça va aller vite. J’ai encore deux ou trois choses à vérifier.

— Le temps nécessaire. Bref, cesse de faire le mec important cinq minutes et installe-toi sous le halo argenté au fond.

— Tu singes tellement bien mon autorité, que je ne peux que m’exécuter.

En réalité, Enlil chérissait chaque moment passé avec son benjamin. Cela lui rappelait l’époque ou il tenait le rôle de figure paternelle. Le pas exagérément décidé, il rallia l’emplacement désigné.

D’un tourbillonnement de l’index, le génie fit apparaitre son ensorcetab. Un filament émeraude s’échappa de son front pour se figer sur l’écran. Son esprit faisant corps avec la machine, il put scanner son frère sous toutes les coutures. Absorbé pas la virtuosité avec laquelle Warren maitrisait ce pouvoir, jusque-là inédit, il ne vit pas le temps s’écouler.

Lorsqu’il se déconnecta de l'appareil, le troisième Roi arborait une mine blafarde. Soucieux de son état, Enlil invoqua aussitôt une canette de coca, qu’il lui tendit.

Il ne fallut pas longtemps pour que ses centres d’énergie s’harmonisent de nouveau. En résulta un rot sonore, qui fit pouffer Elon et Mark, ses assistants.

— T’inquiète pas, tout va bien. Tu peux retourner à tes activités. Au fait… j’ai oublié... à quelle heure est le rendez-vous ?

Sa malice eut l’effet de le rassurer. Une chaleureuse accolade, et Enlil émergea dans ses appartements. Il pensait se poser, mais il tomba sur ses parents brunchant dans son salon.

— Salut fiston, lâcha Darrius.

— Ouais… salut ! Qui vous a autorisé l’accès à ma piaule ?

—Au lieu d’énoncer de sotte question, vient embrasser ta mamounette d’amour !

N’ayant pas d’autres choix, il se resigna. Évoluant de blabla en blabla, il finit par demander grâce afin de décompresser avant les festivités.