Chapitre 25 : Le Père de L’année

8 minutes de lecture

Lyana s’endormit dans les bras rassurants de Kieran, mais cela ne dura pas bien longtemps. L’onirique, réminiscence du trépas de ses filles lui fit ouvrir brutalement les yeux. Pourtant habituée à l’obscurité de sa chambre à coucher, ce soir, les ombres semblaient se mouvoir. Mettant ce trouble sur le compte des événements survenus lors du réveillon, elle quitta ses appartements sur la pointe des pieds. Celle qui fut guérisseuse autrefois appréciait beaucoup son statut de Reine, et trouvait que le rôle lui collait à la perfection.

Kieran avait proposé qu’ils s’installent dans la villa Siriki afin de vivre une existence moins royale, Lyana refusa fermement. Le palais était sa demeure. À l’instar de Kelly, Andromède et Ennigaldi, elle s’avérait être une souveraine au sens le plus littéral du terme.

Malgré l’heure tardive, servantes et pages s’attelaient à la tâche, à grands coups de sortilège. Elle s’apprêtait à tourner à gauche juste après les escaliers d’Onyx, mais son cheminement fut interrompu par une carpette directionnelle, qui, de son coin, tira avec insistance la traine de sa robe de chambre en soie.

Intriguée, Lyana suivit son déroulé. Au gré de son avancée, les flambeaux enchantés s’activaient avec assez d’intensité pour mettre en valeur sa beauté. Ce n’est qu’après une longue procession l’ayant conduite sur le parvis de la bâtisse que la carpette s’éclipsa.

Tout était étrangement calme. Pas une once de vent. Le firmament semblait encombré de nuages ​​sombres. De l’un d’eux, un éclair s’échappa pour frapper le bas des marches. D’un sang-froid, hors du commun, la reine ne montra aucune réaction. Suspectant l’apparition imminente de la famille, elle troqua sa toilette de nuit pour une tenue de sport. Elle attendit un court instant, ce qui fut suffisant pour la convaincre que quelque chose n’allait pas. Vu le raffut provoqué, au moins Enlil et Kelly auraient dû surgir à l’improviste. Il n’en fut rien et cela l’alerta davantage. Pas à pas, lentement, ses perceptions s’éveillant, elle descendit les escaliers. Plus elle avançait, plus une aura au parfum familier chatouillait ses sens.

Elle s’arrêta ; jeta une œillade en arrière. Toujours personne. Désormais, moins d’une dizaine de marches se profilait, et pourtant, le majestueux horizon tropical englobant les habitations, ne demeurait qu’une fenêtre sur les ténèbres. Téméraire par nature, c’est d’un saut périlleux qu’elle franchit la distance restante. Avec élégance, telle une gymnaste olympique, Lyana atterrit. Sorcellerie aux poings, elle se rapprocha de la silhouette blanchâtre.

Un homme âgé arborant une interminable barbe blonde en friche. Sa soutane de velours bleuâtre s’harmonisait parfaitement son long sceptre immaculé, strié, qui s’achevait sur une tête de serpent aux iris lapis-lazuli. Confrontée à son regard reptilien ambré, elle devint statue de sel. Par trois fois, il cogna son bâton au sol. Ses gemmes se muèrent en une vapeur indigo qui les enveloppa. Alors qu’elle s’élevait haut dans les cieux, l’obscurité restitua son exotique panorama à la cité.

Emportée par le vent, la fumée enchantée les conduisit au-delà de l’océan violine, sur une île aux allures de foret. D’abord, il fallait vaincre le mystérieux Val sans retour, puis traverser le Chêne des Hindrés, puis contourner le majestueux châtaignier du Pas de biche et enfin, ils parvinrent au massif Fayard. La nuée frôla la boue, s’agita et se résorba pour laisser paraître la reine de sel et son ravisseur.

De nouveau à leur position, les yeux du serpent scintillèrent. L’individu disposa son sceptre sur le tronc. Une brèche se forma. Il fit léviter Lyana au travers et le franchit.

Ils arrivèrent à Nippur. À perte de vue se dressait un lac. Tel le sorcier de Nazareth, sa statue lévitant à ses côtés, il marcha sur l’eau. Au loin, à même les flots cristallins, se dessinait Nuffar ; un immense temple de brique bleuâtre gravé du langage ancestral des Anciens : l’Akkadien. Nombre de piliers d’onyx soutenaient les trois terrasses en étage. Chacune d’elle possédait une superficie d’environ cent mètres carrés maintenus par d’autres colonnes, ainsi qu’une voute de iolite regorgeant de mana indigo. Plusieurs escaliers permettaient d’accéder aux niveaux supérieurs. Sur la première des terrasses figuraient les vastes arbres ; sur la deuxième, les arbres fruitiers ; sur la troisième, les jolies fleurs. Là où la flore se tenait, de minuscules créatures ailées s’affairaient. Son sceptre à tête de serpent rencontra la paroi ; qui se sépara.

Derrière, se trouvait un hôtel de quartz rose. L’indiquant de son bâton, il y étendit sa captive, ce qui eut l’effet d’établir une bulle autour de son corps. Enki s’approcha de l’un des murs, l’analysa longuement comme s’il était confronté à un choix cornélien. Las d’entortiller sa barbe du bout de son index, il s’en dépêtra pour caresser trois des multiples glyphes tapissant la cloison. Un halo énergétique s’expulsa de l’autel. Une projection astrale de Lyana en résultat.

— C’est quoi ce bordel encore ?

— Bonjour, jeune enchanteresse ! Je suis désolée de mes rustres manières… mais tu ne m’aurais jamais suivi de ton plein gré.

— Avez-vous conscience qu’à l’instant où vous vous en êtes pris à ma personne, vous êtes devenues un macchabée en sursit ?

— Oui, je sais mon enfant… la délicieuse Kelly Darck et sa clique. Ne t’inquiète pas, je ne te ferais aucun mal et tu seras parmi les tiens bientôt. Dès l’instant où Enlil a vaincu le Néant, tes pouvoirs d’enchanteresse se sont révélés. Je n’en explique pas la raison, mais soit. Dès lors, ton essence résonna jusqu’à mon royaume et causa mon réveil.

— Tout ceci est absurde ! Si je n’avais pas croisé la route de Kieran sur Paramisse, je ne serais personne, et surtout, j’aurais perdu la vie depuis plus de mille ans. En quoi puis-je avoir un lien avec toi ?

Le tempérament tumultueux de la reine le fit sourire, car, cela lui rappela son unique amour. Lyana s’intéressa de plus près à la sphère l’englobant. Au travers, elle pouvait observer la magie contenue dans l’autel enduire son corps.

— Que me faites-vous ?

— Ton ascendance sorcellerique et divine crée une surcharge qui t’empêche d’utiliser convenablement tes pouvoirs. La correction génomique que j’opère en ce moment te permettra de maitriser chakra et mana.

— Merci, c’est sympa. Mais pourquoi ? Et d’abord, t’es qui ?

— Pour que tu comprennes ton importance, je dois te conter mon épopée, qui se révèle être aussi une partie de la tienne.

Lyana ne s’imaginait pas avoir cette conversation sans son confort rituel. À peine eut-elle cette réflexion que canapé, sushi, et champagne fantôme apparurent à ses côtés. Elle s’installa, sirota le nectar et donna son assentiment d’un hochement de tête.

Bluffé de n’éprouver aucune peur émaner de sa convive forcée, une impression fugace de fierté se peignit sur son visage.

— Je me prénomme Enki, je suis le troisième fils de Anshar, fondateur originel du cosmos ; et de la douce Kishar, terrienne dont il fit son égale. Il arriva un temps où mon panthéon, le premier de l’histoire, se confronta aux mortels qui exterminèrent les miens jusqu’au dernier. Moi qui étais bannie et surtout à l’origine de leur trépas, je pensais avoir libéré les humains de leur joug. Me sentant de trop sur ces contrées, je décidais d’explorer la Création de mon père qui foisonnait de prodiges et d’espèces inconnues. Au cours de mon voyage, le grand Anshar, que j’imaginais repartit en Anaheim, vint à ma rencontre. Il m’informa du danger que courait l’Univers ainsi que son plan pour en réchapper. Mais en réalité, il voulait détruire la Création, ce que je découvris bien trop tard. À cet effet, il m’envoya sur Paramisse afin de sauver une femme. Parmi tous les mondes visités, aucun ne me subjugua autant que ces continents regorgeant de merveilles.

Il fit une pause. Une coupe d’argent contenant de l’hydromel jaillit dans sa main. Sous le regard perçant de Lyana, il l’ingurgita d’une traite. Après avoir épongé son front de ses manches, il reprit :

— Elle cueillait des crustacés le long des rivages de la mer mystique. Conformément aux dires de mon père, un Léviathan émergea des flots, fonçant sur elle. Je surgis soudainement entre eux, repoussant la créature vers d'autres eaux. Son cœur battait la chamade. Cédant à sa frayeur, Sylviana s’évanouit et, avant qu’elle ne touche terre, je la rattrapais. À la suite de quoi, je piochais les informations nécessaires dans son esprit, puis la conduisis à sa chaumière. Durant des jours et des nuits, je la veillais. J’usais de tous les charmes et enchantements afin de la sortir de catatonie. Rien n’y fit. Puis, le cinquième soir, ses lèvres me furent irrésistibles. J’y apposais un timide baiser. Une aura laiteuse nous enveloppa. Finalement, nos regards se rencontrèrent. Succombant à la passion, nous t’avons conçue. À mon réveil, elle avait disparu. Désappointé par son comportement, je sillonnais le continent. Après des semaines de recherches, je finis par localiser le temple de l’ordre Trinital.

— Tu as donc déduit qu’il n’y avait pas d’espace pour toi dans sa vie, bien que vous soyez des âmes sœurs, conclut Lyana à sa place.

— Le dédain sera ta seule réaction !

— Écoute… franchement, ça remonte à loin. Je ne suis plus la pauvre petite orpheline d’antan. J’ai désormais ma propre famille, et cela me sied parfaitement. Tu t’attendais à ce qu’on se câline, laisse-moi rire.

Son indifférence le blessa plus qu’il ne le montra. De toute façon, cela n’avait plus d’importance. Faisant taire ses sentiments, il reprit :

— Mon éternité va toucher à son terme ce soir. Dans un avenir proche, un prodigieux garçons naitra parmi les Darck, il te reviendra de le former et, au moment opportun, de le conduire en ce lieu afin qu’il reçoive son héritage. Pendant que nous discutions, j’ai distillé l’ensemble de mon érudition dans ton cortex. À compter de cet instant, tu es la dépositaire de mon savoir. Tous ceux séquestrés seront à ton service.

— Séquestrés ?

— Demande à ta chère belle-mère ! D’ailleurs savais-tu qu’elle est la réincarnation de ma douce maman et que son ainé est celle de mon grand frère. Il s'appelait également Enlil.

Bien que stupéfaite par la réponse, Lyana demeura de marbre. Mais en son for intérieur, cela ne fit qu’augmenter ses angoisses.

— Mon enfant, l’heure de nous quitter est venue.

En effet, le corps astral regagna l’autel. Enki s’avança. La bulle s’estompa. Il posa sa paume sur la tête de son héritière ; un faisceau s’en échappa. Son sceptre s’envola pour s’apposer sur l’enchanteresse. Et ainsi le dernier représentant d'un panthéon plus ancien que les Darck s'éteignit afin de préserver sa descendance de la malveillance de son père, ce satané Fondateur.

Quelques instants plus tard, Lyana apparut endormis dans son lit, aux côtés de son époux.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire limalh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0