Chapitre 28 : Quatuor Élémentaire.
Caïn s’éveilla, perplexe de se retrouver dans l’intimité de sa chambre, sans souvenir de son retour. Parallèlement, Ëlara se redressa avec précipitation, courant vers la salle de bains pour vomir. Alarmé, il la suivit rapidement, espérant apaiser sa souffrance en posant sa paume empreinte de mana sur son dos. Il crut d’abord à une illusion, mais une vérification révéla de fines excroissances sous l’épiderme de sa compagne, vraisemblablement inconsciente de ce phénomène. Néanmoins, il garda le silence, redoutant d’aggraver son angoisse.
— Ëlara, que se passe-t-il ?
— Je me sens nauséeuse... Le stress me joue sûrement des tours.
— C’est la seconde fois depuis notre arrivée !
— Ne t’en fais pas ! Hier, nous avons abusé de cette Vodka.
Il accepta cette explication et continua :
— C’est la première fois que nous expérimentons de tels plaisirs !
Dame Nature s’effondra, et il la rattrapa juste avant qu’elle n’atteigne le sol :
— Ëlara ! Oh non, Ëlara !
L’inquiétude envahit Lyana en parcourant son domaine, le parchemin glissant de ses mains. La manipulation commençait. Selon le plan, elle laissa la nervosité l’inonder, simulant son personnage, et, d’un geste élégant, l’Enchanteresse créa un maelstrom qu’elle franchit, son visage exprimant parfaitement le tourment. Elle s’agenouilla immédiatement auprès de son amie. À ce moment, Caïn ressentit un soulagement profond et une reconnaissance envers Lyana, dont les doigts effleuraient délicatement l’épiderme douloureux.
Ses paupières se resserrèrent pour percer l’invisible. En vain. Alors, sans hésiter, elle fit appel au spécialiste de la famille qui se tenait fin près :
— Nick, Ëlara a besoin de toi !
— Que se passe-t-il ?
— Je perçois quelque chose d’indéfinissable.
— Préparez-vous, je réalise la transposition.
Subitement, une nuée bleutée les enveloppa. La volute se dissipa, les dévoilant dans un lieu surprenant : le laboratoire du Seigneur des Djinns. Là, les étagères regorgeaient de parchemins et d’ingrédients, flanquées de flacons aux liquides inquiétants. Des écrans holographiques déambulaient, montrant des lignes Cryptomantiques en constante évolution.
Au centre, une sphère de Diamonite pulsait, capable d’amplifier les sorts et les incantations. De l’index, Ëlara, toujours évanouie, fut transportée par son hôte à l’intérieur. En un éclair, elle fut reliée à une myriade de fils de chakra.
Des Ensorcetab régulaient les flux chakratiques, alors que des faisceaux révélaient des particules scintillantes, entourées par une dizaine de grimoires flottants. Lyana, familière de cet espace, ne pouvait s’empêcher d’être fascinée. C’était le domaine d’un savant fou, un maître de son art, où se mêlaient démonisme et magicologie.
Nick se concentra sur l’examen de sa patiente. Ses doigts dansaient, traçant des arabesques invisibles. Son sourire sournois ne le quittait pas, ses cheveux argentés nageaient, portés par des courants sous son commandement. Des instruments aux formes étranges émergeaient de l’éther, errant dans son sillage. Ses lèvres murmurèrent des mots anciens, oubliés des autres. L’Impératrice et le Vampyr étaient suspendus à ses moindres gestes. Finalement, il s’arrêta, son expression devenant sérieuse :
— Inconsciemment, Ëlara a retardé la naissance au point où l’arrivée dans cette dimension a perturbé ses barrières mentales, entraînant une plumaison précipitée.
Il pointa son dos exposé :
— Ce que Caïn a senti ce matin n’était que le début. L’évolution s’accélère.
Le Djinn resta pensif, ses paupières frémissant légèrement – il recevait un message psychique. Collant au scénario, doucement, sa comparse le tira de sa fausse rêverie :
— Eh, reviens parmi nous !
Déployant ses talents d’acteur, il secoua d’abord la tête avec contrition, soupira… et dévoila :
— Désolé, je me suis laissé emporter par mes réflexions. J’ai l’impression que... si ta femme se trouvait au cœur du Sanctuaire monacal, elle serait soulagée. Mais je ne suis pas certain…
Un peu dépassé et demeuré passif jusqu’alors, Caïn ne tint plus et demanda avec plus de virulence qu’il ne le souhaitait :
— Qu’est-ce que ce sanctuaire Monachal ?
Comprenant son trouble, Lyana méprisa une fois de plus les consignes d’Enlil et se permit de dériver du cadre de la machination, afin de le convaincre :
— Il y a plus de 1000 ans, Merzhin parcourut la Terre pour capturer l’essence des quatre saisons afin de les offrir à la première des Darck. Depuis lors, ces entités primordiales lui sont dévouées même par delà la mort, ils vivent au sommet de la plus haute tour du palais, formant un jardin époustouflant réservé aux monarques.
Nick admirait l’audace de la Reine. Braver les directives de l’Imperator sans même sourciller ! Elle apparaissait la seule à oser, et ce, sans succomber à ses foudres. Voyant le désarroi du vampire, Lyana invoqua son vortex. À l’aide d’une mudra incantatoire, le savant extirpa Ëlara de la sphère, puis l’entoura d’un cocon laiteux. Toute la clique traversa. De l’autre côté, ils furent saisis par un émerveillement ineffable – un mariage magistral entre nature et transcendance, où les énergies fondamentales se mêlaient dans une symphonie enchanteresse.
Au lever du jour, une métamorphose enveloppait les prairies, les transformant en une mer scintillante de bourgeons. Dans une chorégraphie douce, les arbres animaient leurs feuilles qui frissonnaient, diffusant des rires aériens sous la caresse du vent. Des papillons aux ailes mouchetées virevoltaient, laissant derrière eux des traînées ensorcelées. Ils franchirent une arche de lierre, et le monde changea. Le soleil monta plus haut, et la chaleur s’infusa dans la terre. Leurs pas se firent plus paresseux, pour savourer cette saison embrasée. Un nouveau passage, cette fois-ci encadré par des branches entrelacées aux frondaisons d’or et de rouge.
Enfin, ils traversèrent une voûte de glace miroitante, et le panorama se revêtit d’un manteau de neige étincelante. Les flocons gambillaient dans une contrée immaculée, apaisante et pure. Ils s’arrêtèrent. Un hephtagrame de flamme scintillait, stigmate de l’assassinat de Kelly, et ce, bien avant qu’elle ne soit intronisée Créatrice. S’en érigeait lentement une Sainte Table, formée d’ossements de vaillants guerriers d’antan.
Nick déposa délicatement Ëlara sur l’autel sacré. Dans l’instant, l’atmosphère se chargea d’argenté, qui pulsait au rythme d’un cœur éthéré. La nature retint son souffle, envoûtée. Des faisceaux s’entremêlèrent autour de la Xandrienne, caressant sa peau – la verdure du printemps, les dorures ardentes de l’été, les rouges de l’automne et les bleus réfrigérants de l’hiver – s’unirent.
Un parfum floral s’éleva avec le zéphyr, donnant vie à une sylphide ligneuse émergeant d’un bourgeon en éclosion. Elle dansa, symbolisant la renaissance et la croissance. Pendant ce temps, le soleil au zénith se transforma en une boule de feu, devenant une sirène incandescente. Son chant mélodieux emplit la clairière. Le vent changea de ton, portant l’odeur de la terre fertile. Surgissant d’un chêne ancien, un gnome d’écorce s’ébattit parmi des feuilles d’or tourbillonnantes. Soudain, une froideur sibérienne recouvrit la trouée d’un manteau de givre. Apparaissant dans ce climat, un guerrier de gel se tenait là, son armure scintillante et sa lame de verre levées en un geste de sérénité glaciale. Tous se rassemblèrent autour d’Ëlara, fusionnant leurs essences en une seule. Une explosion cosmique les engloutit, les évaporant. Réagissant rapidement, Caïn, Nick et Lyana hissèrent des boucliers arkaniques, échappant de peu à l’annihilation. Dans cet instant hors du temps, Éterna, la cinquième saison exista, s’unissant à Dame Nature. Elles étaient à présent indissociables, deux facettes d’un joyau d’une valeur incommensurable.
Cette dimension infinie et immaculée, particulière connaissait les besoins de la future mère, elle se transforma en une clairière verdoyante et fraîche. Des lianes douces s’enroulèrent autour de ses poignets, la suspendant à ras le sol, tandis que deux longues ailes d’argent se déployèrent dans son dos. Elle souffrait, mais l’Eterna la soutenait, offrant son réconfort. Des rayons dorés transperçaient les entrelacs de rameaux, baignant l’espace d’une influence fascinatrice. Des fleurs aux teintes vives s’épanouirent, formant un tapis de pétales délicats qui endormit ses sens.
Durant leur enfance, Adam, père de Caïn, aimait raconter à ses fils l’histoire de leur naissance. Il avait remarqué qu’Ëlara éprouvait beaucoup plus de difficultés que ce qu’Ève vécut pour éclocher. D’ailleurs, la question des ailes le tourmentait depuis ce matin, car sa compagne n’avait rien d’un ange. Ses réflexions le poussèrent à conclure que son ascendance était à l’origine de ce phénomène. N’y tenant plus, il s’avança prudemment de son épouse. Ne décelant aucune menace de sa part, l’Éterna le laissa approcher. Bizarrement, les Darck ne tentèrent pas de le rejoindre.
Ses prunelles croisèrent celle du Vampyr, mêlant soutien et appréhension. Il posa délicatement sa main sur la sienne, offrant un réconfort bienvenu, mais éphémère. L’angoisse se mariait à l’enthousiasme, créant un contraste saisissant. Ce moment apparaissait d’une grandeur presque intolérable, enchevêtrant la joie à la conscience des obligations qui pèseraient sur l’avenir.
— Ça fait mal…
— Je le sais, mon amour ! Bientôt, ce ne sera qu’un désagréable souvenir. Il ne te reste qu’une plume argentée. La naissance ne devrait pas tarder !
L’eau se déversa de son lit en un filet pour abreuver sa maîtresse. La livrée autrefois scellée avec mystère s’ouvrit. Le calice céda ; son nectar coula entre ses cuisses – la dernière devint immaculée ! Les secondes s’étiraient en longues minutes, puis en heures, durant lesquelles le papa observait le cocon qui s’épanouissait progressivement, tout en soutenant sa dulcinée. Alors que la corolle abdiquait sous la pression, ses ailes écartelées labouraient son dos, provoquant des gémissements étouffés. Enfin, elles se déployèrent. Et ce qu’il découvrit le stupéfia :
— Quoi ?! Qu’est-ce que cela signifie ? Quatre... quatre chérubins ?! Je ne comprends pas. Nous n’en décelions que trois !
Un mutisme solennel enveloppa la scène, seulement brisé par les pleurs et les cris des nouveau-nés, reliés chacun par une membrane au dos de leur mère, que Caïn sectionna avec précaution. Alors, il réalisa que l’aura du dernier enfant demeurait indiscernable en raison de sa transparence.
L’Éterna fournit quatre fleurs géantes de différente couleur. Avec délicatesse, le père plaça Nasëem, symbole de l’air printanier, dans un Lys blanc, puis il installa Kaëlle, représentante du feu estival, dans la rose rouge. Gaïa, incarnation de la Terre automnale, fut déposée dans un tournesol, tandis qu’Aëgir, l’eau, eut droit à une anémone de mer teintée d’azur.
Défaite de ses liens, submergée par la fatigue, elle lutta pour ne pas s’effondrer. Elle s’efforça de parcourir les quelques pas qui la séparaient de ses bambins et les embrassa chacun sur le front. Alors, les plumes constituant ses ailes tombèrent, se transformant en poussière.
Les nourrissons s’éveillèrent timidement, fixant leur mère affaiblie. Nasëem déploya ses menottes, et une brise légère caressa la joue d’Ëlara pour sécher ses larmes. Kaëlle émit une flammèche bienveillante apportant une chaleur réconfortante. Pendant ce temps, Gaïa envoyait de tendres vibrations à travers le sol, apaisant ses douleurs. Et Aëgir laissa échapper une fine brume curative qui enveloppa doucement la maman épuisée.
Le quatuor opéra instinctivement, lié par une interaction, une compréhension innée de leur rôle dans cette famille élémentaire. Caïn, observaient ses jumeaux et ses jumelles, éblouis par leur beauté empreinte de pureté. Dans un tourbillon d’émotions, il porta sa manche à ses yeux et se rendit compte qu’il pleurait de bonheur :
— Extraordinaires. Leur puissance, leur connexion... C’est à la fois magnifique et effrayant.
Il se pencha pour embrasser sa dulcinée. Dans l’ombre, dissimulée, la Créatrice surveillait avec une certaine satisfaction. Ce quatuor, fruit de ses manipulations, incarnait une force primordiale qui, au terme de sa maturation, servirait grandement ses intérêts.
C’est alors que Kelly décida de surgir. De sa paume, elle distilla son essence... et l’ensemble du groupe se retrouva transporté dans la nurserie royale du Palais. Elle déclara :
— Vous êtes la quintessence de la vie. Votre existence est le reflet de l’avènement de l’Équilibre divin.
Ils émirent des gazouillis, comme s’ils répondaient à son timbre.
— Chacun d’eux est un trésor d’une puissance inimaginable.
Elle fit une pause, laissant ses paroles résonner.
— Vous serez élevés dans la sagesse et la connaissance. Vous découvrirez le pouvoir qui sommeille en vous et apprendrez à le maîtriser.
— Attendez, nous n’avons pas notre mot à dire ! s’exclama la mère avec émotion.
Mais la Créatrice et sa clique se transposèrent les laissant ésseulés.
Annotations
Versions