Chapitre 33 : Mère de substitution

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Au cœur du désert de Gobi, une ombre se profilait, évoquant un mirage distant. Rapprochant son image, le soleil mettait en évidence ses tresses dorées et ses iris gemmes de jade. L’inertie du lieu caressait sa peau ambrée. Légère, sa robe ondoyait au gré des bourrasque, révélant épisodiquement ses jambes galbées. En marchant, un nuage de sable s’agitait près de ses pieds nus.

Sa prestance ne se limitait pas à sa splendeur. Des attributs vampiriques ornaient ses traits, lui conférant une intensité étrange. Telles des perles d’ivoire, ses dents pointues se détachaient, rappelant que douceur et ardeur la possédaient.

Ses prunelles, perçait le panorama, scrutaient le moindre mouvement, alors qu’elle se concentrait sur le murmure éolien. On aurait dit qu’à cet instant, la Pythie fusionnait avec la steppe. Elle ressentait le sable dansé, le frémissement des végétaux rares et ouïssait les échos de la faune. Dans cette transe, ce visualisait les gazelles bondissantes, volatiles ciselant l’azur, et pics montagneux frôlant les nuages.

Cependant, un rugissement de souffrance vint rompre cette sérénité. Pas un hurlement banal, mais un grognement chargé de détresse, dépareillant avec l’harmonie désertique.

Alertée, Gaïa, promptement, se leva. Les paupières closes, elle canalisa, utilisant sa respiration, vecteur de son don. En imprégnant sa Régalia, un rayon d’émeraude s’en échappa. Sous elle, l’espace s’altérait. Cet éclat, initialement fluet, gagna en consistance, formant un socle parsemé de motifs fluctuants. À peine la surface fut effleurée, qu’elle sentit une réponse immédiate. La planche plana doucement, ses bords frémissant d’anticipation... et, à son commandement, se propulsa vers les sommets, glissant au-dessus du Gobi.

Ses mèches, pareilles aux serpents de Méduse, dansaient, créant une auréole qui se mouvait dans son sillage. Parvenant aux flancs mi-élevés du mont, ses prunelles discernèrent l’orifice d’une caverne. Nul doute que l’animal en souffrances s’y trouvait.

Dans un élan farouche, elle brandit sa Régalia vers la stèle à ses pieds, qui s’évanouit aussitôt. Les parois de l’antre se dressaient, remparts d’un bastion oublié. Rapidement, l’éclat diurne s’estompa, absorbé par les étendues de la grotte. À mesure que Gaïa progressait, une multitude de globes oculaire , quasi imperceptibles, suspendus au plafond, intensifièrent l’effrayante beauté du lieu. Les feulements affolés des tréfonds se transformait en un souffle suffocant.

Nyctalope de naissance, elle n’eut nul besoin de sortilège pour y voir parfaitement. Les stalactites, crocs de ce titan des abysses, scintillaient furtivement. La cacophonie des hurlements, des rugissements et des lamentations parvenait telle une suplique d’entités en détresse. Les émotions crues – la douleur, la terreur, la fureur – s’échappaient de cette gueule béante. Elle accéléra le pas. Des crissements se répercutaient le long des parois.

Au cœur de l’abîme, des chasseurs pointaient leurs piques vers un félin montagnard. Les plaintes anxieuses de sa progéniture échoyaient lugubrement sous l’obscurité voûtée. Souillé par l’écarlate, son pelage immaculé reflétait l’inhumanité de cette troupe. Pendant cette atrocité, une impression bizarre titilla l’un d’eux. Se retournant soudainement, son cœur bondit devant une apparition évanescente. Élevant son flambeau, l’incandescence la révéla.

Se tenant avec une fierté indomptable, sa présence exhalait une majesté sans pareille. L’individu menaçant le fauve se pétrifia, son arme oscillant légèrement :

— Qui es-tu ? Que veux-tu ? 

Douce, mais ferme, elle répliqua :

— Je suis celle que la Terre appelle lorsqu’elle pleure. Je suis ici pour elle... et pour eux. 

Tandis que ses yeux se posèrent sur le léopard. L’un des braconnier ricana :

— Tu penses pouvoir nous arrêter avec ton sourire et tes jolis mots ? 

L’hilarité cristalline de la Pythie résonna à travers la tanière, inquiétante.

— Je n’ai pas besoin de lever le petit doigt pour vous faire fuir. Mais si vous insistez... 

Son comparse, plus audacieux, la provoqua, brandissant sa lance :

— Tente donc ta chance, beauté. 

De toute sa supériorité, elle le toisa :

— Ne confonds pas ma grâce avec de la faiblesse. 

Les parois rocailleuses tressaillirent, embrasées par le verdâtre de la baguette, extirpée de son décolletée avec élégance. Un bourdonnement envahit l’air. On pouvait humer la force brute de sa magie. À la fois terrifiant et hypnotique, le son évoquait les tambours d’un rituel ancien. Pris dans leur arrogance, ces monstres ne discernèrent pas le piège.

Quant à la mère léopard, elle trimbalait une patte blessée et son flanc, cruellement entaillé, saignait abondamment. Pourtant, malgré sa souffrance, elle pressait ses petits avec une urgence viscérale, les dirigeant vers un refuge.

Au-dessus, les stalactites, maintenant d’émeraude, se mirent à onduler. Elles s’allongèrent, aiguisées telles des dagues, prêtes à s’abattre. Les mots adoptaient une forme tangible, avec des syllabes laissant une traînée d’étincelles. La caverne s’anima de colère. Les vibrations de ses profondeurs secouèrent la robustesse de la pierre. En réaction, le plafond amorça sa chute inexorable, à la manière d’un chasseur sur le point d’attraper sa proie. Les cris d’agonie des barbares formaient un refrain sinistre, mais promptement supplantés par le son des carcasses empalé. La nature montrait sa puissance sous l’aspect d’une entité sans merci, parée à châtier les intrépides envahisseurs de son refuge. En peu de temps, ceux-ci furent annihilés, devenant un tourbillon de débris, de minéraux et de fluide vital, emportés par la fureur inébranlable du tunnel. Et, aussi vite que l’assaut débutât, le tumulte se calma.

À bout de forces, l’animal porta un rugissement empreint de supplication vers Gaïa, son dernier espoir face à l’inéluctable faucheuse. La pythie brillait, non pas de larmes, mais d’une émotion contenue. Ses paumes tendres effleurèrent avec bienveillance le pelage, percevant les frissons du corps affaibli. Malheureusement, elle ne pouvait la sauver. Alors que les complaintes du léopard saccadaient, trois minuscules boules de fourrure tremblantes s’y pelotonnaient. L’ultime râle se perdit dans la brise marmoréenne, laissant ses jeunes dans un monde sans sa protection.

La gorge nouée, Gaïa attrapa calmement les petits, soufflant de la chaleur sur leurs museaux glacés. Elle décelait la peur de l’inconnu, mais trouva aussi une étincelle – peut-être un début de confiance.

Elle se redressa, tenant délicatement les chatons blottis contre elle. Avec une douceur infinie, elle les approcha du visage de leur mère, leur permettant de s’imprégner de son parfum, de graver son souvenir. Puis, avec une tendresse incommensurable, ses doigts effleurèrent la mourante, murmurant des mots que seuls les vents et les lamentations de la nature pourraient comprendre – un éloge. Puis, ses canines s’allongèrent, rutilantes, capturant l’attention des chatons.

Répondant a une intuition prophétique, elle plongea sa tête dans l’encolure de la défunte, et s’abreuva de son sang.

Toute fibre de son être se cambra et ondula, rappelant la puissance d’un grand félidé en pleine chasse. Puis, sa chevelure dorée fusionna avec sa chair, concevant une fourrure luxuriante et dense.

Poussés par la curiosité, les chatons s’approchèrent – délicates truffes frôlant timidement sa peau. En découvrant ses mamelles, de fines langues rosées s’y aventurèrent, savourant un lait inconnu en ronronnant. Ils trouvèrent le repos dans la chaleur de son étreinte, blottis contre son flanc, alors que la dépouille de l’original s’estompait. Gaïa, consciente de son rôle, les veillait, prête à tout pour les sauver.

Entre la nuit étoilée et les premières lueurs de l’aube, un souffle tranquille enveloppa la tanière. La lueur bleutée de la lune fit place à une douce clarté rosée. La Pythie ouvrit un œil, puis l’autre. Les chatons, étaient encore immergés dans leurs rêves lactés. Gaïa s’étira, ses muscles jouant sous sa fourrure. Les léopardons remuèrent, protestant contre les mouvements de leur mère.

— Rrrrumm...  maugréa-t-elle mollement, un son signifiant, il est temps, mes petits. 

Un léopardon paresseux répliqua par un feulement long et traînant :

— Mrrraaauuu ?  pour demander, déjà, maman ? 

Un autre, l’œil espiègle, s’avança et frotta sa tête contre la sienne en vrombissant.

— Rrrr..., une tentative de la mimiquer.

— Rrruuumm..., réagit -elle, vibrante de chaleur et d’affection.

Alors que Gaïa s’étendait, sans crier gare, les bébés lui bondirent dessus. Leurs minuscules corps se pressèrent contre le sien, tâchant d’avoir l’avantage dans leur jeu innocent. Leurs mignons grognements résonnaient dans la grotte, mélange d’exubérance juvénile et d’excitation.

Après une brève escarmouche, ils réussirent finalement à la plaquer au sol.

— Rrrummm... ronronna-t-elle, admettant sa défaite.

Triomphants, ils se mirent à la recherche de leur récompense. Puis, avec une tendre résignation, elle se retourna, offrant à ses champions l’accès à son lait. Ils se blottirent contre elle, savourant le doux réconfort.

Dans cette pause dorée, le monde s’arrêta, tout n’était que plénitude et amour.

Le ventre rond et repu, ils s’éparpillèrent. Gaïa, grande et gracieuse, circulait parmi eux, égale une déesse protectrice. Soudain, le craquement lointain d’une branche interrompit ce tableau idyllique. Rappelant l’écoulement inévitable du temps, la Terre l’exhortait à agir, à perpétuer la trame en évolution de l’existence.

À grand renfort de léchouilles et de morsures, elle les réveilla. Satisfaite de les voir en alerte et vibrant de vivacité, le départ s’amorça. Sa progéniture sur ses serres, la Léoparde quitta la grotte, ses sens affûtés capturant les effluves des pins et l’arôme frais de la neige. Elle huma fortement, ses narines dilatées traquant l’odeur.

Son corps savait d’instinct se mouvoir, rester paisible. Tout cela lui venait naturellement, guidé par les souvenirs et les techniques de celle qu’elle incarnait – prête à pourchasser son gibier.

Les ombres des montagnes s’allongeaient, créant un labyrinthe de ténèbres et de lueurs. Sa fourrure tachetée se confondait parfaitement avec le terrain rocailleux. Juste derrière elle, les jeunes progressaient en file, leurs muscles se contractant à chaque saut. Leurs pupilles dilatées trahissaient une concentration intense, tandis que leurs queues s’équilibraient lorsqu’ils s’élançaient entre les rochers. Dans cette pantomime aérienne, la gravité perdait son emprise.

Gaïa, entraîneuse de cette chasse, était en alerte maximale. Ses oreilles dressées captaient le moindre soubresaut, son museau reniflait des indications que seul un prédateur de son calibre déchiffrerait. Elles scrutaient les alentours, anticipant le prochain mouvement de la proie. Dans cette danse imperceptible, elle incarnait à la fois le maestro et l’instrument, menant sa troupe vers le dénouement inévitable de cette traque.

À l’instant où la gazelle émergea, une onde électrique parcourut l’atmosphère. Le soleil frappa son pelage, la rendant presque iridescente alors qu’elle avançait, souple et insouciante, sur le tapis d’herbe verte qui s’étendait devant elle.

Dans son immobilisme, Gaïa était l’antithèse parfaite de la gazelle. La soudaineté de sa respiration trahissait une excitation intense. Ses muscles, sous sa fourrure tachetée, se tendaient à l’extrême, telles les cordes d’un arc, prêtes pour une libération d’une vélocité fulgurante. Sa griffe levée servait de double signal – un commandement et une invitation à la retenue – jusqu’au moment décisif.

Encore inexpérimentés, mais instinctivement conscients de la situation, les léopardons demeurèrent à l’affût crispés, leurs pattes s’enfonçant légèrement dans la boue, cherchant un ancrage.

L’herbe, dense et humide, pliait sous le poids des léopardons qui avançaient à l’unisson, encerclant la gazelle terrifiée. Haletante, la proie fusa, trahissant sa panique en se faisant plus rapide. Le gibier esquivait et zigzaguait, dans un espoir fébrile de trouver une issue salvatrice. Mais Gaïa analysait et prévoyait. La chasse se resserrait, tandis que l’excitation atteignait son paroxysme.

Sous l’ombre menaçante d’un rocher, la gazelle se retrouva piégée, sa silhouette frêle se fondant dans la pierre derrière elle. Ses sursauts de cœur faisaient trembler ses flancs, et l’éclat de peur dans ses prunelles affolées brillait d’une tristesse résignée. Devant elle, la noble prédatrice se tenait. Le contraste entre sa forme robuste et la masse rocailleuse, en arrière-plan, ajoutait à son aura imposante.

Alors, en une fraction de seconde, tout explosa. Gaïa se lança, sa puissance fusionnée avec une précision létale, et ses crocs se plantèrent sans erreur. Gobi retentit du sanglot de la nature, qui parlait de vie, de mort, et du cycle éternel. Les léopardons, galvanisés, se précipitèrent sur le repas. Leur empressement se teintait d’une faim féroce, et bientôt, le concert brut des grognements, et des mâchoires se mêlaient.

Après le tumulte de la chasse, un calme étrange enveloppa la vallée. Les bébés s’enroulèrent doucement autour du clone, leurs moustaches frôlant sa fourrure, tandis que leurs corps cherchaient la chaleur.

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