Chapitre 37 : Les mystères de Lynéxia
Nasëem et Lynéxia se délectèrent d’un petit déjeuner généreux, leurs estomacs comblés et leurs esprits apaisés. À l’extérieur de la cabane, il prononça une incantation mutique à l’intention de l’humble demeure. Les murs de bois rétrécirent jusqu’à se fondre dans sa paume. D’une finesse précautionneuse, il rangea le précieux refuge dans sa bourse sans fond, puis la convia à le suivre au Dolmen.
Exsudant une tranquillité assurée, il tira de sa poche une autre merveille – un palimpseste antique et froissé. Ce dernier signalait la localisation des courants d’émergence parsemés à travers le monde. La fillette s’attarda sur la carte qui, captant son intérêt, magnifia son échelle, faisant ressortir les contours marqués des côtes d’Armorique. Un triskèle d’argent souligna leur position actuelle.
— D’où provient cet ustensile insolite ?
Sa main, douce et légère, effleura le parchemin vieilli. Un sourire, chargé de souvenirs lointains, illumina le Druide :
— C’est l’héritage de mes parents, révéla-t-il. Ils métamorphosèrent ces menhirs en portails de transition instantanée. Le rêve de naviguer sans subir les chaînes du temps et de l’espace animait leurs esprits.
— N’es-tu pas un étranger dans ce monde ?
— Je suis un aventurier perdu en terre inconnue.
Plongée dans ses pensées, Lynéxia laissait glisser son doigt sur la carte, s’arrêtant sur un point précis.
— À la lisière de Brocéliande, un Dolmen se dresse, imperturbable, ancré dans l’humus.
La curiosité piquée, Nasëem se pencha sur le plan.
— Tu viens de dessiner le chemin de notre destination.
Son index se tendit vers le triskèle marqué au centre du roc, murmurant des paroles qui résonnaient d’une cadence envoûtante. L’instant d’après, un éclat en surgit, transformant l’imposante silhouette en un phare, aveuglant, qui pulsa.
— Regarde... ! s’exclama-t-elle, subjuguée par la manifestation d’une porte contenant un maelstrom.
Un rictus espiègle s’esquissa chez son compagnon... Elle n’aurait jamais dû la discerner.
« Mais qui est cette enfant ? »
Dans un silence éloquent, il enserra la main de sa protégée. Ensemble, ils traversèrent l’éblouissant vortex multicolore. Le monde autour d’eux s’étirait et se compressait. En deux fractions de seconde, un souffle de vent frais les effleurait. Ils se tenaient à présent dans un lieu transfiguré par l’irréel. Un paysage oppressant de désolation, où les arbres dépouillés orchestraient une danse macabre avec les fleurs fanées.
Lynéxia se blottit contre son bienfaiteur, puisant du réconfort dans son assurance tandis qu’il invoquait des rafales pour balayer les ténèbres. Alors que les fantômes émergèrent lentement de l’enchevêtrement des troncs alentour, elle ressentit un mélange d’appréhension et d’excitation. Elle se lança dans le chant, la mélodie glissant de ses lèvres. Les figures de l’au-delà s’approchèrent, leurs expressions curieuses et méfiantes. Lynéxia espérait que sa musique pourrait les atteindre, les consoler d’une manière qu’elle ne pouvait pas encore expliquer.
— Ton talent est remarquable. Cette capacité à toucher l’essence même des êtres vivants, à instaurer la sérénité..., c’est unique.
Alors qu’ils pérégrinaient à travers Brocéliande, il la scruta. Les ombres de cerfs majestueux, de loups effrayants et d’oiseaux eurythmiques s’apaisaient en sa présence, leurs esprits tourmentés trouvant le repos. Il se demanda si cette connexion innée était le fruit du destin ou quelque chose de plus Darckien. Dans le sillage de la gamine, les arbres ternes retrouvaient leurs couleurs, les bourgeons émergeaient timidement et les feuilles reprenaient un vert éclatant. Le cycle de la vie se remettait lentement en marche.
Tandis que le crépuscule cédait la place à la lueur argentée de la lune, la silhouette d’une clairière apparut à leur vue. Reconnaissant la nécessité d’une pause, Nasëem sortit de sa bourse la cabane miniature, la déposa sur le sol et l’imprégna de son mana. Embrassé par un tourbillon d’énergie, le modèle réduit s’élargit rapidement, s’intégrant au paysage.
Ce tandem improvisé se dirigea vers l’accueillant refuge, le parfum du bois ancien les enveloppant dans une étreinte affectueuse. Leurs divans les attendaient. Lui s’installa sur le bleu. Elle fut appâtée par le rose pâle.
Alors, le maître de l’air se laissa guider par un souffle de paresse. D’un clignement d’œil, deux écuelles fumantes de spaghetti à la Bolognaise apparurent. Attirée par l’odeur, Lynéxia s’approcha. Cependant, devant ce mets inconnu, un sourcil perplexe se leva. Face à l’indécision de la jeune fille, il se lança dans une explication détaillée sur l’art de manipuler les couverts. Délicatement, il démontra comment la cuillère pouvait agir en un stabilisateur pour la fourchette dans la pratique ardue de l’enroulement des pâtes. Pétillante, d’une joie enfantine, elle s’empressa de reproduire le mouvement. Profitant de leur repas, ils s’abandonnèrent à l’harmonie sereine de la clairière. La nuit, qui jadis peignait Brocéliande de terreur, dessinait désormais une toile enchanteresse.
— Ta communion singulière avec la nature dépasse ma compréhension. On dirait que tu portes en toi un reflet de l’essence de ma mère.
— Cela signifie que je peux utiliser ce lien pour soigner la forêt ?
Nasëem esquissa un sourire.
— En effet, tu as ce don précieux. D’ailleurs, ta présence a régénéré Brocéliande.
Ils s’enfoncèrent dans une quiétude respectueuse, la tranquillité de leur connexion se renforçant au rythme de leurs battements de cœur. Rideau glissant, la pénombre engloba la cabane. Le Druide se leva alors, s’approchant d’une étagère où il dénicha un grimoire ancien, perdu sous un voile de poussière.
— Regagne ta chambre, murmura-t-il, il est temps de trouver le sommeil.
Après que Nasëem eut chuchoté ces mots à Lynéxia, une sensation étrange le perturba, une vibration insaisissable qui chatouillait son esprit. Il se faufila jusqu’au porche. Grâce à sa vision nocturne, il discerna des silhouettes osant pénétrer son territoire. Des figures vêtues de toges blanches, hommes et femmes, se dessinaient dans la semi-obscurité.
Ces visiteurs pourraient dissimuler de sombres intentions, comme le suggérait la serpe étincelante accrochée à leurs ceintures de lierre. Intrigué, mais non intimidé, il se dressa face à eux, mêlant curiosité et vigilance. Posé, mais résolue, son timbre retentit :
— Qui êtes-vous ? Que cherchez-vous ici ?
Leur chef, drapé dans un manteau de feuilles vertes et coiffé d’une couronne de branches, s’avança, son regard sondant Nasëem.
— Nous sommes les gardiens de cette forêt sacrée. La petite est l’une des nôtres, et sa présence nous a alertés.
Le froncement de sourcils du Druide laissa entendre que cela n’était pas suffisant. Alors, empreint de regret, il révéla :
— Lynéxia est la prêtresse de Brocéliande, destinée à préserver l’équilibre au sein de ce Sanctuaire formé par l’ancienne magie. Nous avons senti son retour. Sa mère, la dernière des Xandriens qui fut la seule à conserver ses prérogatives célestes, a donné sa vie pour la protéger et assurer son héritage.
Nasëem ressentit une vague de surprise et de compassion pour la jeune fille, mais deux questions brûlaient ses lèvres :
— D’un, pourquoi n’a-t-elle pas été élevée parmi vous ? Et de deux, pourquoi l’avez-vous laissée dans l’ignorance de son véritable rôle ?
L’homme coiffé de la couronne de branches parut ému :
— Son potentiel est immense. Nous craignions qu’elle ne parvienne pas à maîtriser ses pouvoirs et qu’elle perturbe l’harmonie de la forêt. Nous avons jugé préférable qu’elle grandisse dans un cadre ordinaire, à l’abri du fardeau de son destin, jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge d’accepter sa charge.
Il continua en expliquant que son absence lors du solstice d’été avait affecté l’équilibre de Brocéliande. Face au déclin de la faune et de la flore, la communauté s’était repliée dans des grottes éloignées, perdant rapidement tout espoir. Jusqu’à ce matin.
La fillette qui venait d’apparaître sur le perron demeura bouche bée. Son protecteur s’avança, glissant doucement sa main sur son épaule, cherchant à déchiffrer les véritables intentions de ces gardiens.
— Nous ne disposons pas vraiment des moyens nécessaires pour la canaliser. Nos ancêtres, ceux qui furent bannis du Paradis par Yahvé et qui, un jour, se retrouvèrent dépouillés de leur magie, possédaient ce savoir. Cependant, cette connaissance s’estompe... Il ne reste que des fragments. Même nos dons héréditaires se sont éteints au fil des générations. Seule notre relation avec la nature nous permettait de stabiliser ces bois nés du Mana de Merzhin.
Suite à cette révélation, Nasëem ressentit une immense responsabilité envers Lynéxia. Il comprit tout de suite que ceci découlait du châtiment infligé par Ëlara à de fausses divinités. De toute évidence, son destin prenait forme.
— Je tiens à vous dire que je désire m’engager pleinement. Je souhaite être bien plus qu’un simple protecteur. Je la guiderai, l’aiderai à contrôler son pouvoir. Je propose d’endosser... eh bien, un rôle de tuteur en quelque sorte. Je demande à superviser toutes les décisions la concernant. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
L’assurance de Nasëem, sa dévotion ardente et sa volonté indéniable laissèrent le chef de la tribu sans autre choix que d’accepter sa requête. Son accord silencieux était un signe de consentement envers une transformation qui allait bouleverser leur communauté. Il était évident qu’elle possédait un don rare, aux proportions impressionnantes, un joyau à préserver et à développer en douceur.
Ce que personne ne soupçonnait, c’était que le Druide percevait là une opportunité pour renforcer sa position en tant qu’entité dominante. Bien qu’il servirait les desseins des Darck, il profiterait de la situation pour exercer son emprise sur cette dimension.
Par quel biais ? Cela, le vent du destin ne l’avait pas encore soufflé.
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