Chapitre 40 : Les Éclats de L’Ineffable

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L’holobibliothécaire émergea tel un phénomène cosmique ambulant. Son manteau galactique s’effilochait en traînées de nébuleuses. À la place d’un visage, une toile d’astres et de comètes en mouvement perpétuel. Glissant sur le sol, il dégageait une aura aux couleurs de l’aurore. En un geste rituel, sa main translucide effleurait la reliure d’un livre. Les caractères s’égayaient, les images prenaient vie ; les tomes aspiraient à être choisis. D’autres, néanmoins, reculaient en un frisson d’ombre et de papier sous sa caresse. La montagne d’ouvrages flottants à ses côtés s’épaississait au gré de sa sélection.

À l’autre bout de cette scène d’étrangeté, Gaïa et Aëgir, assis en miroir, s’immergeaient dans un dialogue psychique, mais vibrant. Guidés par une volonté propre, les pointes de leurs plumes dansaient sur les parchemins, inscrivant des glyphes et des équations arcaniques. Leurs Régalia émettaient des fréquences synchronisées, formant des projections tridimensionnelles alambiquées qui se mouvaient dans le vide, manifestant les idées les plus abstraites. Toutes les théories étudiées se soldaient fatalement par le trépas des Léopardos. Le timbre exalté de l’Eau l’amusa :

— ... et c’est ainsi que les boucles temporelles se referment d’elles-mêmes, piégeant toute intervention dans une chaîne causale infinie.

— Les sécurité mise en place par la Créatrice me paraissent incontournable, réagit Gaïa en contemplant un orbe lumineux flottant à sa gauche.

— Exactement. Son verrou est un nœud gordien, impossible à défaire. Nous nous heurtons à une limite inviolable.

— Il faut dénicher autre chose ! éclata-t-elle, envoyant valser quelques palimpsestes à proximité.

L’holobibliothécaire, dernier survivant de Photona, s’insinua parmi eux. D’une révérence, il ajouta ses trouvailles aux piles les entourant.

— Merci, clamèrent-ils à l’unisson.

L’instant se cristallisa quand Gaïa sentit une vibration intangible la traverser. Un tome parmi ceux fraîchement posés en était la source. Sa plume flottante se suspendit avant de retomber délicatement sur le parchemin. Sa main s’étendit, et le bouquin s’éleva pour la rencontrer.

Aëgir interrompit son écriture et contourna la table. Empli de curiosité, il se pencha pour jeter un coup d’œil au livre ouvert :

— Des pages vierges ?

— Pour toi, peut-être. Mais moi, je vois des inscriptions dans un dialecte abscons !

— Pourtant, oncle Kieran t’a enduit du Reverso Intergalactique !

— C’est à n’y rien comprendre !

Le mage se tourna vers le gestionnaire de sa bibliothèque qui compris son ordre muet, et de l’index traversa le front de la Pythie afin de lui transmettre les secrets de ce langage nébuleux. Elle parut tétanisée, puis elle entama sa lecture :

« Pour remonter le fil du Temps, réduire à sa quintessence, clame cette incantation au crépuscule, les astres s’aligneront en arcane céleste. Mêle d’abord une goutte de larme de Phénix, trois brins de saule pleureur de la vallée des murmures, et le dernier souffle d’une rose éternelle. Fais chauffer à feu doux jusqu’à ce que le mélange devienne opalescent.

Quand la potion est prête, trace un cercle d’argent pur et place-toi en son centre. Prononce alors les mots suivants : “Astra Reliqua, Iterum Nasci, Tempus Fugit.” Trois fois, pas plus, pas moins. »

Sceptre et Baguette fusionnèrent leur faisceau, déclenchant une série d’harmoniques qui muèrent en une simulation tridimensionnelle. Lorsque les avatars virtuels terminèrent l’incantation, ils la dirigèrent vers des tulipes d’ébène qui explosèrent sur-le-champ. Un des léopards se métamorphosa en humanoïde, tandis que les deux autres se dissolvaient dans un nuage de particules émeraude.

Gaïa verdoya. Sa respiration se transforma en un sifflement aiguisé entre ses dents grinçant de frustration. Puis, dans un cri déchirant, elle la libérera. Les vitraux tremblèrent avant d’éclater en un millier de morceaux colorés. Au lieu de toucher le sol, ils se suspendirent dans le vide et inversèrent la trajectoire, retrouvant leur place d’origine.

— Attend ! gueula Aëgir, singeant l’autorité de Caïn.

Elle s’arrêta net, se retournant pour le toiser :

— Quoi, encore ?

— J’ai étudié un exorcisme, il y a peu. Ses éléments pourraient être fusionnés avec...

Il n’eut pas le temps de terminer que sa sœur l’invectiva :

— Trois jours, Aëgir. Trois jours que je suis là, impuissante, à endurer des futurs où mes bébés meurent !

Sans un autre mot, elle tourna les talons, son corps se contorsionnant. Où se tenait une femme un instant auparavant, une léoparde majestueuse prit place. Le félin s’élança, disparaissant entre les rayonnages.

Resté seul, à l’exception de l’holobibliothécaire impassible à proximité, le Mage demeura figé. Il se massa les tempes, dissipant le brouillard psychologique. Des éclats d’une conversation ancienne avec son père resurgirent :

« J’ai l’impression tenace que tout ce qui s’est passé depuis que nous l’avons libérée n’était que manipulation de sa part. Il nous a conduits à bâtir le réseau de Dolmen, nous laissant croire que l’initiative venait de nous. N’ayant aucune preuve, je n’ai jamais partagé ces soupçons avec ta mère. Elle l’idolâtre, tu sais. Moi, il ne m’inspire que mépris ! »

Une compréhension soudaine éclaira Aëgir, qui se claqua les joues tant son génie l’épatait :

— Son essence Manatike est gravée dans le Monholite Primaire !

Papillon effleurant une fleur, son esprit frôla celui de sa sœur. Son tumulte intérieur persistait, mais il s’atténuait au gré de sa prédation. Rassuré il ne pouvait plus attendre. Son élan d’imagination devait être mis à l’épreuve. Il considéra l’instant propice à sa première tentative de transposition. Accédant à son répertoire mnémonique, il rappela les détails d’un vieux parchemin consacré à cette technique.

Droit, il joignit ses mains au niveau de son plexus solaire. Un cocon d’eau l’enveloppa, et sa conscience s’éleva pour cartographier l’espace. Un cercle sombre s’ouvrit sous ses pieds. Il chassa la pensée que l’échec pourrait le condamner à une éternité d’agonie dans une montagne lointaine. Concentré, il plongea dans le gouffre.

En un clin d’œil, il jaillit du plafond du Temple de la Créatrice, atterrissant avec une aisance déconcertante.

— Dommage que cela ne fonctionne que sur de courtes distances, jubila-t-il, impressionné par son talent.

Le regard d’Aëgir s’enfonça dans le Monolithe. L’alliage d’or et d’argent absorbait la lumière, tout en émettant sa propre lueur. Le sceptre frémit. Aujourd’hui, il ne serait pas suffisant. Il n’y avait pas de place pour des demi-mesures ou des manipulations écomagiques. Il avait besoin de plus.

Congédiant sa Régalia, il closit les paupières afin de se recentrer sur son moi intérieur, tel un ingénieur ajustant minutieusement des vannes complexes. Il sentit les verrous de ses limites internes s’ouvrir un à un, libérant des ruisseaux de mana qui se précipitèrent dans ses veines. Sa main s’élargit, et une bille cobalt naquit, virevoltant dans sa paume. Malgré sa taille modeste, il s’agissait d’un concentré spirituelle pure. Il émit une légère chaleur ainsi qu’une vibration qui se propagea dans la terre. Sa vivacité s’amplifia, pulsa, jusqu’à devenir si vif qu’il devint impossible de la supporter.

Au même instant, le bruissement de la cascade se mua en une mélodie perceptible, et la coulée aqueuse dévia de son trajet pour l’envelopper. Tel un second épiderme, elle se fixa à son dos, lui conférant l’aspect d’un Archange. Ses iris s’embrassèrent d’un bleu azur si intense qu’ils reflétaient deux saphirs enflammés. Son être irradiait de turquoise, métamorphosant l’obscurité en une cathédrale radieuse.

Avec la résolution d’une divinité vindicative, il projeta sa sphère sur le Monolithe. Au moment où il frôla la roche, une liaison s’établit. Il se sentit naviguer dans les méandres de la vieille magie, pareil à un faucon survolant un labyrinthe, les sens à l’affût du moindre éclat étranger. Il reconnut les empreintes de ses parents. Et là, dissimulé parmi elles, il décela la marque insidieuse de Ménes.

D’un mouvement brusque, sa main se défit de la surface rugueuse. Un filet s’étira, semblable à un cordon ombilical.

Le mage tourna son attention vers l’Oracle, découvrit la paume et relâcha son emprise. Le résidu de pouvoir s’éleva en un filigrane pourpre. Spirales et volutes se tissèrent dans l’éther avant d’être aspirées par l’artefact, qui s’embrasa.

Un halo s’en échappa, émettant une carte holographique du monde en lévitation. Le globe terrestre représenté était criblé de point, mais un seul d’entre eux, rougeoyant, l’intéressait. Une inscription apparue formant le mot « Athènes ».

Son souffle se faisait court, ses forces s’amenuisaient. Il s’évertuait à lutter contre la sorcellerie personifier. Alors qu’il allait céder, submergé, son sceptre le rejoignit et une voix résonna :

Ne flanche pas, Roi des Mers. Maintenant que tu m’entends, rien n’est impossible. Lâche prise et laisse-moi canaliser le flux.

Pour la première fois, il réalisa que cet objet sacré détenait une âme, une identité propre. « Triton », qu’il sut d’instinct. Sans réserve, il obéit.

Dès l’instant où il abdiqua le contrôle, Aëgir sentit une paix immédiate l’envahir. Le bâton, ou plutôt Triton scintilla plus intensément, s’imbriquant parfaitement dans les débits chaotiques qui le noyaient. Maestro, il réorchestrait les, refermant les robinets ouverts un peu trop généreusement, équilibrant les déferlantes de mana. C’était comme si une main invisible ajustait les cordes d’un instrument désaccordé, situant le juste milieu entre puissance et finesse.

Finalement, la cascade le reposa et retrouva son lit, clôturant cette prouesse hors du commun. Il n’eut pas l’occasion de savourer sa victoire. La léoparde affolée, qui ressentit la perturbation à travers la flore, émergea de l’obscurité prête à tout déchiqueter. Étonnée de découvrir son frère seul, elle se métamorphosa en femme.

— Je l’ai trouvé, réussit-il à murmurer, terrassé par la fatigue.

— Trouvé ? Je l’ai expédiée dans le noyau de la planète !

— J'imagine... qu'une intervention... divine lui a été... accordée, haleta-t-il, luttant pour chaque mot. Qu'il soit... un instrument de Dieu... est désormais... une évidence.

Aëgir, vacillant, luttait pour maintenir son équilibre. Sa respiration saccadée trahissait l'épuisement profond qui l'envahissait. Ses traits, jadis animés par une volonté inébranlable, affichaient désormais une pâleur fantomatique. Tous ses muscles criaient en protestation, refusant de le soutenir davantage. Dans un ultime sursaut pour rester conscient, il chercha un appui, en vain. L'inévitable survint; son corps céda, s'effondrant dans un murmure étouffé, succombant à l'appel impérieux du repos forcé.

La baguette d'émeraude, vibrante de pouvoir, se transforma, prenant la forme d'une plateforme stable. Avec une précaution extrême, elle accueillit Aëgir, le reposant sur elle comme une feuille dépose une goutte de rosée. Ensemble, ils s'envolèrent vers l'Hacienda, la destination scintillant dans le lointain tel un phare promettant réconfort et soins. À côté, Triton, compagnon fidèle, suivait, sa présence une constante rassurante. Dans ce périple nocturne, ils formaient une procession dédiée à la sauvegarde, un engagement muet à veiller sur son bien-être.

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