Chapitre 41 : Hiver Inattendu

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Dans l’antre autrefois occupé par ses parents, Aëgir émergea des brumes du sommeil. L’air apaisant du lieu contrastait avec les tempêtes émotionnelles qui l’avaient récemment ébranlé. Gaïa, sa sentinelle vigilante, se tenait à ses côtés, éclairant ses nuits d’incertitude. Enfin éveillé, il s’étira, mimant la grâce d’un léopard accueillant l’aube.

— Gaïa… 

Elle lui renvoya un sourire baigné de tendresse.

— Te voilà de retour parmi nous. Comment te sens-tu ? 

— Régénéré ! 

L’éclat de rire de la Pythie chassa les ténèbres.

— Tes paroles réchauffent mon cœur. Tu m’as inquiété. 

Redressé, le Mage se fit solennel :

— Il me peine de t’avoir laissé entrevoir le pire

— Je te crois sans réserve. 

Aëgir contempla brièvement son sceptre et reporta son attention sur sa sœur :

— As-tu déjà conversé avec ta Régalia ? 

Étonnée, elle rétorqua :

— Parler à ma baguette ? Non, quelle idée ! 

Ses prunelles s’élargirent alors qu’il révélait :

— Triton n’est pas qu’un objet, il a une âme. 

— Une âme, dis-tu... Intrigant. Jamais je n’ai éprouvé une telle symbiose . 

Il prit un air songeur.

— Je suppose que l’éveil de ma force a intensifié ma sensibilité. Triton et moi sommes à présent... intrinsèquement liés. 

Une ombre les traversa ; une pensée lourde d’émotion pour Nasëem et Kaëlle.

— Une fois tes petits sauvés, nous passerons les visiter, promit-il.

Triton, réceptif à l’humeur du moment, se miniaturisa en un éclair. Un frisson agréable caressa sa nuque, alors que le sceptre se logeait élégamment dans son chignon. Quant à la baguette de la Pythie, elle se réinventa en un collier d’émeraude qui se drapa autour de son cou.

Droit, le Mage joignit ses paumes au niveau de son plexus solaire. Un cocon d’eau éthérée l’enveloppa, son aura miroita brièvement avant de s’estomper. Le sol sous lui frémit, et un cercle sombre se développa, aspirant les protagonistes. Un instant plus tard, ils se tenaient debout au sein du Temple. Impressionnée, elle le complimenta :

— Ta manière de manipuler l’espace est vraiment… exotique.

Aëgir se gorgea d’orgueil avant de caresser l’Augure. Un halo se déploya, miniaturisant la grande bleue. La tache d’argent se trouvait toujours sur la Grèce. Il toucha de nouveau l’orbe, lui intimant d’aménager un maelstrom vers cette destination.

Une énergie électrisante jaillit du Monholite Primaire, faisant frissonner la peau des aventuriers.

— Prête pour la prochaine étape ?

Gaïa acquiesça, éclairée par un sourire contagieux.

— Plus que jamais !

En un éclair, ils disparurent, absorbés par le portail qui venait de s’ouvrir devant eux. Le tandem fut accueilli par la mélancolie de l’Amphiaréion d’Oropos. Naguère lieu de splendeur, il portait maintenant les stigmates des conflits passés, ses colonnes érodées pareil a des dents usées. Sentant la protection invisible de la Créatrice les envelopper, ils échangèrent un clin d’œil entendu. Pas de temps à perdre en admiration du paysage ou en déploration du sort de ce site antique. En un claquement de doigts, la baguette se métamorphosa en une plateforme émeraude, large et solide, évoquant la beauté de la nature dans sa plus pure expression. Elle ressemblait à une feuille de cristal.

— Monte,  l’invita Gaïa, les pieds déjà plantés sur la surface chatoyante.

La planche s’éleva vers le firmament. Ils se tenaient là, surfeurs célestes, fixés sur le panorama. En dessous s’étalait une palette de bruns, de verts et de bleus. Un écrin de collines entourait Athènes, et la mer Égée scintillait au loin.

— Époustouflant, n’est-ce pas ? s’écria la Pythie.

Dans ce moment, tout se suspendit : les saisons, leur souffle, et même les inquiétudes. Toutefois, préférant la discrétion, la Pyhthie les fit atterrirent à l’écart de la ville.

— Parfais,  lâcha le Mage, un point de vue idéal pour évaluer la situation et agir en conséquence. 

Dissimulant leur véritable nature, ils adoptèrent la mode en vigueur. Robe de dentelle et soutane de lin se métamorphosèrent en toges blanches et sandales en cuir, simples, mais dignes. Se plongeant parmi la populace athénienne, époque où philosophes et politiciens arpentaient les rues, ils ressentaient le poids du passé. Les effluves d’encens, le bourdonnement des conversations passionnées, les railleries et les exclamations du marché exaltaient l’atmosphère.

Guidés par une serveuse aux formes généreusement exposées, ils franchirent le seuil d’une auberge agitée. On les installa à une table en bois rugueux, où un pichet de vinasse local les attendait. Aëgir prit une gorgée, qui manqua de l’étouffer ; accentuant l’hilarité de l’assemblée de pochtron. Remis de ses émotions, il rencontra la mimique inquisitrice de sa soeur.

— Comment procédons-nous ? questionna-t-elle, fébrile.

— Je m’occuperai de ceux de droite, et, toi, de ceux de gauche, réagit Aëgir.

Ils se concentrèrent, leurs sens s’étendant à travers la foule. Chaque esprit était un livre ouvert, chaque pensée une histoire plus grande. Au fil de leur exploration mentale, ils découvrirent des joies simples, des réussites modestes. Mais ils tombèrent aussi sur des abîmes de douleur, des tourments cachés, des actes inqualifiables.

— J’ai trouvé quelqu’un,  murmura-t-il. Un négociant doit le rejoindre près d’un olivier sur l’Acropole, d’ici une heure. 

Sans un mot, ils se levèrent. Le mage déposa une pépite d’or massive sur la table ; la tenancière se précipita pour la ramasser. Ils sortirent dans les rues encore vibrantes de la vie nocturne. Des marchands tardifs criaient, des familles se promenaient sous la lueur des torches, et des chants émanaient des tavernes.

Une frêle silhouette se détacha de l’ombre. Une petiote, vêtue de haillons, tendait une main maigre. Gaïa, touchée, fit apparaître un trèfle à quatre feuilles manatik. D’un souffle, elle le projeta dans l’âme de la fillette. Désormais, la chance serait avec elle.

Sans s’arrêter, ils continuèrent l’ascension. En atteignant la destination, ils se dirigèrent vers l’olivier indiqué, leurs sens immédiatement en alertent. À leurs yeux, l’arbre se transforma, les feuilles adoptant une teinte argentée. Ce n’était pas simplement un olivier, mais un portail vers un autre plan d’existence. Aëgir se tourna vers sa sœur.

— Nous sommes proches, je le sens. Les Léopardos pourront bientôt retrouver leur souffle.

— Enfin, nous touchons au but.

Saisissant Triton, sans défaire son chignon et sans prendre la peine de l’agrandir, il traça un arc de cercle. À ses côtés, la Pythie brandit sa baguette, la pointe irradiant d’émeraude. Les faisceaux se croisèrent, s’entremêlèrent et cognèrent. Frapper par une note de trop aiguë le tronc vibra. Le sceau d’Athéna se brisa pour révéler un passage.

Dès leur arrivée sur le mont Olympe, les profanateurs se mirent en position de combat, prêts à déchaîner leur colère sur ce qui dresserait sur leur chemin. L’Olympe, jadis majestueux, servait de trône au panthéon grec dans une gloire corrompue. Aujourd’hui, des colonnades en ruine s’érigeaient, l’herbe grasse et luxuriante s’était transformée en lande stérile, et les temples dorés se réduisaient à des coquilles vides et érodées.

Elle tenait sa baguette à deux mains parée à calcifier la moindre mouche. Ses prunelles de Jade scrutaient les alentours, à l’affût de mouvement suspect.

Aëgir analysa le paysage, cherchant des indices.

— Ménes pourrait être ici, caché parmi ces vestiges.

Alors que la Pyhtie s’appétait à projeter son esprit, l’écho d’une supplique sinueuse se propagea – frisson traversant le tissu du mont Olympe.

—  Accordez-moi vos prérogatives aux grands Rois déchus de Xandria !

Suivant cette litanie, ils s’approchèrent à pas feutrés. Devant eux, dans une crypte souterraine bordée de sépulture de Titans, Ménes puisait dans les ossements pour régénérer sa puissance. Gaïa toussa pour signaler leur présence. Le fourbe se tourna, son faciès n’était plus que cendres et supplice.

—  Ëlara ?  susurra-t-il, crétinisé.

—  Mauvaise pioche, Tonton !  répliqua-t-elle, acerbe.

Malgré sa faiblesse, en un éclair, Ménes leva une barrière protectrice, sacrifiant le peu de mana emmagasiné. Il toisa son neveu, portait de Caïn :

— Ne la laisse pas faire, je t’en prie. Vous devez comprendre ! 

Aëgir s’avachit sur une méridienne poussiéreuse, conjurant une amphore de vin.

— Je ne suis que l’accompagnateur. Tu es sa proie. 

Gaïa s’embrasa d’un feu verdoyant alors qu’elle exigeait :

— Pourquoi as-tu fait ça ? Comment annuler le sort que tu as jeté sur les Léopardos ? Parle ! 

Ménes paniquait. Ses mains posées sur les tombes de Rhéa et de Chronos agissaient à la manière des siphons, absorbant la magie ancestrale qui y résidait.

— Vous ne comprenez pas,  marmonna-t-il tout en accélérant sa psalmodie, ses bras s’égayant de l’énergie drainée.

Mais la Pythie n’était pas du genre à attendre. Une fureur primale, celle d’une lionne défendant ses petits la possédait.

— Tu oses te taire ?  siffla-t-elle avant de projeter une nouvelle salve.

Le bouclier vacilla, frémissant sous l’assaut. Elle s’avança davantage, faisant fondre la distance qui les séparait. Ses cheveux flottèrent au mistral absent.

— Tu ne parleras pas ? Très bien, maugréa-t-elle.

Et c’est là que cela se produisit. Elle ressentit un déclic. Les sceaux contenant sa force se rompirent.

Le condenser de Mana atteignit un seuil critique, une rancœur tranchante qui déchira son être. Dans cet état, elle sentit une connexion, une sorte de communion avec sa Régalia. Elle sut instinctivement qu’elle se prénommait Sensuelle. Une communication sans paroles, mais pleine d’ententes s’établit.

D’une pichenette, Gaïa anéantit la défense de l’adversaire. Trop tard pour une transfiguration, celui-ci se retrouva face à une déesse vengeresse. Sensuelle prit vie, se déploya en un éclair et s’enroula autour de son cou, le séparant ainsi de la source même de sa puissance. Les supplications cessèrent de résonner. Réduit à un simple pantin, Ménes n’eut d’autre choix que de les suivre.

 — Je pense qu’il est temps de partir, proposa Aëgir, se levant.

Rejoignant le point d’émergence, le mage ouvrit la brèche en étendant sa main. Mais juste avant de la traverser, une lueur intense et chaude irradia l’horizon des événements. Leurs visages se crispèrent. Ils repérèrent des particules exotiques, résidus d’une éruption solaire, fusionnant avec le flux tellurique qui alimentait leur transition. Le portail perdit son équilibre, ses contours se distordant sous l’effet des ondes. Sans option, ils plongèrent dans l’inconnu à travers le seuil instable, laissant une cascade de perturbations cosmiques derrière eux.

Les téméraires se tenaient de nouveau sur le sol d’Athènes, à leur grand soulagement, mais quelque chose clochait. Les feuilles qu’ils piétinaient avaient séché et étaient tombées. Les arbres présentaient une nudité mélancolique. Hélios apparaissait en une pâle ombre derrière un firmament voilé, et une fraîcheur piquante, remplaçant la chaleur de la belle saison, s’infiltrait dans leurs os. Gaïa attrapa un flocon de neige au vol, sa stupeur reflétée dans les cristaux qui fondaient entre ses doigts.

— L’hiver, déjà ?  s’étonna-t-elle.

Aëgir examina le ciel, les lignes de sa mâchoire se tendant.

— Le soleil devrait être plus visible. 

Elle remarqua les gens autour d’eux, vêtus de tuniques épaisses et de manteaux de laine, des signes manifestes que le temps avait avancés sans eux.

— L’été était à son apogée quand nous avons quitté ce lieu,  dit-elle lentement, réalisant l’ampleur de leur absence. Apparemment notre escapade a duré plus longtemps que prévu. 

Ne pouvant remédier à la situation, ils s’enduisirent de tenus chaudes. Le prisonnier, abandonner à la morsure du froid, grelottait dans leur pas. Ils décidèrent de se rendre auprès du seul individu qui pourrait extraire de son cerveau les informations tant espéré.

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