Chapitre 43 : Crépuscule d’une Reine.

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Dans la pénombre de la Chambre du Conclave, les torches à l’huile d’argousier virevoltèrent, dévoilant des mines creusés et résolus, immergés dans l’urgence de l’instant. Kaëlle, drapée d’un lin tissé évoquant un coquelicot, déposa sa baguette devant elle. Une douleur aiguë s’insinua dans son abdomen. En toute discrétion, elle frôla son ventre bombé et passa en revue les membres du conseil.

Léandra, enveloppée de fourrures et agrémentée d’ornements osseux, affichait une impassibilité qui servait de barrière impénétrable. Astrya, l’ancienne aux dreadlocks d’argent, captat le changement subtil dans la lueur des flambeaux. Juste alors, le claquement des bottes d’Ariana signala son arrivée.

— Le Conclave est au complet. Qu’il débute ! 

Les femmes se levèrent, leurs sandales de cuir caressant la terre battue, et formèrent un cercle autour du granit incrusté de rubis. Chacune apposa un index tatoué sur la roche et murmura des prières ancestrales. Kaëlle adressa les siennes à la Créatrice. Ensuite, elles regagnèrent les sièges faits de bois et d’osier. D’un timbre qui oscillait entre tremblement et fermeté, Astrya annonça :

— L’heure est venue d’élire notre Reine. Exprimons nos préférences. 

La sorcière éprouva une raideur dans ses muscles, un frisson solennel remplaça sa tension. Après une grande inspiration, elle déclara :

— Je désigne Léandra. 

Cette dernière, son front orné d’un diadème d’écailles, afficha une surprise soignée avant de répondre :

— Je soutiens Aéliana. 

Ariane, au visage juvénile et débordant d’une vivacité indomptable, proclama :

— Mon vote va à Kaëlle. 

Lysandra, marquée par de nombreuses batailles, ajouta :

— Je me range également derrière Kaëlle. 

Finalement, Astrya conclut :

— Kaëlle a ma confiance. 

Aliéna et Cassandra vêtues de tuniques de chanvre marron, plébiscitèrent Léandra. Un frisson d’incrédulité parcourut le cercle. Astrya se leva alors, dispersa une poudre dans les flammes de la cheminée, signalant ainsi au peuple l’issue du conclave par une fumée blanche. Elle les scruta toutes intensément avant d’annoncer :

— Selon nos traditions millénaires, cette impasse se résoudra par le tranchant de l’épée, dans un combat mortel. Que les Reines passées guident vos armes,  clôtura l’Ancienne.

Kaëlle caressa son ventre. Puis, contempla sa rivale. Le destin les avait menés à cette intersection cruciale. Un avenir pesant réclamait des sacrifices, tout en insufflant une lueur d’espoir pour un renouveau. Les femmes se séparèrent, emportant le poids d’une décision qui résonnerait littéralement à travers les âges. La sorcière prit la direction d’une hutte de fortune où Phoebus anxieux l’attendait.

— Phoebus, j’ai des doutes. Un combat à mort… et notre enfant à naître. C’est une lourde responsabilité. 

Il saisit sa main, la pressant doucement.

— Je comprends tes appréhensions, mais pense aux avancées que notre peuple pourrait réaliser sous ton règne. Tu m’as confié être originaire d’une dimension futuriste où trônent de véritables divinités qui t’ont éduquée, avoir grandi dans un rêve perpétuel. Tu es extraordinaire, non seulement pour tes pouvoirs, mais aussi pour ton courage, ton altruisme et ton intelligence. Pour beaucoup d’entre nous, tu incarnes un nouvel espoir, une perspective d’avenir. Notre fille pourrait s’épanouir dans une société plus équitable, plus robuste. 

— Et si je venais à perdre ? Notre enfant... 

Phoebus l’interrompit.

— Tu ne perdras pas. Nous le savons tous les deux. 

Loin de leur abri, les villageois préparaient une arène de combat. Les fers allaient se croiser, scellant le destin d’une reine et de son peuple. Phoebus se leva et prit son épée.

— Je souhaite que tu portes ceci, dit-il en la lui tendant. C’est une extension de moi, comme je suis une extension de toi. 

Les prunelles de la sorcière s’emplirent de larmes qu’elle refusa de laisser couler. Elle la saisit, et la glissa dans son fourreau.

— Je suis prête 

Son homme la suivait d’un pas mesuré, juste derrière elle, tandis qu’ils quittaient les lieux. Les acclamations s’élevèrent. Alors qu’elle atteignait le cercle formant l’aire de combat, Léandra, visiblement moins soutenue, fit son entrée.

Face à face, elles échangèrent un œil scrutateur, cherchant le moindre indice de vulnérabilité. Le rythme du tambour résonna dans le village dévasté. Puis, d’un cri de défi D’Astraya, le duel pour la couronne débuta.

Vêtue de son armure de cuir ébène, Kaëlle dégaina son épée avec une aisance mortelle, le métal chuchotant sa menace. Léandra, en corsaire scintillant d’acier, fit virevolter sa propre lame, un rictus cruel l’animant.

— Es-tu prête ?  questionna la future mère, tendue.

— Je suis née pour ça, rétorqua Léandra.

Poussant une vocalise stridente, la sorcière ouvrit le bal des hostilités, effectuant un salto pour accélérer son élan. Léandra pivota sur elle-même, parant l’attaque dans un choc métallique, des étincelles jaillissant au point de collision.

Réagissant avec vélocité, elle réalisa une roulade arrière, ses pieds s’appuyèrent contre un tronc calciné. Utilisant cette base pour prendre son envol, elle brandit son poing, ciblant le crâne de la sorcière.

D’une esquive latérale, elle évita la menace, se redressant in extremis pour enrayer la suivante. Leurs lames se croisèrent, les deux femmes étant presque nez à nez.

— Tu ne t’assiéras jamais sur ce trône, rugit la sorcière, écartant son adversaire grâce à sa puissance brute.

Avec une agilité implacable, Léandra se dégagea et exécuta une pirouette, jetant au passage une dague dissimulée. Kaëlle l’intercepta en la bloquant entre deux doigts. Les guerrières se mirent en mouvement, se toisant férocement.

Au lieu d’exploiter ses pouvoirs, elle optait pour le fair-play, visant à équilibrer les chances dans la compétition. Sa fille secouée protestait par de virulents coups de pied. Pourtant, même dans cette arène, entourée de l’attention des Amazones, elle ressentait une vulnérabilité inhabituelle. Pour la première fois, elle réprimait ses flammes ardentes, impatientes de s’épanouir.

Dans le calme de son esprit, elle lança une prière sincère à la Créatrice, souhaitant une intervention, un signe, ou un espoir dans cette épreuve.

Cependant, tandis que les attaques incessantes reprirent, qu’elle esquivait habilement, une brève vision s’imposa, divulguant la véritable nature de son adversaire. Léandra avait ourdi un complot avec les brigands. Elle vit comment elle les avait repérés, informés, et utilise ses prérogatives pour affaiblir la garde du village, préméditant le trépas de Yara, convaincue que cela lui garantirait le titre de reine.

Cette révélation la plongea dans une rage incontrôlable. D’un coup violent, elle projeta Léandra en arrière. Elle se releva aussitôt, couverte de cendre, éraflé par la pierre, la parjure vociféra un juron de guerre guttural en chargeant.

Un nuage de poussière s’éleva sous les pieds de la sorcière alors qu’elle exécutait un salto arrière, se mettant à une distance sûre. un Audacieuse, elle se désarma. Léandra, captant une opportunité, bondit, son épée en l’air. Pareil à une Léoparde, Kaëlle esquiva en se baissant ; elle saisit la lame entre ses paumes, les muscles de ses bras tendus, tandis qu’elle canalisait la puissance de ses jambes pour maintenir le tranchant la meurtrissant – le glaive voltigea.

Avant que la parjure ne puisse réaliser, Kaëlle agit. Ses doigts se déplacèrent avec la précision d’un maître d’arts martiaux, touchant des points vitaux sur le cou. Une pression exercée, et Léandra se retrouva ankylosée. Inclinant la tête, la championne susurra :

— Par ma main, tu es neutralisée, félonne. Pour trente secondes, tu restes paralysée puis.... Je garderai le secret- de ta traîtrise, mais sache que Lucifer et Lilith, mes aïeux, t’ont déjà réservé une place en enfer.

Ses pupilles se dilatèrent, et sa terreur prit une forme tangible: son sang coula d’abord de ses narines, puis de ses oreilles et, enfin, s’échappa de sa bouche. Elle s’écroula, réduite à une coquille inerte. Les témoins de cette lutte féroce avaient le souffle coupé, les yeux écarquillés devant la scène. Des murmures incertains se propageaient, certaines scrutant le corps de Léandra. Un nouveau cri de guerre d’Astrya résonna, et, en synchronie, le peuple s’agenouilla.

***

Kaëlle froissait les draps de son lit, les plis témoignant de son agitation intérieure. Des flash-back de la bataille la hantaient, mêlés à l’odeur du bois brûlé. Une conviction l’envahit : l’inaction n’était plus une option.

Elle quitta sa couche et enfila une soutane de soie pourpre, qui capturait les premières lueurs d’une aube incertaine. Ses cheveux, libres de toute contrainte, se laissaient caresser par le vent matinal. Elle se dirigea vers la place principale, ses pieds foulant la boue et les cendres fraîches.

Arrivée en son centre, la Reine closit les paupières. Une vague psychique s’en échappa, sillonnant entre les maisons éventrées et les arbres meurtris. Les villageois, qui tentaient de reprendre un semblant de vie parmi les ruines fumantes, ressentirent sa requête. Tirés de leur torpeur, ils se levèrent. L’herbe noircie, humide et froide s’écrasait sous leurs pas, tandis que le son des écorces brisées et des cannes contre le gravier résonnait.

Ils formèrent un cercle autour de la Sorcière, les prunelles lourdes de la connaissance d’un danger imminent. Les mercenaires disparus ne tarderaient pas à être remplacés par d’autres, venus enquêter sur le sort de leurs prédécesseurs.

— L’heure est critique, mais l’espoir est en nous. Vous êtes ma forteresse, comme je suis la vôtre, clama-t-elle.

Son regard rencontra celui d’Ariane, flamboyant, puis glissa vers Léandra, qui portait les stigmates de mille batailles. Enfin, elle fixa Astrya, dont les rides racontaient une histoire de résilience et de sagesse.

— Je vous demande donc de réunir vos hommes et vos enfants, de rassembler vos lames et de vous tenir prêtes. Car, dès à présent, nous quittons nos terres pour marcher vers un avenir meilleur.

À ces mots, le ciel se zébra, peint d’or et de rose. Sous couvert de la pluie battante, la Scythie pleurait ses filles, qui levèrent le poing vers l’horizon.

Kaëlle descendit de l’estrade, et des interrogations s’envolèrent, évoquant la brise avant une tempête. Les habitants se regroupèrent, effleurant leur reine de la pointe des doigts. Au cœur de cette foule, Solène, guerrière chevronnée sur trois générations, se tenait imperturbable. Un bambin en quête de réconfort mêla dans ses bras innocence et perplexité.

Phoebus s’avança, sa présence révélant une majesté indiscutable.

— Es-tu convaincue ?  chuchota-t-il, visant non pas à remettre en cause, mais à rassurer.

— De toute évidence, la nécessité ne m’offre aucune alternative. Si notre survie commande que je soumette les nations et décime une pléthore d’ennemis, alors que le maléfice soit déchaîné !

Conduisant la procession, l’harmonie de Kaëlle et Phoebus encouragea le cortège, progressant en une file ordonnée. Le paysage muta insensiblement, délaissant les plaines familiales pour des sentiers plus escarpés. Le sol devint rocheux ; le froid s’installa.

Solène, une vétérante, scruta l’horizon. Bien qu’inébranlable, son effort lui creusa de nouvelles rides. À ses côtés, Eryndor, jeune garçon, épuisait ses petites jambes sans se lamenter. Parmi la caravane, une mère hydrata son nourrisson à l’aide d’une outre. Le liquide rafraîchissant apaisait sa bouche, mais pas son angoisse. Des dialogues épisodiques surgissaient :

— Rencontrerons-nous des sommets enneigés ou une jungle luxuriante ?  se questionnèrent-ils, espérant trouver du réconfort face au traumatisme.

Au crépuscule, quand les ombres s’allongèrent, la parade approcha de sa destination. L’édifice se profilait à l’horizon, signalant à la fois une fin et un début. Phoebus percevait une lourdeur, celle précédant les tournants existentiels. Ils échangèrent un regard, puis guidèrent leur peuple vers le monument mystique. Un frisson collectif parcourut l’assemblée. Dans cette suspension entre deux mondes, une conviction émergea : leur destin serait commun, sous l’égide de leur reine.

Kaëlle entonna un antique Chant de départ. Les Amazones s’y joignirent, formant un crescendo vibrant qui fit écho. Les glyphes sur le menhir phosphorèrent, en réponse à la mélodie.

La litanie finie, de sa bourse écarlate, elle tira un palimpseste, y déposa une braise. Des formes géométriques apparurent. Après une étude brève, elle activa les runes du dolmen d’un coup de baguette. Un maelstrom s’ouvrit.

Lysandra Chuchota:

— Je vous suivrai où que nous allions. 

Sa Reine lui offrit un sourire lourd d’émotion.

— Et c’est avec honneur que je vous guiderai.

Les guerrières s’engouffrèrent une à une dans le vortex. Certaines hésitèrent, d’autres s’émerveillèrent.

Finalement seule, Kaëlle inspira profondément, emportant avec elle les parfums de la Scythie. Puis, d’un pas résolu, elle traversa.

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