Chapitre 45 : Les Ombres d’un Passé Éternel
Dans la profondeur de la nuit, Nasëem avança pendant douze heures, guidé par une force intérieure, traversant un voile d’incertitudes. Finalement, devant lui, l’entrée de la grotte de sa vision émergea avec l’aube – un portail vers l’inconnu. Ses mains incarnèrent une sphère luminescente.
— Montre-moi le chemin, souffla-t-il.
L’image de Lilith gravée dans l’âme, il s’enfonça dans l’antre, prêt à défier ce qui l’attendait.
— Tu es proche, je le sens.
L’atmosphère, chargée des effluves de la terre ancienne, portait une note d’histoire. Seul le goutte-à-goutte de l’eau sur la pierre gelée résonnait. Puis, dans une alcôve, elle apparut : Lilith, baignée par un faisceau lunaire – sa beauté ténébreuse mise en valeur par sa peau d’albâtre et la cascade sombre de ses cheveux. Sa présence envoûtante maintenait un équilibre entre danger et désir.
— Grand-Maman, grommela-t-il, fasciné.
En s’approchant de son descendant, elle fit le tour de sa personne. Indigné d’être jaugé à la manière d’une vache, le Druide serra les poings… Las de ravaler son fief, il l’invectiva :
— Tu devais te douter que je viendrais réclamer Ma Régalia. Alors, pourquoi avoir recours à de tels stratagèmes ? Envoyer un démon semer le chaos juste pour capter mon attention, c’est inacceptable.
Elle saisit sa main, puis se pencha à son oreille lentement :
— C’est dans ma nature mon petit. J’ai toujours trouvé délice dans la douleur, m’enrichissant des âmes bien avant ton existence. Personne ne peut me juger.
Nasëem ouvrit la bouche pour répliquer, mais elle le devança :
— Et surtout pas mon petit-fils. J’exige ton respect.
Ses propos cinglants le firent fléchir, et la honte éclipsa sa colère. Il baissa la tête, approuvant son reproche. De son index à l’ongle fêlé, elle releva fermement le menton du Druide :
— J’accepte que tu sois bon. Alors, supporte ma sensibilité infernale en retour. À compter de ce jour, tu n’abaisseras plus le regard devant quiconque !
Les pupilles se verrouillèrent, réformant l’air ambiant en un champ de guerre invisible. Les veines sur leurs tempes palpitaient tel des cordes de violon sous l’archet d’un musicien frénétique.
Ses paupières tremblaient, luttant contre la force gravitationnelle de sa défaite imminente. Une goutte de sueur perla à son front, descendant le long de son larmier. La sensation de brûlure dans ses yeux atteignait son paroxysme, le forçant à batailler pour garder le contact visuel. Elle, en revanche, demeurait aussi immuable que le roc. Elle ne cillait pas, ne déviait pas, maintenant le sien dans une prise inflexible. Une légère étincelle dansait dans ses iris.
Et puis il cligna, rompant le lien. Il avait perdu, noyé par les abymes. Elle sourit, sachant que le combat mutique venait de proclamer son vainqueur.
D’une douceur contrastant avec sa précédente fermeté, elle lui souleva le menton, l’incitant à la scruter de nouveau.
— Pourquoi es-tu venu jusqu’ici ?
Il prit une grande inspiration :
— Pour récupérer ma Régalia. Pour rétablir l’équilibre. Parce que le mal m’attire. Et pour toi qui fus ma mère dans une autre vie !
— Tu lui ressembles tellement ! Mon amour pour Abel et Caïn est tout ce qui me reste du temps où j’incarnais Ève. Le destin est parfois une spirale. On pense avancer, mais la genèse nous rattrape toujours. Ta quête t’a ramené à moi, mais es-tu paré pour ce qui te guette ?
Il hocha la tête, bien que l’incertitude flottait dans son esprit.
— Je suis prêt à tout entendre, à tout comprendre.
— Ce sanctuaire, hors du temps, a été conçu spécialement pour toi par la Créatrice.
D’une assurance renouvelée, il répliqua :
— Je n’attendais rien de moins d’elle. Elle tient, après tout, le rôle de la matriarche dans nos vies.
Submergée par la jalousie, son rictus de haine s’accentua :
— Oh, je n’en doute pas. Mais pourquoi a-t-elle fait ça ? Peut-être y a-t-il une motivation cachée que tu n’as pas envisagée !
Il avoisina un karistite, le touchant délicatement :
— Kelly sait ce qu’elle fait. Si elle a engendré cet endroit pour moi, elle a ses raisons.
Lilith gloussa ; un rire rempli de moquerie.
— Peut-être souhaite-t-elle te garder ici pour l’éternité, hors du temps. Peut-être est-ce sa manière de te mettre hors jeu.
de tout son dédain, elle fut toisée :
— Elle use de ses prérogatives pour faire de nous de simples pions. Cependant, notre rôle est clair : nous sommes les protagonistes de sa bataille. Pour moi, c’est un honneur. Depuis ma naissance, j’ai une mission, un dessein offert par elle. Prends garde, Lilith. Ne méprise jamais le lien qui m’unit à la Créatrice. Cela pourrait te coûter cher.
— On verra bien, mon petit. On verra bien.
Elle s’éloigna, son avertissement demeuré en suspend. Puis, la Reine des enfers pointa une alcôve annexe. Dans cette modeste enclave indiscernable dans la pénombre, un noble diamant noir lévitait, tournant lentement. À l’intérieur, un bâton sculpté d’une manière exquise.
Il hésita... s’avança. Ses pas pesaient lourdement sous le poids de la déférence que cet artefact exigeait. Lilith l’observa attentivement.
— Regarde-le, murmura-t-elle, dépeignant un mélange de respect, de crainte et une pointe d’envie. Il détient des pouvoirs que même moi, malgré toutes mes années et ma sagesse, n’arrive pas à cerner entièrement.
Nasëem, émerveillé, s’immobilisa, puis timidement appuya sa paume sur la Diamonite.
— Il est... chaud, répondit-il, étonné, sa main tremblante frôlant la surface de la pierre précieuse.
Lilith acquiesça.
— Il pulse d’une magie ancienne. Tu l’éprouves, n’est-ce pas ?
Oui, il le sentait. Une foule de questions tourbillonnaient dans sa tête, mais, pour le moment, le temps ne s’égrainait plus. Il n’y avait que lui, le bâton, et le silence profond de la grotte atemporelle. Avec une tendresse perceptible, elle posa sa griffe sur son poignet :
— Tu es extraordinaire, mon enfant.
Il l’observa, son expression marquée par la surprise.
— En quel honneur cette déclaration, Lilith ?
— Ce n’est pas uniquement à cause de ta lignée ou de ta puissance, s’expliqua-t-elle. Il y a en toi une noirceur... un sadisme que peu possèdent.
Nasëem parut réfléchir, tentant de comprendre le sens caché derrière ses propos vexants.
— La Régalia, poursuivit Lilith, elle ne désire pas seulement un porteur. Elle recherche un partenaire, un égal.
Elle serra légèrement son bras pour accentuer ses paroles :
— Et je suis persuadée que tu surpasseras ses attentes.
— Et si je ne suis pas à la hauteur ?
Lilith lui fit un clin d’œil :
— Pas de fausses modesties ! L’orgueil est le panache des Rois. La vraie question est : es-tu prêt à réussir ?
Dans l’obscurité, Lilith leva une main, les ombres dansaient paisiblement autour d’elle :
— La patience est la clé. Le pouvoir se tait dans les silences entre les actions, dans la contemplation et la maîtrise de l’intériorisation.
Sa frustration évidente, il chercha à discerner la vérité. Un soupir s’échappa puis :
— Guide-moi alors, implora-t-il. Je souhaite être à la hauteur.
Le doux éclat de fierté de Lilith fut impossible à manquer.
— Il ne s’agit pas de gestes ou de paroles incantatoires. C’est une introspection, là où se cachent tes peurs les plus enfouies, tes doutes les plus noirs. Es-tu prêt à te confronter à toi-même ?
Après un moment suspendu dans le temps, il hocha la tête, sa gorge serrée.
— Je le suis !
— Je ne peux rester en ces lieux éphémères trop longtemps, car seule ton âme bénéficie des prodiges de cette grotte hors du temps et me permet une telle apparition.
Nasëem sentait désormais ce fil ténu, à la fois délicat et puissant qui les liait l’un à l’autre.
— Dans tes songes, je t’enseignerai, continua-t-elle, loin de la surveillance de Loth.
Il acquiesça, comprenant les enjeux.
— Et si Lucifer découvre que tu as obéi à la Créatrice ?
Un frisson traversa Lilith, sa présence devenant presque éthérée :
— Sa colère sera sans égale, une tempête déchaînée qui pourrait tout engloutir. C’est pour cela que notre communion doit demeurer secrète, préservée dans l’abri de tes rêveries.
— Alors, dans l’obscurité nous nous retrouverons.
Lilith effleura la paume de son disciple
— Ferme les yeux, souffla-t-elle.
Il se laissa bercer par sa voix, ses muscles se détendant sous cette caresse invisible.
— Plonge dans les abysses de ton esprit. Tu y découvriras peut-être des énigmes auxquelles tu n’avais jamais pensé.
Dans cette torpeur, Nasëem dériva, porté par des courants inferniques. Des tableaux vivants se succédèrent devant lui : des guerriers se battant avec fureur, des sorciers invoquant d’anciens pouvoirs, des entités célestes glissant à travers les constellations, et des visions si étranges qu’elles échappaient à sa saisie.
Chacune de ces images traitait un enseignement. Sous la tutelle de Lilith, il apprit à sculpter son mana, à tisser des incantations, à déchiffrer l’évidence derrière le voile des apparences. Elle le mena face à ses terreurs enfouies, le poussant à les surmonter. À mesure que le songe se dissipait, l’apprenti sentit la réalité le rattraper, ses sens s’aiguisant à nouveau.
Complètement éveillé, il fut surpris, L’Antre brut et sauvage s’était métamorphosé en un sanctuaire confortable. Des tapis épais parsemaient le sol, des coussins moelleux s’éparpillaient, offrant des endroits propices au repos et à la méditation. Dans un coin, une petite source jaillissait, emplissant une vasque de pierre. Sur une table basse taillée dans la roche, Nasëem remarqua des instruments étranges, des parchemins roulés et des fioles remplies de liquides aux couleurs chatoyantes.
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