Nasëem s’éveilla. Les doux rayons de Mars s’infiltraient par le dôme, dévoilant les formes de ses proches immergés dans le sommeil. Ses pieds flattés par la peau de mammouth éprouvèrent une chaleur bienvenue. Il se leva de son trône tachant de ne pas troubler la quiétude d’Aëgir, qui flottait sur un matelas d’écume tel un prince insouciant.

Sous son aspect félin, Gaïa récupérait sur un tapis. Sa grâce tranchait avec la fureur qu’elle pouvait libérer ; un tendre ronron sortait de son gosier. Il caressa sa gorge, puis la contourna.

Il s’arrêta devant Kaëlle étendue sur une méridienne, sa chevelure rousse créait un halo en pleine obscurité. Au travers de ses songes, elle esquissait un sourire béa. Un affectueux baiser fut déposé sur son front avant que le frère ne poursuive sa route.

Les traits et leurs postures tissaient des histoires muettes, de véritables épopées de leurs aventures. Tous contribuaient à la richesse de son existence, et une sensation de gratitude l’envahit. Il franchit la porte, emportant la joie de la soirée passée et les espoirs pour les jours à venir.

Nasëem progressait dans le couloir envoûtant, sa demeure le saluait par la naissance de fleurs irisées sur les rideaux. Les tapis modifiaient leurs motifs, dessinant un chemin pour guider sa marche.

Subitement, deux druides jaillirent devancés par des arômes d’encens et de plantes sacrées :

— Élevez la paroi scintillante au pavillon Nord, et veillez à ce que les rosiers argentés bourgeonnent à la douzième heure, commanda le Roi.

En s’inclinant, ils s’évanouirent dans un halo de brume qui infiltra les murs alentour. Les cloisons basculèrent, acquiesçant à ses ordres. En avançant, des niches surgirent, recelant nombre de grimoires séculaires et élixirs aux vertus inexplicables.

Dans les hauteurs, des orbes sonores flottaient, émettant des harmonies douces et captivantes. Atteignant un balcon orné avec faste, Nasëem s’arrêta pour contempler la chorégraphie céleste des dragons flirtant avec la coupole protectrice, bravant l’infini spatial. Dans un recoin dissimulé et éclairé par des lustres grandioses, des tapisseries narraient sa descente aux enfers.

Sur un miroir, un schéma complexe du Manoir de Diamonite, gravé, s’étalait. Son doigt frôla la surface polie. Elle vacilla, l’engloutissant dans le dédale de niveaux dérobés par sa demeure.

Il déboucha au cœur d’une geôle ténébreuse où l’ambiance oppressante régnait en maîtresse. Des volutes épaisses offraient une lueur spectrale qui perçait sporadiquement l’obscurité. Constellés de taches de sang séché, les murs exhalaient une présence maléfique. Des toiles d’araignée phosphorescentes pendaient du plafond, hébergeant leurs tisseuses de la taille d’un poing aux mandibules cliquetantes. Des serpents sifflaient en rampant. Les insectes grouillaient, ajoutant un bourdonnement sinistre au climat déjà lourd.

Selon ses directives, ses druides suspendirent Ménes par les poignets grâce à des chaînes forgées dans les brasiers infernaux. Leur mission macabre impliquait d’infuser ses songes de scènes horribles, un fardeau déchiffrable à la fois dans ses pupilles dilatées ainsi que dans la moindre ride de son faciès émacié.

Rénégat fut décroché de sa ceinture, s’épanouissant dans sa main avec la fluidité d’une vipère prête à frapper. Lentement, il pointa l’opale enchâssée vers le sol. Les entraves émirent un grincement et se détendirent. La réalité se métamorphosa, les illusions s’évanouirent pour dévoiler une salle dont le faste exposait la surcharge d’un cauchemar baroque : candélabres en os, rideaux en velours noirs brodés de runes, et des statues grotesques, presque vivantes.

Ménes chercha désespérément à éviter le regard de son geôlier. Il sentait le froid du Karistal sur l’extrémité de ses orteils, mais, plus encore, il éprouvait les ténèbres qui provenaient de son cerbère – une abjection que même les démons répugneraient à posséder. D’un geste brusque, Nasëem claqua des doigts. Les chaînes se brisèrent, tombant avec un bruit sourd. Son oncle s’écrasa, ses genoux heurtant la surface glaciale.

— J’ai saisi que tes agissements résultent d’une contrainte. Un pacte de mutisme te soumet à ton Maître.

Circonvenant son prisonnier, le Druide le scrutait, luttant contre des pulsions meurtrières. Finalement, il brandit Rénégat. Un lasso d’air émana de sa pointe pour enserrer la gorge du traître. Des larmes perlèrent alors qu’il bataillait pour respirer. Au bord de la syncope, il réussit à aspirer une bouffée et s’effondra à quatre pattes, haletant.

— Ce que Gaïa a omis et que j’ai déniché dans ses souvenirs, c’est ton désir de les métamorphoser en humains. Voilà ce qui me tourmente !

Un violent coup de bâton s’abattit sur l’estomac de Ménes, expulsant de sa bouche une gerbe d’argentiglobine. La terreur et la colère firent place à une douleur atroce. Courbé en deux, il subissait les assauts répétés du druide qui endiguait ses instincts les plus noirs.

— Rassure-toi, je ne suis pas ici pour te soutirer des informations. Du moins pas maintenant. Cela se fera au détriment de ta lucidité, et je ne le regretterai pas.

— Ta mère te détestera pour cela !

— Elle m’en voudra assurément, car je ne lui aurai pas laissé le plaisir de t’extirper les entrailles.

Ménes tenta un sort, mais son geste fut interrompu. L’alliance d’émeraude à son annulaire crépita, le contraignant à retenir son mana. La frustration s’intensifia, exacerbant sa souffrance physique.

— La neurosorcellerie peut soigner, certes. Mais elle peut aussi... Ah, mais ne gâchons pas la surprise sur ses effets délétères quand elle est mal exécutée.

Rénégat métamorphosé en lame vint entailler la joue de Ménes. Le liquide vital jaillit, et Nasëem invoqua une fiole. Avec une habileté froide, il dirigea le fluide jusqu’au réceptacle. Remplissant une dizaine de flacons, il en laissa juste assez en prévision de...

Un claquement de doigts retentit, et les ombres se dilatèrent. Rampant, paniqué, en une vaine tentative d’échapper à la cruauté, il sentit ses poignets capturés par des mains spectrales. Les chaînes se condensèrent autour de ses avant-bras, exacerbant son supplice. Le piège illusoire se resserra, et en un mélange de triomphe et de soulagement le tortionaire s’éclipsa à travers le miroir.

En franchissant le linteau d’une enclave secrète, le Druide s’exposa à un tableau sinistre. Des silhouettes inertes, offertes à sa gloutonnerie féroce. Le souffle court, il fut envahi par un air dense, chargé de relents métalliques. Le dragon qu’il terrassa afin de l’abreuver hantait toujours son esprit. Le souvenir de Lynéxia, pratiquement terrassé par l’absence de magie du sang humain, imprimait une marque ineffaçable dans sa mémoire. Ses pensées s’orientèrent vers son oncle Warren, ce génie du salut, et il médita sur la tragédie qui découlait de ses actions. « Comment n’a-t-il pas pu prévoir ses conséquences ? »

Le poids de ses actes et la gravité des répercussions de ses décisions accentuèrent la pression qui pesait sur ses épaules. À chaque pas vers sa princesse, le maléfice qu’il avait dû se résoudre à tisser pour protéger les Druides de ses griffes enserra davantage son cœur.

Arrivé à son chevet, il rompit méthodiquement les entraves éthérées qui la liaient. Un frisson la parcourut lorsque son père lui administra l’argentiglobine de Ménes. Aussitôt ses prunelles écarlates virèrent au vert vif, signe d’une servitude brisée.

D’une tendresse infusée de mélancolie, il l’attira contre son buste. Ses doigts se glissèrent dans sa chevelure dorée. Il la berça jusqu’à ce que Morphée l’accueille, puis emprunta un miroir conduisant à sa chambre et la déposa délicatement sur sa couche.

Apaisé par la fin de cette terrible épreuve, il envoya un baume d’instructions mentales à l’étage supérieur. Là-bas, en parfaite harmonie avec sa volonté, ses apprentis organisèrent déjà la péripétie suivante. Après une dernière minute d’admiration pour celle qui formait son univers, Nasëem s’éclipsa.