Chapitre 47 : Retrouvaille

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L’ombrageuse Brocéliande, mua son ambiance. Le chant des oiseaux migrateurs s’était éteint, la brise s’était aiguisée en une morsure glaciale, et le brouillard épais enserrait les arbres dénudés. Au cœur de cette toile d’arachnéenne beauté, une biche frémissante fouinait en quête de son maigre repas, empruntant les méandres d’un chemin ancestral. Ses sabots frôlaient la mousse blanchie par le gel.

Ses oreilles sensibles se dressèrent, captant une perturbation lointaine qui rompit l’équilibre sylvestre. Ses prunelles, naguère sereines, se teintèrent de panique. Elle oublia sa faim, bondit et fila à travers le sous-bois. Son angoisse naissait à la lisière, où un antique dolmen palpitait.

Soudain, le monument de pierre généra une spirale en furie. De cette tempête émergèrent la Pythie et le Mage. Entre eux gisait Ménès, prisonnier de la Régalia enserrant son cou. Ils firent quelques pas, en scrutant l’horizon alors que le maelström se reformait. In petto, ils se dissimulèrent derrière un bosquet.

Une cohorte d’hommes, de femmes et d’enfants surgirent. Accoutrements et physionomies trahissaient des origines exotiquement sauvages. D’abord émerveiller par la blancheur hivernale, ils se mirent à souffrir du climat peu chaleureux. Gaïa et Aëgir comptèrent rapidement plus d’une centaine d’individus, ce qui les laissa perplexes. Nul en dehors du quatuor et de Ménès ne détenait la prérogative d’usage du réseau de transport tellurique. L’étonnement s’éclipsa quand leur sœur apparut.

La joie illumina Gaïa, une émotion oubliée depuis l’assaut contre ses Léopardos. Elle se précipita en avant, son cœur en feu. Kaëlle sursauta en la voyant. Ariane s’écria :

— Ne bouge plus !

Le bruit de l’acier et du cuir s’éleva ; une Amazone la stoppa, sa lame frôlant sa gorge. La Sorcière s’apprêtait à intervenir, quand :

— Écarte-toi la barbare ou ta vie s’achève ici. 

Elle claqua des doigts. Des racines émergèrent, sinuant tels des serpents. Elles s’enroulèrent en hélices serrées autour des armes, les dérobant des mains des combattants avec une vigueur déconcertante.

Les traits des alliés de Kaëlle se métamorphosèrent. Confrontée à quelque chose d’inexplicable et d’effrayant. Ils s’inclinèrent progressivement, un mélange de respect et de crainte manifeste.

Kaëlle, étincelante d’allégresse et d’orgueil, ne réfréna pas son enthousiasme. Elle parcourut la distance qui les séparait en un battement de cœur et bondit dans ses bras, recouvrant ainsi une part d’elle-même longtemps égarée.

À cet instant, Aëgir surgit de l’ombre, sa présence s’annonçant sans bruit :

— Ma sœur de feu, quelle surprise de te retrouver en ce lieu, en ce jour, s’exclama-t-il, sa joie transparaissant clairement.

— La Créatrice manipule encore les fils du destin… Que faites-vous ici ?

La Pythie s’assombrit alors qu’elle largua :

— Rebelle, rejoins-moi, je t’en prie. 

Contrit et forcé, Ménès émergea de sa cachette, intrigué par cette réunion de famille inattendue. Aëgir prit la parole, exposant leur dessein :

— Nous avons besoin des talents en Neurosorcellerie de Nasëem, et toi ? 

— J’envisage d’installer mon peuple sur ses terres. La moitié de miens viens de périr dans une attaque de mercenaires. 

Désireux d’éviter toute conjecture superflue et de ne pas davantage accabler ses sœurs, le Mage suggéra qu’ils se mettent en chemin. Kaëlle souleva un point crucial :

— Notre lien ne nous révèle pas la position de son domaine ni le sentier pour y parvenir, ce qui est étrange. D’ailleurs, je ne ressens notre frère qu’à de rares occasions.

— Pareil pour nous, précisa Gaïa. Mais laisse-moi y remédier.

Aussitôt, elle braqua une paume en direction de la forêt, une nuée verdâtre en sortit ce qui apeura quelque peu les humains. Lorsque son esprit eut totalement quitté sa chair, il se mit à la recherche du Primordial, celui qui vivait l’hiver et sommeillerait l’été afin de veiller sur les siens. Elle le trouva sans difficulté – un chêne millénaire aux branches noueuses et aux racines enchevêtrées.

Au préalable, il résista à l’intrusion. Peu encline à la négociation, la Pythie libéra son terrifiant éclat psychique. Une brume brune s’épaissit autour du tronc, l’enserrant. Au bout du compte, le Veilleur comprit qu’elle était l’héritière de Dame nature. Dès lors, il devint un livre ouvert, partageant l’image d’une rivière argentée.

L’information obtenue, le phénomène s’inversa, et tout se répliqua – un ruban rembobiné, ramenant l’histoire à son point de départ : une paume tendue vers la forêt, une nuée verdâtre absorber, Gaïa déployant les paupières et abaissant sa main. Maintenant qu’ils allaient être tous les quatre réunis, elle n’entretenait aucun doute sur le salut imminent de ses enfants. Alors, de sa bonhomie retrouvée, elle s’improvisa guide pour le cortège.

— C’est réconfortant de la voir ainsi ! Elle a traversé tant de chagrin et de tourments ces derniers mois !

— Qu’est-ce que cet homme a bien pu lui faire pour que notre frère doive avoir recours à la Neurosorcellerie ?

— Ménès s’en est pris à notre nièce et à nos neveux, voilà la situation.

— Cet individu est notre oncle !

Il hocha tristement la tête :

— Différons les explications ! Cela te mettrait dans une rage telle, que tu le ferais flamber sur-le-champ. Et pour l’heure, il nous est indispensable qu’il reste en vie. Par contre, tu devrais envisager d’adopter des mesures pour prévenir l’hypothermie de tes sujets qui grelottent.

— Très bien ! Rallions-la et veillons à son bonheur.

Alors qu’il pressait le pas pour rejoindre l’avant de la file, Kaëlle pointa sa baguette et créa un dôme mouvant, les protégeant de la caresse hivernale. Phoebus oublié de sa compagne remonta en première ligne du cortège d’Amazones, progressant avec lenteur à travers l’étendue sauvage.

Enivrée par la chaleur de ses retrouvailles, sa dulcinée ne le distingua pas tout, ce qui le vexa, mais il n’en montra rien. Un éclat de joie l’inonda lorsqu’elle prit conscience de sa présence.

— Mon amour ! s’écria-t-elle, en l’enlaçant.

Toujours discrète, mais bienveillante, Gaïa l’analysa. Il était tout à fait le genre d’époux qu’elle imaginait pour sa sœur :

— Ton charme barbare s’harmonise merveilleusement bien avec ces bois. Brocéliande te sied à merveille, lâcha-t-elle, provoquant chez lui un léger embarras.

Aëgir, quant à lui, le toisa d’une intensité difficile à ignorer, insufflant une tension sous-jacente. D’un mouvement brusque, il serra la main de Phoebus, démontrant par là son aval.

— C’est un honneur de faire partie de votre famille, déclara l’Amazon.

— Ne va pas si vite en besogne mon garçon, s’esclaffa le Mage. Tu n’as pas encore rencontré Nasëem...

Phoebus déglutit ! Sa femme lui avait souvent parlé de sa fratrie qui lui manquait énormément, et il est vrai que le portrait du Druide laissât deviner son intransigeance et sa froideur.

Tout en bavardant, ils marchèrent le long du cours, leurs foulées résonnant sur les cailloux polis. Le murmure de l’eau les apaisa, les guidant vers un paysage en mutation. Les arbres centenaires de Brocéliande se transformaient, l’hiver cédait sa place à un printemps perpétuel.

Ils atteignirent l’oasis où, au cœur de la mare, une arche monumentale s’élevait. De cette structure jaillissait une lueur relaxante, tissant un spectre enivrant.

Ni une, ni deux, ils franchirent le seuil, leurs cœurs palpitants à l’unisson. La procession d’Amazones emboîta le pas, résolue à braver l’inconnu. L’instant où ils traversèrent, le passage les engloba d’une manière inattendue, les inondant d’un déluge chromatique et sensoriel, tel un voyage au sein d’un songe lucide.

De l’autre côté, le paysage changea radicalement : Avalon. La nature s’épanouissait, pâturages verdoyants et fleurs chatoyantes. Des éléphants roses paisibles se déplaçaient gracieusement parmi les hautes herbes qu’ils mâchonnaient, créant une scène merveilleuse et surréaliste.

Au milieu de cet Éden se dressait le Druide. Sa longue barbe, tel un buisson en friche, ajoutait à son aura de sagesse. Nasëem déploya ses bras en signe d’accueil. Le trio s’y rua, euphorique, et un voile d’innocence infantile recouvrit leur être dans cette bouffée de bonheur.

Le Druide tourna son attention vers Phoebus. Visiblement nerveux, ce dernier s’approcha.

— Bienvenue parmi nous ! s’exclama Nasëem. Je te remercie d’avoir veillé sur ma sœur. Nous avons des affaires à discuter en privé. Je te prie de t’occuper de tes compagnons ; mes sujets arrivent pour vous fournir le nécessaire, jusqu’à demain.

À l’instant où il termina sa déclaration, Renégat s’exila de la chaîne d’infernite pour errer près de son maître.

Sensuelle, fut la première à répondre à cet appel muet. Son aura s’intensifia, enveloppant Ménès avant de se rétracter. Un fragment minuscule se détacha et orbita autour de l’annulaire du captif.

Libérée du cou du parjure, Sensuelle s’envola et capta l’attention générale. Son lustre pulsa puis s’étira et se déforma. En un éclair, elle devint une planche phosphorant.

Tandis que la baguette incitait à l’aventure, Triton s’affranchit de la coiffure du Mage, embrassant l’aspect d’un tourbillon aqueux avant de se matérialiser en trident majestueux.

Rebelle ne fut pas en reste ! Elle s’exila du décolleté de la sorcière pour se transmuter en un balai étincelant qui vibrait d’une force pyrique sauvage.

Dans cet instant de mue et de dévoilement, l’assemblée fut charmée, hypnotisée par cette altération soudaine de la réalité.

Nasëem inspira, lança un coup d’œil furtif à sa fratrie, qui lui rendit la salutation. Sans un mot, sans un signe, la course vers le Manoir de Diamonite débuta. Le Druide, debout, en osmose avec les pulsations de Renégat, s’élança. Il fendit l’air, laissant derrière lui une traînée obscure. Dans son sillage, des germes d’émeraude, de rubis et des gouttes d’eau scintillèrent. Familier des courants venteux lunaires, le Roi d’Avalon prit de l’avance. Et alors, son fief apparut à l’horizon.

La coupole du solarium décela son arrivée imminente et s’évanouit. Ses pieds touchèrent à peine le marbre que la voûte se matérialisa, son émergence coïncidant avec l’entrée des perdants, qui atterrirent avec classe dans le cabinet opulent.

— Ces tapisseries… Elles renferment davantage que de la simple parure, n’est-ce pas ? questionna Gaïa, se rapprochant d’une œuvre tissée d’or.

Du bout des doigts, elle l’effleura.

— Tu perçois bien. Des sortilèges de protection habitent ces œuvres. Ces dessins forment une incantation, une barrière magique. Mes druides ont développé cet art.

Aëgir avait rejoint une étagère massive en chêne. Émerveillé, il prit l’un des vieux grimoires :

— Songez aux récits occultes que ces pages doivent étouffer, murmura-t-il, captivé par le texte.

De son côté, Kaëlle s’absorbait dans les vitraux encadrant la salle :

— Venez voir ! s’écria-t-elle. Ils se métamorphosent ! Notre assemblée s’y reflète ! 

Ils convergèrent pour observer le spectacle. Nasëem s’affala sur un canapé de velours cramoisi, trônant au milieu de son bureau somptueux. Une table surgit, chargée de délices et de précieux breuvages. Avec un aplomb distingué, il versa du vin écarlate dans un calice, effleura le cristal de ses lèvres et picora quelques délicatesses. Il écoutait, son intérêt savamment dissimulé derrière un air désinvolte.

Gaïa, ardente et pleine de vie, la Pythie raconta leur odyssée avec une ferveur digne d’un thriller haletant.

— L’hiver, mon frère ! Alors que c’était l’été. Une faille spatio machin chouette !

Le Mage l’appuya avec une gravité saisissante, ses paroles enveloppées d’un halo de moquerie. :

— Les périls furent immenses, les défis compliqués. Néanmoins, nous triomphâmes.

C’est alors que le duo discerna une lueur subtile dans la prunelle du Druide. Un échange perçant et la situation s’éclaira. Depuis cette alcôve de puissance, il les avait espionnés.

— Sûrement la Créatrice ! Demain je t’obtiendrai ce que tu souhaites ; quitte à lui griller le cerveau, assura-t-il, d’une confiance envoûtante.

Puis, s’adressant à la Reine Amazones, il énonça sa condition :

— Si ton peuple aspire à rejoindre Avalon, il devra adopter la voie des sorciers de flammes, à l’instar de mes Druides qui on emprunté le chemin du vent, et des Léopardos qui empreinte d’or et déjà celui de la Terre.

L’assemblée se pétrifia, malgré son savoir encyclopédique, Aëgir resta bouche bée. Mais si Nasëem le disait, alors cela devait être réalisable. Tiraillée, Kaëlle évalua ses options. Puis, se rappelant qu’elle était Souveraine et détenait tout pouvoir, elle inspira :

— D’accord, mais nous exigeons un territoire pour fonder un village.

Un sourire machiavélique fleurit sur les lèvres du Druide :

— Pourquoi demander des terres quand un palais est à portée de main ? Une forteresse scintillante est bien mieux que quelques bicoques éparpillées et surtout cela préserverait le visage d’Avalon. Inutile de s’étaler.

L’accord se scella. La Pythie gloussa, déversant des anecdotes savoureuses. La sorcière, saisissant une harpe d’argent, entonna des mélodies entraînantes. Le Mage, dansant gauchement en rythme, récita des incantations qui transformèrent l’eau de la fontaine en champagne. Nasëem riait de bonheur, il réalisa que cette solitude qu’il pensait affectionner n’était qu’une chimère permettant d’accepter l’éloignement.

— À compter d’aujourd’hui, aucun – pas même Kelly Darck nous séparera ! se promit-il dans un murmure.

Des particules de magie se disséminèrent, se muant en papillons, en étoiles filantes ou en flammes obscures.

Bien qu’il n’ait rien révélé de l’état de Lynéxia, qui jusqu’à présent le mettait à rude épreuve, l’arrivée impromptue de sa fratrie lui redonna du baume au cœur. Dès demain, Nasëem pourrait enfin voir le bout du tunnel et envisager la guérison de sa fille, dont la soif de sang avait déjà décimé trois dragons et cinq Druides.

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