Chapitre 56 : Le Sanctuaire de Merzhin
Dans l’obscurité feutrée, Caïn gisait sur son lit, son être ébranlé par des convulsions intolérables. Chaque tressaillement de ses muscles constituait une torture, un calvaire émergeant de son être. Les draperies, froissées sous ses mains crispées, rendaient compte de son combat acharné pour se maintenir dans une réalité qui s’évanouissait sans cesse. À son chevet, Lynéxia, gardienne des remèdes apaisants, montait la garde. Sa présence, pareille à une brise tranquille dans la tempête, modérait les tourments du malheureux. Avec une sérénité incarnée, les paupières mi-closes, elle agitait ses doigts délicats, tissant un voile d’incantations, alors qu’une lueur pourpre s’échappait de ses mains pour envelopper le corps souffrant.
Des mots confus s’évadaient des lèvres du Vampyr, une supplication brouillée jaillissait de sa conscience suppliciée. « Merzhin », « Atlantide », « Kayna Darck », ces termes s’entrechoquaient dans la tourmente de son esprit, résonances d’un passé nébuleux.
Une secousse, plus brutale que les autres, l’ébranla. Ses membranes palpébrales s’ouvrirent abruptement, libérant une expression d’effroi qui glaça Lynéxia, son cœur se contractant à la vue de l’épouvante qui le submergeait. Envahi d’une frayeur irrépressible, Caïn s’élança, animée d’une urgence foudroyante.
Errant dans les corridors du manoir de Diamonite, ses pieds nus faisaient retentir ses pas, diffusant l’écho de son désarroi. Sa peau, d’une blancheur fantomatique, tranchait avec le velours des sols et l’éclat des fioritures muraux. Au gré de son avancée, il reprit couleurs et contenances. La Vampiresse, dans son sillage, se déplaçait avec une discrétion de spectre sur les tapis.
Devant la porte d’ivoire du solarium, Caïn repoussa brusquement, les battants ornés, et pénétra dans l’antichambre où régnait une atmosphère chargée. Kaëlle, les bras croisés, manifestait un agacement houleux, des flammes ambrées répondant à son indignation :
— Cette folie ne peut se prolonger. Conduire nos peuples à leurs pertes relève d’une insouciance révoltante.
Nasëem se dressa, provoquant une tempête alentour. Son attention portée sur sa sœur était aiguisée, égale à une lame enchantée :
— Ton aveuglement précipitera notre fin. Sans notre action, Avalon tombera.
Les menaces se mêlaient, créant une ambiance lourde. Ils se dévisageaient, engagés dans un combat insonore, tels deux glaives en duel dans la pénombre. Son faciès, miroir de l’angoisse confrontée à la décision qui se profilait, Kaëlle dispersa une gerbe d’étincelles :
— Es-tu prêt à sacrifier des vies innocentes pour assouvir ton ambition personnelle, mon frère ?
Il esquiva le face-à-face, sa ténacité restant inébranlable. Érigeant une barrière, il se prémunit contre les assauts.
— La pérennité de notre domaine, prévaut sur les quêtes individuelles, déclara-t-il.
— Les moyens ne sauraient justifier la fin. Nous devons trouver une autre voie, soutint-elle.
Le Druide laissa échapper un soupir chargé du fardeau des éons. Autour de lui, des particules de gelée entamèrent une valse aérienne, introduisant une fraîcheur mordante.
— Le sablier s’écoule. Les ténèbres progressent, et, faute d’une riposte prompte, tout s’évanouira.
L’atmosphère vibrait à l’aube d’une déflagration de magie pure. Aëgir et Gaïa fascinés par l’ampleur de cette discorde savouraient le spectacle. Les escarmouches entre ces deux caractères impétueux étaient légion.
— Ça suffit ! Tonna Caïn, agacé Asseyez-vous.
Devant l’autorité souveraine de leur géniteur, la tempête s’apaisa. Les éclats et les bourrasques s’estompèrent, instaurant une tranquillité fragile. Marqué par la gravité, le père prit place sur le trône de son fils.
— La mésentente ne saurait être notre compagne.
Kaëlle et Nasëem acquiescèrent, reconnaissant la futilité de leur dispute qui avait occulté leur lien fraternel au nom de la responsabilité.
Caïn dissipa son agacement, soupirant devant cette affliction.
— Vous êtes liés à Avalon, mais notre force réside dans l’unité.
Leurs yeux se rencontrèrent, emplis d’une compréhension mutuelle et d’un regret taciturne.
Un sourire l’éclaira, il se leva et les enlaça.
— Je suis heureux de vous revoir, mes enfants. Vous m’avez manqué.
Une chaleur sincère envahit la salle, des larmes de joie perlèrent, et, pour un bref moment, la concorde familiale prédomina, bénie par l’affection d’un père.
Prêt à conter les mésaventures des dernières heures, Nasëem aspira une grande bouffée d’air et entrouvrit les lèvres. Avant qu’un son pût franchir ce seuil, la main de Caïn s’éleva :
— J’ai vent de la situation, déclara-t-il. La perturbation de notre lien d’âme avec Ëlara n’a point échappé à ma vigilance. Un plan se trame pour contrecarrer cette ombre, mais la finesse sera de mise. La première halte sera le Domaine gelé.
Sur le front du Druide se dessina la marque de la perplexité, tandis que la curiosité voilait son esprit scrutateur. Il se tourna vers son aîné :
— En Avalon ! Es-tu sûr de ce que tu avances ?
Un sourire nébuleux ourla les lèvres du patriarche, burinées par l’empreinte du temps et des épreuves.
— Mon fils, débuta-t-il, la patience incarnée telle les anciens pérégrins des sentiers occultes, Avalon est un univers hors de portée des cartes et des sagas. Il foisonne de mystères et de casse-têtes. Le Domaine y gît, caché pour celui qui ne sait où chercher.
Gaïa se rapprocha de Caïn. Sa main trouva l’épaule de son père, assurée et réconfortante, signe de leur unité face aux défis à venir. Et, après une pause chargée d’hésitation, il acquiesça. Dans son consentement se lisait la fierté paternelle tout autant que l’impératif de l’action.
— L’heure a sonné, articula-t-il.
Aussitôt, Sensuelle se détacha du cou de sa possesseuse, abandonnant sa forme de collier pour se transformer en une plateforme, deux places, munie d’un rebord de soutien à l’avant. Par un ballet invisible, la magie et la technologie s’unissaient pour affranchir la structure de l’attraction terrestre. La coupole de cristal qui les surplombait s’effaçait, ouvrant la voie à leur odyssée.
L’index de Caïn traça dans l’éther une direction vers les confins du sud, là où les dunes épousent la lueur des astres. À cet horizon, une solitude glaciale se déployait, vaste et muette sous le dôme étoilé.
Le désert d’Avalon, caché aux mortels, ne conservait que le sillage éphémère de leur passage.
Tout alentour, l’immensité céleste s’offrait, consteller de points colorés. L’intellect aiguisé par la proximité de leur but, le Vampyr murmura
—Voici les seuils d’un monde qui défie l’entendement des hommes. Veille à ce que ses mirages t’écartent du chemin.
Gaïa se tenait là, placide, rivée sur l’énigme qui l’appelait. Leur périple se déroulait au-dessus d’un paysage désolé, où seul le soupir de la plateforme perturbait le calme de la nuit astral.
Le mont se dévoila graduellement, non par une rupture soudaine, mais par une mutation subtile, la clarté stellaire révélant son drap de neige, éclat d’un blanc pur se détachant sur l’obscurité à la ronde. Caïn tendit le bras, murmurant les formules que Merzhin lui avait léguées, échos d’une ère révolue qui brodaient des liens entre les univers. Les mots, imbibés de puissance, dissipaient l’occultation ; la montagne, dans son entièreté, s’offrit à eux, accueillant le guide et sa progéniture dans son antre muet.
Au seuil, il érigea son globe, joyau de sang capturé au creux de sa main.
— C’est là, proclama-t-il avec force, dirigeant sa sphère vers le cœur de la congère perpétuelle qui masquait l’accès dérobé.
Sous l’éclat incarné, la glace crépita, transpira, puis s’évanouit en vapeurs oraculaires s’élevant telles des volutes dans le néant lunaire. Une porte d’onyx, à la fois grandiose et menaçante, se dénuda timidement, ses striures ténébreuses scintillant sous le rayonnement.
— Abracadabra ! articula-t-il avec une gravité bordant le spectacle.
Les vibrations des syllabes anciennes frôlèrent la surface du battant. Il s’entrebâilla avec une lenteur solennelle, rugissant telle une créature des âges passés s’éveillant d’un sommeil prolongé.
Pénétrant le sanctuaire montagneux, Caïn transmettait son savoir à sa descendante.
— Ce sanctuaire est le Domaine de Merzhin. Après avoir donné forme à Avalon, il trouva ici un havre de paix, un refuge pour lui en attendant de jouer son rôle, ainsi que pour les Xandriens qui ont croisé sa route. Ils étaient destinés à s’unir aux humains pour préparer l’avenir.
Évoluant parmi les splendeurs exhibées, un respectueux mutisme enveloppa le duo. Des lucioles, scintillaient tels des astres capturés. Caïn rompit le silence :
— Comprends que chaque relique est un fil du tissu de notre existence, souffla-t-il, caressant de l’index une sphère cristalline.
subjuguée devant une exposition d’armes centenaires, Gaïa affirma :
— La force de ces artefacts est tangible. Ils exhument les sagas des Xandriens.
— Elles pourraient prendre vie sous nos yeux, dit-elle, l’admiration teintant ses paroles.
— En effet, avec une impulsion adéquate, elles se mettraient à bouger.
— L’enchantement imprègne ce lieu, c’est un recueil vivant de l’époque révolue.
Ils progressèrent vers l’autel constellé. La curiosité brûlante poussait Gaïa vers le livre vibrant y reposant.
— Ces runes, Père, que symbolisent-elles ? Elles m’évoquent quelque chose, mais restent indéchiffrables.
— Ce sont les glyphes d’Avalon, l’essence même de la magie qui pulse sous cette terre, expliqua Caïn, à genoux près d’elle.
Les écritures ondulaient sous l’intérêt de la pythie, animées d’une force insaisissable.
— Et cette paroi ? questionna-t-elle, pointant vers une muraille.
— Une carte des planètes peuplées ou habitables, un répertoire des royaumes à explorer !
— Ensemble ?
L’espoir était palpable, un désir de partager davantage que cette quête.
— Oui, de concert, assura-t-il.
— Il reste tant à découvrir, à assimiler.
Sous la voûte célébrée de galaxies, ils avançaient, leurs cadences étouffées par les tapis anciens. Les tentures rivalisaient avec les cieux nocturnes, des sagas tramées en fils précieux, la fascinant.
— Observe, Père, ces fils ficellent leur propre firmament, chuchota-t-elle, en effleurant le tissu miroitant.
— Chaque ouvrage est un hymne aux astres, répliqua Caïn.
Ils se dirigèrent vers l’atrium où des orbes célestes orbitaient. La Pythie frôla à peine un globe suspendu.
— Ils dansent au rythme du Continuum, souffla-t-elle.
— Et pour cause, renchérit le père. Ce sont des échos des constellations, tels que les premiers Xandriens les ont perçus.
À leur côté, des reliques d’un passé révolu gisaient sous des cloches de Karistal, sommeillant, guettant peut-être l’ensorceleur qui saurait les éveiller. Gaïa caressa la garde d’une épée figée dans la pierre, laquelle vibra d’une tonalité cristalline.
— Chaque arme porte en elle une épopée. Peut-être y ajouteras-tu un jour ton propre chapitre, murmura Caïn captivé par l’éclat de l’acier.
Devant le diorama de la genèse d’Avalon, elle resta muette, absorbée par la grâce des figurines.
— On dirait qu’elles respirent, mon père. Qu’elles pourraient s’animer et nous rejoindre !
— La magie, c’est l’art de donner vie à l’improbable.
La salle circulaire, ultime étape de leur quête, était un hymne aux chefs-d’œuvre cachés, et, sous une coupole scintillante de gemmes, un recueil les attendait. Attirée par le moiré des pages, Gaïa prononça une formule à voix basse, et l’ouvrage s’embrasa.
— Tu possèdes le don. Ce grimoire de création s’ouvre à ceux qui en sont dignes.
Bibliothèques, armes, sphères célestes, tout en ce sanctuaire palpitait d’un effluve enchanteur.
— Nous ne sommes pas de simples passants, n’est-ce pas ? Nous sommes les veilleurs de ce savoir.
— Ainsi l’avons-nous toujours été, et ainsi le serons-nous, affirma-t-il.
Ensemble, ils se dressaient, deux âmes enlacées par la filiation et par la destinée, au cœur vibrant de la magie d’Avalon. Devant la majestueuse arche, réplique exacte de celle liant Brocéliande à Avalon, Caïn marqua une pause, une étincelle de prescience dans le regard.
— Ta force intérieure, ton mana, tu dois l’injecter ici, l’exhorta-t-il.
Les sourcils froncés par la concentration, Gaïa s’avança vers l’arche énigmatique. Elle leva la main, frôlant du bout des doigts la surface où la réalité vrillait.
— Comme ça ? fit-elle, sa paume traversant l’espace.
Sur le coup, un miroir dimensionnel se matérialisa.
— Tu as réussi ! La lune répond à ton appel, s’écria-t-il, alors que le sol se mettait à chanter sous leurs pieds.
— Un royaume naît... De ma volonté...
À cet instant, le Vampyr fut inondé d’une nuée cobalt et Merzhin, l’esprit ancestral, s’incarna près d’eux.
—Pythie, ce legs..., c’est le tien. Ce que j’ai appris et découvert, je te l’offre, révéla Merzhin avec malice.
— Et tu veilleras sur ces lieux ? interrogea-t-elle, captivée par sa présence.
— Jusqu’à ce que le temps me restitue mon enveloppe charnelle, acquiesça-t-il avant de s’engouffrer à travers le miroir.
Ils le suivirent, pénétrant dans un temple où les maquettes des cités perdues étincelaient sous une lueur cobalt.
— Voici Atlantide... et là, Lémuria, leur énumération donne vie à des légendes, confia Merzhin.
Deux emplacements restaient vierges sur le socle de marbre.
— Ces espaces... Pour Kalahari et Avalon ? demanda-t-elle, la curiosité piquée par l’absence.
— Exactement. Et pour Atlantide, ton père sait quoi faire, assura Merzhin, en lui remettant la miniature.
Sa fille opina du chef. Un accord non verbal, mais inébranlable se formant entre eux. Caïn, à son tour, marqua son approbation.
Ils désertèrent alors le sanctuaire.
— En route pour le Manoir de Diamonite, annonça-t-elle.
Tenant fermement sa baguette, elle la transforma en plateforme. Ils montèrent à bord et s’envolèrent tandis que Merzhin fusionnait avec son domaine, prés à veiller sur le passage des âges.
— Je vous rejoindrai, projeta Merzhin dans leurs esprits alors que son essence s’intégrait à la demeure.
Gaïa ressentit la promesse de Merzhin tandis que, portés par Sensuelle, ils traversèrent le voile étoilé qui séparait la montagne du Manoir de Diamonite.
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