Chapitre 57 : Ni vu, ni connu

6 minutes de lecture

Dans l’opulente galerie du Manoir de Diamonite, le reflet fascinant du grand miroir captait l’attention de Kaëlle, Aëgir et Nasëem. Immobilisés, ils observaient leur propre hésitation se réverbérer dans le cristal, entrecoupé par le crépitement sporadique du bois ancien. La Sorcière, le front marqué par l’inquiétude, échangeait des signaux mutiques avec le Mage, dont les doigts nerveux effleuraient la surface réfléchissante. En retrait, le Druide affichait une expression sombre, trahissant une lutte intime. Leur père, Caïn, avait émis une consigne sans appel : faire venir la Gardienne du Continuum. Bien que la convocation de Warren ou Enlil aurait pu alléger leur fardeau, l’ordre du patriarche, primordial, plongeait le trio dans une impasse, guidée par la crainte.

L’instant s’étira, suspendu, avant que le Druide ne franchisse le seuil de l’action. Sa silhouette s’érigea, animée d’une flamme intérieure de résolution. Avançant vers le miroir, il s’immergea sous l’attention scrutatrice d’Aëgir, dont la voix, telle une incantation, susurrait des directives. Positionné face à son reflet, Nasëem ferma les paupières, laissant l’obscurité ambiante l’enrouler autour de lui. Son image ondula alors, flottant à la frontière du réel et de l’illusoire.

Ses yeux s’ouvrirent, métamorphosés en abîmes d’encre. Il sombra dans la glace, son âme s’élançant au-delà des barrières charnelles, esquissant son chemin à travers le dédale envoûtant des veines telluriques. L’effort tendit chaque fibre de son corps, mais, portée par une volonté farouche, Nasëem ne fléchit point. Luttant avec acharnement contre des forces impalpables, il parvint enfin à repérer le filon convoité – un passage scintillant entre les mondes – et s’y engouffra avec audace.

Plongé au cœur de la dimension primale, Nasëem se lança dans une chasse, traquant les traces chakratike uniques des sorciers. Son esprit, égal à un faucon, survolait l’immensité éthérée, sondant les signes distinctifs des Darck. Parmi ces essences puissantes, une brillait d’un éclat particulier, empreinte qu’il reconnut immédiatement.

Lorsque son faciès apparut dans le miroir de Kayna, il la trouva en pleine introspection, une brosse en main, glissant dans ses longs cheveux sombres. L’intrusion soudaine la fit sursauter, ses sévères prunelles d’or le fixant avec irritation. La toison déployée telle une cascade, elle continuait de la lustrer sans prêter attention à la projection astrale.

— Hum !  tenta-t-il.

— Quoi ?  lâcha-t-elle, tranchante. Je suis occupé à ne rien faire. Disparais !

Le ton n’appelait pas à la réplique, et pourtant le Druide de l’Obscur s’arma de courage, prit une grande inspiration, et ses mots choisis avec soin, il déclara :

— Princesse, c’est Caïn... ou plutôt Merzhin qui exige votre présence. Et il insiste pour que vous gardiez cette entrevue secrète, jusqu’à ce que Andromède vous ait parlé. 

La mention des Premiers des Darck fit vaciller la confiance de l’Héritière. Ses traits durcirent, trahissant une vague d’inquiétude.

— Quoi ? Mais la dissociation était prévue bien plus tard... Elle marqua une pause, ses pensées se bousculèrent. Très bien, je viendrai. Mais pourquoi cette discrétion ? Que se passe-t-il réellement ? 

— Je l’ignore, Majesté. Mais il paraît urgent que vous le découvriez par vous-même. 

Acquiesçant, elle se détourna du miroir, ses idées tourmentées par les implications de cette rencontre inattendue.

— Donne-moi un moment pour me préparer, conclut-elle.

Son enveloppe charnel tremblant, Naseem y revint brusquement. Une goutte de sueur, telle une perle de l’au-delà, roula sur son front. Reprenant son souffle avec peine, il murmura des mots chargés de désarroi :

— Elle nous méprise, c’est une évidence amère. 

Absorbé par le labyrinthe de ses réflexions, Aëgir réagit :

— Peu de temps avant notre départ de Kalahari, elle m’a craché au visage qu’elle emmerdait notre quatuor. Pour elle, nous ne sommes que de pâles imitations, des ennemis potentiels qui cherchent à s’approprier sa famille. 

Kaëlle, immergée dans un océan de questionnements, s’insurgea :

— Nous n’avons rien demandé que je sache. L’héritière de la Créatrice. Tu parle... ma haine envers elle brûle autant que la sienne.

Un mélange de crainte et de respect imprégnait l’atmosphère. Sans crier gare, un vortex se matérialisa, et Kayna Darck, habillée d’un survêtement violet et dune paire d’Air Jordan, émergea avec une aisance arrogante, qu’elle portait à merveille. Ils furent toisés de haut en bas. Sa natte tressée retombant sur son épaule gauche indiquait clairement qu’elle ne venait pas en amis.

— Sache que je t’emmerde sorcière de pacotille !

Tandis que la coupole du solarium s’effaçait, dévoilant Gaïa et Caïn, la plateforme émeraude se métamorphosa en baguette. Kayna, indignée, s’écria :

— Je croyais que Merzhin était revenu ? Pourquoi es-tu encore là ?

L’apparition soudaine d’Andromède surprit la jeune femme.

— Mamie Andro, tu rejoues les Maîtresses de Maison ! En même temps le trépas te va si bien. Pour info, tu étais censée rejoindre l’aventure dans trois siècles. 

Elles échangèrent un baiser aérien, et avec une chaleur emplie de tendresse, Andromède rétorqua :

— Heureuse de te voir aussi, Darling. Excuse cette somation. La guerre a éclaté. 

Elle plongea ses doigts spectraux dans le front de sa descendante, transférant ses souvenirs. Kayna, bouleversée, exigeait de connaître la responsabilité de Caïn dans ce chaos. Ce dernier se rapprocha et révéla :

— Merzhin et moi avons eu un rendez-vous rêvé. Après nos tribulations au paradis, les Premiers ont choisi d’intervenir. Leur sagesse ancestrale offre sans doute une perspective que d’autres ne méritent pas de percevoir.

Kayna frémit de rage, pourtant elle se retint d’en faire une pluie de particules. Elle avait conscience que Kelly, dans un acte de rétorsion, réécrirait l’histoire, la condamnant au rôle de Scribe de l’Obscur pour pénitence. La peur bouillonnant, il implora intérieurement la Créatrice et lâcha le morceau :

— L’une de ses directives concerne Aëgir. Tu dois le renvoyer mille ans dans le passé. 

— C’est insensé ! Nous avons un plan établi...

Andromède l’interrompit :

— Le schéma a muté. Le Fondateur déploie son stratagème. Alors que tu hésites, une légion céleste sème terreur et désolation sur Terre. Un développement fortuit, sauf erreur de ma part. l'Imperator à également enfreint nos propre règle de non-ingérence en les envoyant cambrioler le Paradis, ce qui a inévitablement conduit a l’accélération des événements. Notre entreprise s’effrite.

— Assurément, son anniversaire le tourmente. Il martèle sans cesse la nécessité de triomphe avant les réjouissances. Ainsi soit-il. Dans trois heures, je rejoins mon oncle, à qui je transmettrai la nouvelle. Quant à toi, Andromède Darck, n’ose plus me provoquer. Ma bienveillance à ton égard n’est pas aussi enflammé que les apparences familiales le révèlent.

La menace la déconcerta, brouillant ses pensées de manière inattendue. Jusqu’alors muet, Aëgir reprit la parole, recentrant l’attention sur l’essentiel :

— Pourquoi retourner mille ans en arrière ? 

Caïn expliqua :

— Pour enfoncer un poignard dans le dos même du divin. Voici l’Atlantide.

Il tendit la sphère cristalline, et poursuivit :

— Une fois installé au pôle arctique, développe la cité. Mets en marche le dispositif d’occultation, puis plonge dans un cocon de stase manatike. Programme ton réveil à la seconde précise de ton exode afin d’éviter toute influence sur l’histoire. Ne parle à personne, n’interviens en rien. Deviens une ombre imperceptible jusqu’à ton départ. Au moment de ton éveil, stimule le perturbateur temporel et rejoins-nous avant que ses impulsions ne t’immobilisent avec tout ce qui se situe sur Terre.

Il présenta un rouleau de parchemin.

— Voici les directives pour naviguer de l’arche d’Atlantide jusqu’à celle d’Avalon.

Devant ces confidences, l’assemblée, à l’exception de Kayna, se trouvait submergée de questions, retenues par l’instant inapproprié.

— Et comment procéder pour l’activer ?

— Merzhin affirme que la réponse réside dans ta mémoire.

Les doigts de Kayna se déplièrent, révélant sa paume nue. D’elle, s’échappa une nuée dorée, scintillante telles des milliers de lucioles. Le maelstrom se mit à vibrer et à onduler, évoquant une toile cousue de fils d’or animés. Dans ce tourbillon éthéré, des silhouettes d’époques révolues naissaient et disparaissaient, esquissant la période qu’elle convoitait, à quelques siècles près. Refusant de se perdre en adieux, conscient de son retour imminent, il franchit le seuil dès l’acquiescement de la Gardienne du Continuum.

— À tout de suite !

Saisissant fermement sa sphère, il s’immergea dans les sinuosités intemporelles.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire limalh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0