Chapitre 65 : Le Conflit des Éternités
Dans le Palais Boréal, où saphirs et cristaux de glace rivalisaient d’éclat, une tension dense enveloppaient la salle du trône.
Là régnait Dieu, sur son siège façonné d’une matière inconnue. Soudain, l’atmosphère craqua. Une fissure d’obsidienne, zébrée d’éclairs Arcanique, explosa, expulsant des intrus en son sein. Caïn, le Fratricide banni, menait la marche. Derrière lui, ses rejetons émergeaient.
Il se leva, confrontant l’indésirable. Porteur de siècles de trahison et de peine, l’un et l’autre se toisèrent avec dégoût :
— Te voila de retour à la maison, bon à rien ! Ta présence en mon fief et tes atours, notamment le sceptre de Yahvé, m’oblige à braver une vérité longtemps ignorée. Affrontons-la, à la lisière de la destruction et de la rédemption, si cela te convient.
Un sourire énigmatique ourla les lèvres de Caïn.
— Le choix n’est pas mien seul, frère. Il appartient à eux aussi, révéla-t-il en désignant ses héritiers, et à toi. À l’aube de ce conflit, l’univers attend notre décision. Cède-moi le Trône et je veillerai à te trouver une fonction digne de ton rang.
Les anges retenaient leur souffle. Les destins oscillaient, prêts à basculer dans l’abîme de l’inconnu. Le Parjure et ses enfants affichaient une détermination imperturbable. Contrarié par la perte de ses forces, Dieu contemplait ses blessés :
— Je suis nourri de la dévotion, ma victoire ne fait aucun doute !
Nasëem éclata d’ironie :
— Mon oncle ! Franchement ! Ne sois pas plus stupide qu’il n’y paraît. La Terre n’est pas simplement figée dans sa rotation pour bloquer tes troupes. Sa suspension stoppe l’émergence des prières que les humains t’adressent.
— Laisse-moi deviner ! Tu es le Druide du vent !
Caïn tournant volontairement le dos au « Tout-puissant » rejoignit son fils, et passa un bras par-dessus ses épaules et finit par clamer :
— Tu ne reconnais donc pas la réincarnation d’Abel que tu m’as poussé à assassiner.
Un frisson d’horreur et de réalisation le traversa, ce qui ravit le Vampyr, qui reprit :
— Mais lui et moi sommes depuis toujours sous la protection de la Créatrice, d’ailleurs sans elle nous n’aurions jamais existé à l’instar de ce Royaume.
Son histoire, son fief, son immortalité étaient menacés. Mais par qui ? Par quoi ? Le puzzle se recomposait, mais les pièces manquantes restaient insaisissables.
Perles de givre fondant sur une surface glacée, les paroles d’Aëgir s’échappèrent avec froideur :
— Non pas le Druide du Vent, mais de l’Obscur que nous maîtrisons tous les quatre, tout comme toi. Penses-tu pouvoir nous défier ? Que les hostilités commencent alors ! Mais rappelle-toi, Kaëlle a vaincu deux de tes Sages, et Michael a été empalé sur mon trident. Séraphielle est perdue. Les trois autres t’ont abandonné, emprisonnés dans une tourmente éternelle. Mes mages tiennent le Paradis, et tes guerriers se sont rendus. Médite sur ces faits avant de poursuivre.
Dans l’atmosphère dense de la salle, la pression était presque tangible. Dieu, intérieurement bouleversé par la tournure des événements, gardait une apparence imperturbable, tel un monolithe face à la tempête. Dans son esprit, une mêlée de stratégies et de doutes se déchaînait. « Doit exister une issue, un élément que j’ai omis. » Il analysait l’environnement, en quête désespérée d’une solution, d’un plan pour inverser le cours des choses. Sa rage se décupla, pour preuve, la foudre parcourait son corps musculeux pour venir enrober ses poings :
— Jamais ! Je ne me soumettrai pas !
Il s’élança. Mais Kaëlle, prompte et astucieuse, agita sa baguette. Un mur de flammes surgit, stoppant brutalement l’assaut. Narquoise, elle lança :
— Ce combat que tu désires tant n’aura pas lieu ici.
Son affirmation, empreinte d’assurance et de dérision, se propagea dans l’espace. Arrêté dans son enthousiasme, Dieu faisait face au barrage, son intellect tourmenté par des pensées tumultueuses, mais sa stature demeurait inébranlable.
Dans la vaste salle du trône, où le faste rivalisait avec l’étrangeté, Vampyr, Mage, Druide, Sorcière et Pythie se tenaient avec une gravité imperturbable. Leur immobilité n’était pas celle de statues, mais celle de prédateurs avant la chasse.
Coordonné et précis ils, brandirent leur Regalia. Puis Ils encerclèrent Caïn, pour y concentrer une myriade de rayons élémentaire. Sous cette pluie de Mana, son aspect révéla la nature obscure de ses origines Vampyrique, qui servait de catalyseur. Ses traits, autrefois calmes, se contorsionnèrent, fusionnant rage et extase dans un ballet de mutations.
L’air se mit à vibrer. La Cinquième Saison , l’Eterna, émergea en une manifestation de lumière, s’élevant comme un pilier. L’Éden tressaillit submerger, par l’apparition de cette nouvelle entité. La réalité vacilla, ondulante à la manière d’une étoffe céleste frappée par un météore.
L’Eterna, essence indéchiffrable extraite de l’Anaheïm par l’ingéniosité des Darck, se superposait dorénavant au Paradis redessinant temporairement les contours du 1er Royaume. Dieu, face à cette communion de cinq âmes et quatre éléments, mesura l’ampleur de leurs prérogatives. Les anges, témoins de ce spectacle, reculèrent, leurs protections métaphoriques désormais obsolètes.
Dans cet instant suspendu, l’immaculée éternité et l’infini dominaient ; l’ordre habituel du monde se dissolvait. Plus de haut ni de bas, ni droite ni gauche, ni devant ni derrière – les repères familiers s’évaporaient dans un tourbillon de chaos. Dans ce théâtre de l’absurde, seuls subsistaient le mur de feu flamboyant et le trône divin, derniers bastions d’une réalité autrefois incontestée.
— Es-tu satisfait, frère ? interrogea Caïn. La confrontation que tu désirais est là. Mais elle prend une tournure que tu n’aurais pu imaginer.
— J’ai sous-estimé le pouvoir de la famille, contrairement à toi ! Tu as fomentées tout cela en prévision de ce jour, tu as ourdi leur naissance pour t’emparer de mon trône. Tu me Jalouse ! Tu m’envi a en crever.
— Nous sommes les élus de la Créatrice, tandis que, toi, tu n’es qu’un pantin dans les mains du Fondateur, tel que le fut Yahvé. Notre affrontement dépasse ta vaine quête de suprématie sur les Royaumes ; il façonnera le destin même des dimensions. Si par malheur tu triomphes, sache que ta victoire ne sera qu’illusion. Ton marionnettiste, dans son dessein ultime, prévoit l’anéantissement total.
— Quelles fables tu me sers là ! Toujours prompt à tisser des mensonges ! Penses-tu vraiment que tes contes lugubres, fût-ce crédible, peuvent ébranler ma résolution ?
Alors, le mur de flammes s’effondra, révélant un Dieu dont la force semblait réduite, son énergie affaiblie, ne subsistant que dans sa forme la plus brute, privée de l’élan vital de l’adoration. Gaïa, amusée par son désarroi, le nargua :
— Eh oui, mon oncle ! L’Eterna est le cœur de notre influence ; il amplifie nos capacités tout en diminuant les tiennes. Dans ce domaine, nous régnons, et tu n’es qu’un intrus amoindri, éclipsé par notre éclat.
Dans un silence chargé de tension, l’Eterna s’éveilla, répondant à l’appel mutique de ses maîtres. À son passage, une onde de puissance se propagea, et les archanges, jadis gardiens vigoureux, se pétrifièrent sur place. Leur mutation en statues de sel captura un moment d’horreur pure, leurs traits gâtés par l’agonie. déployées en un ultime geste de rébellion, leurs ailes se cristallisèrent, figées dans une posture tragiquement vaine.
Dieu vit ses derniers potentiels défenseurs se transformer en monuments de désespoir. Un murmure ironique s’échappa de ses lèvres, trahissant un sentiment de capitulation masqué sous une couche d’amertume :
— Charmant !
Aëgir, Gaïa, Kaëlle et Nasëem, alignés en une formation imposante derrière Caïn, braquèrent leurs sceptres et baguettes vers le trône.
Dieu, scrutant attentivement ses adversaires, saisit avec un frisson de dégoût que le jeu de pouvoir venait de s’inverser. Désormais en position de faiblesse, il était peut-être la victime de sa propre machination :
— Alors, qu’attendez-vous ? Pourquoi cette mascarade ? Si vous détenez le privilège de me défaire, agissez, je ne résisterai point !
— Car, mon frère, notre ambition va au-delà de la simple destruction. Nous avons des projets bien plus vastes pour toi, pour ce lieu, pour l’ensemble de la création, nous allons permettre à ton âme de renaître parmi les humains.
Une vague de crainte le submergea. Il comprit que leurs intentions transcendaient la victoire. Ils étaient venus pour transformer l’essence même de la réalité, pour redéfinir le Paradis et l’existence.
— Alors, accomplissez votre destinée, susurra Dieu.
L’expression de Caïn se peignit de nostalgie lorsqu’il affirma :
— C’est avec joie, frère. Mais permets-moi d’abord de te remercier.
— Pour quelle raison ?
— Sans ta tyrannie, jamais ma vie n’aurait été si riche, jamais je n’aurais connu une compagne aussi merveilleuse qu’Ëlara ni eu des enfants si exceptionnels. Pour cela, ma gratitude est sincère.
Alors que cette reconnaissance teintée de mélancolie vibrait dans l’air, Caïn et ses progénitures levèrent leurs mains. Les cinq Regalias rayonnaient, plongeant le « Tout-Puissant » dans une vulnérabilité sans précédent.
Son faciès se déforma en une grimace d’angoisse ineffable, ses traits révélèrent un désespoir abyssal. Mais, loin de se soumettre, il rassembla ses forces. Bravant l’interdit régalien, il s’agrippa au sceptre de Yahvé, déclenchant une réaction inattendue. Tout comme ses parents, son gène déchu s’activa, libérant une onde de chaleur qui interrompit toute magie environnante, bouleversant la victoire psychologique.
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