Chapitre 68 : Tel est prit qui croyait prendre
Le Fondateur métamorphosa son faciès, laissant paraître une contrée astrale prisonnière des contours de son crâne. Des nébuleuses en spirale et des explosions stellaires animaient le masque translucide de sa peau, évoquant un univers miniature. Drapé dans une étoffe autant noire que le vide intersidéral, constellée de corps cosmique mouvant, il portait moins bien que Kelly l’immensité de la Création. Dans ses mains, un cube transparent renfermait une réplique de la Voie lactée.
Aussi immuable qu’une sentinelle imperturbable Kelly l’observait de sa position – une confiance inébranlable dissimulée derrière son calme apparent. Calfeutré dans la supercherie de sa victoire, son homologue progressait avec la prestance d’un conquérant. Arrêté devant la carcasse de Dieu, teinté d’un mépris feutré, il inclina la tête :
— Merci pour ton sacrifice ! Tu fus mon jouet préféré.
Son bonheur devint alors l’épicentre d’un univers de contrastes, un théâtre où sa volonté redessinait la réalité. Incontestablement, il se dressait en maître du jeu. Kelly, quant à elle, demeurait en retrait, patiente et calculatrice, prête à surgir au moment propice.
En attendant, la Créatrice esquissa des arabesques dans l’éther, chaque mouvement de ses doigts libérant un nuage d’or, enveloppant ses champions déchus dans une brume scintillante qui effaçait les stigmates de la guerre.
Sous cette poussière dorée, la décrépitude des trépassés cédait sa place à une jeunesse éclatante. Les cicatrices se ressoudaient, les traits contorsionnés par l’agonie retrouvaient une sérénité angélique, comme si la mort s’était muée en un profond sommeil réparateur.
De magnifiques gemmes s’incarnèrent. Diamonite, rubis, émeraude, saphir. Ils grossirent jusqu’à pouvoir les contenir. Auprès de chacun, les Régalia demeuraient, emblème de leur force et de leur honneur. Ces reliques sacrées, témoins muets de leurs exploits, guetteraient leur résurrection.
Toisant le cadavre de Dieu, un élan de générosité traversa son cœur. Elle y percevait non un instigateur de malheur, mais plutôt une marionnette des jeux de pouvoir. Des filaments lumineux, pareils à des rayons solaires, s’échappèrent de ses doigts, tissant un sort rédempteur. Sous l’effet de son art, la dépouille s’estompa.
— Tu revivras, purifié et rajeuni, déclara-t-elle, imaginant sa renaissance au sein d’une vierge, condition sine qua non pour laver son âme de ses péchés.
— Ha ! Ha ! Ha ! À quoi bon lui accorder la salvation puisque je vais détruire la Création ? Reconnais ta débâcle Créatrice. Toi, ton clan et perversion de mon œuvre vont disparaître. Ainsi, Néant, mon fils préféré sera venger.
Un vortex s’ouvrit sous l’impulsion de Kelly, laissant émerger une patte féline aux griffes soignées, présentant l’Ensorcetab 9.0. Nonchalante, elle y apposa son sceau, et, d’une grâce naturelle, rejoignit le fanfaron, ses Louboutins tonnants d’une confiance non singée. Le vainqueur supposé s’avança, porté par une assurance qui aurait pu être contagieuse.
— Alors, tu acceptes ta défaite avec autant de sérénité, Kelly ? exigea-t-il, une courtoisie feinte.
— Il semblerait Fondateur. Mais il y a un hic, tu n’as pas saisi toutes les règles ! Surtout celle de non-ingérence directe. Tu as fait plus qu’influé... Tu as volontairement changé l’issue du combat.
L’instant où sa paume d’aluminium effleura la tablette, un sort l’immobilisa. De son sac à main, elle détacha une petite sphère de Karistal bardée de circuits. Un zoom en sortit, projetant un holofilm.
— Tu vois, le jeu évolue, et, parfois, ce sont les pions qui deviennent rois, expliqua-t-elle avec une ironie acérée.
Le visionnage le montrait, empoignant un cristal dans une vitrine et l’acheminant jusqu’au front de Dieu. Ce qui avait effectivement altéré le cours des événements.
— Dommage, tu n’as pas vu venir ce coup. À l’avenir, sois plus prudent... ou peut-être n’y aura-t-il pas d’avenir pour toi.
Le Fondateur, murmurant faiblement, tenta une réponse :
— Ce n’est pas terminé, Kelly. Jamais.
Un rire léger s’évada de sa geôlière, parangon de triomphe.
— Pour toi, c’est fini. Le rideau tombe.
Ce moment n’était pas seulement une victoire ; c’était la consécration de sa stratégie, une démonstration d’audace et de ruse qui avait renversé les tables.
Devant elle, ses doigts diamantés baignaient dans un tourbillon de chakra, créant un kaléidoscope de couleurs éclatantes. Des arcs d’énergie s’échappèrent, tissant un réseau de filaments. Ses lèvres articulaient des mots mesurés. Autour de sublime personne, des runes surgirent, imprimant le sol de motifs complexes. L’ardeur du chakra s’intensifia, la drapant dans une aura qui défiait cet espace sacré. Elle dirigeait le flot de sorcellerie vers les corps scellés dans les gemmes – diamonite, rubis, émeraude, saphir – pulsante d’une vie nouvelle. L’essence naguère unifiée du Fondateur entama sa fraction, aspirée de par les quatre extrémités, devenant simple poussière scellée dans ces joyaux mortuaires. Impérieuse la Créatrice reporta son attention sur le perdant :
— Pensais-tu vraiment pouvoir me surpasser ? Tu as abattu tes cartes, mais n’as-tu jamais envisagé que je pourrais renverser le tirage ?
Il lutta pour articuler :
— Ta ruse... je dois admettre, je ne l’avais pas prévu. Mais ne te méprends pas, ce n’est pas encore terminé.
Elle éclata de rire, un son qui vibrait avec la puissance de la magie ambiante.
— Oh, que oui ! Tu as peut-être orchestré des complots, joués avec les destins, mais tu as sous-estimé l’élément le plus crucial : ma famille, qui a pris une part significative dans l’élaboration de mon stratagème. Je porte peut-être le titre, mais la Création, c’est l’ensemble du clan Darck. Nous t’avons conduit ou nous le désirions, anticipant toutes les éventualités. Ta tricherie étant plus évidente que ta défaite, ou ta victoire.
— Ma vision..., elle était... commença-t-il à geindre.
Mais, perdant patience face à son manque de dignité, Kelly l’interrompit :
— Ta vision ? Étriquée, aveugle à la véritable nature des choses. Tu voulais un univers à ton image, mais tu as oublié que la Création nécessite du respect, et non de la domination.
Ses mains s’agitèrent :
— Tu vois ces sarcophages précieux ? Ils sont le symbole de ta division, de ta chute. Chaque élément, chaque couleur, capture une part de ton essence. Tu te disperses, aussi fragmenté que tes ambitions.
Son arrogance dissipée, le Fondateur ne pouvait être qu’impuissant.
— Que vas-tu faire de moi, Kelly ? exigea-t-il.
Elle s’approcha, son nez à quelques centimètres du sien.
— Tes longs à la détente, Darling. Je vais te morceler, te purifier. Tu seras enfermé, partagé entre ces corps, conçus et forgés spécialement pour te contenir éternellement.
Se retournant, la Créatrice contempla les gemmes en lévitation :
— C’est le début d’une ère nouvelle, Fondateur. Et cette fois, ma légitimité devint incontestable.
Avant qu’il ne s’estompe totalement, elle ajouta :
— Ta division, mon cher, est bien plus qu’une simple victoire pour moi. Elle est la clé pour affronter ceux qui menacent notre monde. Les Anciens, ton peuple, en route depuis l’Anaheim avec leur armada, ne s’attendent pas à ce que je détienne la prérogative de les éradiquer.
Il ne subsista rien de son ennemi, l’Ensorcetab se fracassa au sol.
— Warren devrait y inclure des charmes de lévitation !
Dans l’ambiance affectée du palais, Caïn sortit lentement de stase. Ses muscles se tendaient, blanchissant sous la pression. Près de lui, la Créatrice, pleine de compassion, prononça des mots lourds de conséquences :
— Tes enfants ne sont plus, Caïn.
Chaque syllabe flottait, imbibée de gravité et de tristesse non exprimée. Subitement, le père sursauta, secoué de tremblements. La douleur se mua en fureur, ses ongles crispés menaçant de percer sa propre peau.
— Pourquoi les as-tu abandonnés ?
Ses paroles fusèrent, chargées de foudre et de reproche. Face à cette tempête, Kelly demeura imperturbable.
— Leur destin était entre leurs mains, Caïn, rétorqua-t-elle, une fermeté sous-jacente dans son timbre.
La rage de l’endeuiller éclata. Il brandit un poing, son corps s’entoura instinctivement d’Obscur :
— Ils auraient dû être sauvés ! s’écria-t-il, mêlant désespoir et colère.
— Mon pouvoir régit l’Univers. N’oublie pas qui tient ton devenir entre ses mains.
Sa réplique, précise et directe, fut un rappel de sa souveraineté absolue.
— Ils renaîtront, assura-t-elle, tendrement, offrant l’espoir de les revoir.
Un calme révérencieux s’installa alors que Kelly conduisit son champion vers le trône divin. Taillé par le fondateur dans une substance inconnue même d’elle. Ce siège imposant attendait son nouveau maître. Pilotant son ascension, elle appuya ses paumes sur les épaules de Caïn, l’orientant vers son troisième destin. Elle l’obligea délicatement à s’y asseoir, et un frémissement parcourut l’espace.
Elle se pencha pour lui murmurer une vérité essentielle :
— L’héritage de ton frère est tissé dans la structure de la troisième dimension. Tu incarnes désormais Dieu, Caïn, un nom évolué en un titre immuable, amplement mérité.
Elle expliqua qu’associé à la Régalia et aux Black Hood, il consoliderait son contrôle sur ses sujets. Autour de lui, des phénomènes s’éveillaient : la lumière se distordait, les ombres dansaient, et une force jaillit du trône, l’enrobant.
Tandis qu’elle se retirait, derrière ses lunettes de soleil, ses yeux scrutèrent ce domaine Obsolète, témoins de l’histoire qu’elle venait de réécrire. Et elle disparut. Le paradis, vibrant sous cette nouvelle autorité, pulsait d’une énergie fraîche. Régnant en majesté, Caïn devint plus qu’un souverain ; il personnifiait l’équilibre permettant à l’Univers et à l’Enfer de coexister, le pivot sur lequel tournait le destin de la troisième Dimension.
Parmi les célestes survivants, un changement inexorable s’opéra, orchestré par la volonté de Dieu le Père. Éparpillés aux confins du royaume, ils ressentirent l’altération fondamentale de leur nature.
Une présence impalpable les enveloppait. Leurs ailes perdaient en éclat se dissolvant dans l’éther. Pris de panique et désorientés, l’un après l’autre, ils endurèrent le jugement du fils d’Adam et Ève. L’agonie de la dépossession de la Grâce s’unissait en un chant affreux.
Dans un maelström de plumes décolorées et ternies, les anges furent aspirés par un puits d’ombre. Chaque descente vers la Terre meurtrissait brièvement le firmament, telle une pluie de comète disséminée sur la planète, toujours stoppée dans sa Rotation.
Caïn se leva. Un souffle ténu s’échappa. Se dirigeant vers les portes majestueuses de la salle du trône, il tendit sa main et les referma d’un geste ferme. Le cliquetis des verrous retenu, un écho solennel dans le sanctuaire dévasté.
Il avança ensuite vers les joyaux renfermant les dépouilles de ses enfants, s’immobilisant un instant. Dans cette halte, un tourbillon d’émotions l’envahit : une tristesse pour leur absence mêlée à une fierté pour leur courage. Puis, concentrant son pouvoir, une foudre noire jaillit – les engloutissant. Le Paradis tira sa révérence.
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