Chapitre 73 : La réincarnation du vent
Des semaines imprévisibles avaient trépassé dans le royaume infernal, où le temps dansait au gré de sa propre fantaisie, orchestrant un chaos sans répit. Lilith se dressait devant un reflet d’obsidienne. Son ventre avait pris des proportions démesurées, prêt à éclater sous la tension croissante, révélant une présence monstrueuse qui luttait pour s’échapper.
Épuisée, des perles de glace sur son front, elle pressa sa paume contre la surface du miroir. Le verre, à sa grande stupéfaction, se mit à onduler, évoquant les cercles concentriques d’une mare frappée par une pierre. Le visage de la Créatrice prit forme dans ce spectacle inopiné.
Sans un mot, Kelly étendit son bras à travers, capturant fermement la démone, le tirant comme un phare guidant un navire à la dérive dans une mer tumultueuse. En un tempo, elles furent catapultées hors de ce royaume infernal, atterrissant avec un soupir de soulagement dans l’enceinte majestueuse du Palais Palladium.
Enlil et Nick attendaient avec une anxiété palpable, balayant le corridor menant à la salle principale.
— Elle aura besoin de tout notre appui.
Le son distinct d’une porte qui s’ouvrit fit écho. Lilith, son ventre arrondi d’une manière presque surréaliste, apparut, suivie de près par Kelly. À peine eut-elle franchi le seuil que des contractions violentes la saisirent. Ses jambes fléchirent involontairement, la faisant tomber à genoux, un cri étouffé s’échappant de ses lèvres.
En un éclair, les pères convergèrent vers la mère, leurs mouvements portant l’empreinte d’une urgence maîtrisée. Aucun mot ne fut troqué ; ils la soutinrent délicatement, enveloppant son corps frêle de leur présence rassurante.
Guidant Lilith à travers les couloirs majestueux, ils débouchèrent dans une pièce dissimulée, un sanctuaire secret ourdi dans l’ombre des événements à venir. Le cœur dévoila un nid monumental, ficelé avec de rares matériaux chargés d’incantations. Épuisée, le tourment dessinant des ombres sur son visage, elle s’y abandonna. Les contours de ses traits révélaient le fardeau de l’angoisse.
Les échanges de regards entre les parents transcendaient les limites du langage, déployant une compréhension tissée dans la trame invisible de leur lien. Enlil exprimait une sollicitude protectrice, opposée à celles de Nick qui dénotaient une excitation inébranlable.
Des heures ininterrompues s’étirèrent, chaque minute se mua en une épreuve prolongée. Lilith, immergée dans une obscurité oppressante, se trouvait au centre de l’ouragan, déformé par une détresse indicible.
Chaque cri émis est une déchirure, une plainte qui résonne aux confins du Sultanat céleste. Son corps, tordu par les contractions, était le théâtre d’une bataille acharnée entre la vie et la douleur. Et puis, au milieu de cette cacophonie de souffrance, une lueur d’argent émergea. Un œuf, pur et immaculé, glissa du con meurtri de Lilith, apportant à la fois soulagement et accomplissement.
— Ça fait mal !
— Tiens bon. C’est bientôt fini.
Le nid, témoin de cette naissance épique, s’illumina, alors que l’évacuation prenait fin.
Enlil et Nick tendirent les paumes confluant leur chakra dans un acte de communion sacrée, et en imprégnèrent l’œuf. Des fissures mordorées et cobalt s’étendirent, évoquant l’éclatement imminent.
C’est à ce moment crucial que la Créatrice entra en scène, dévoilant une fiole de sa poche. Le récipient, scellé par un bouchon de cristal. Elle le déboucha. Une volute d’âme s’échappa. Jadis Abel, puis Nasëem, elle cherchait maintenant une nouvelle incarnation s’insinuant à travers les brèches, se fondant à l’essence des pères.
Un vent mystique se manifesta, une force transcendante. Les rideaux s’agitèrent. La coquille se brisa : un garçon humanoïde aux cheveux d’ébène, ses prunelles portant la sagesse des temps anciens.
Kelly, Nick et Enlil restèrent scotchés – émerveillés.
— Nous avons engendré quelque chose de formidable, murmura Lilith, empreinte d’une émotion indescriptible.
— Oui, acquiesça la Créatrice, fixant le nourrisson, un second tome s’ouvre. La bataille finale approche.
Son descendant, issu des ténèbres et de la lumière, porteur des âmes passées, détenait un patrimoine génétique inexploré. Tous percevaient que l’univers venait de basculer de manière imprévisible.
Enlil, à la fois respectueux et impérieux, guida sa mère et son époux hors de la chambre afin d’offrir un moment d’intimité à la maman.
Seule dans la pièce, Lilith enroula son bébé dans ses bras, son cœur palpitait d’un amour pur et immédiat, mais également de l’inflammation persistante. Chaque effort pour prendre son enfant était une épreuve.
La Créatrice volerait son fils. Sa psychose la poussa alors à agir, à transcender la douleur physique et émotionnelle. Lilith s’imaginait que cette étreinte serait brève, que l’inévitable séparation approchait. Elle lui susurra des mots apaisants. Le petit homme répondait par des gazouillis innocents.
Alors qu’elle s’apprêtait à quitter la salle, une machination soigneusement orchestrée par les Darck se mit en marche. Un pas vers la sortie et un mécanisme invisible se déclencha. L’atmosphère s’épaissit, emprisonnant sa liberté. Le trio réapparut.
Malgré ses entraves, Lilith invoqua les ombres, projetant une flamme ébène. Kelly, imperméable aux assauts, demeura imperturbable.
Soudain, elle leva la main, déployant un tourbillon d’or qui engloutit la démone. Sous l’emprise de son chakra, Lilith ressentit une transformation radicale. Les ténèbres qui la caractérisaient se dissipèrent, et la reine Infernal redevint Ève, une figure aux traits angéliques.
— Qu’est-ce qui se passe ? Enlil, pourquoi ne suis-je plus Lilith ?
— Mère, qu’as-tu fait ?!
Sans perdre de temps, Nick, conscient de la situation, intervint. Piochant dans sa caisse noire de vœux, il effaça la mémoire d’Ève, remplaçant ses souvenirs par d’autres, fabriqués de toute pièce. Dans un éclair cobalt, le Seigneur des Djinns forma un vortex, la propulsant à travers les époques, jusqu’à un moment que l’univers jugera propice. C’était le prix de sa tentative d’évasion.
— Tu seras nommé Baphomet, murmura la Mamie, et tu régneras sur l’Enfer en mon nom.
La Créatrice, prête à s’éclipser, évitait soigneusement le regard d’Enlil. Sur son visage se lisait une détermination froide, teintée de regret, une image poignante du rêve d’enfantement sacrifié.
Incapable de voir son bambin lui être arraché, l’Impérator se dressa devant la sortie :
— Mère, comment peux-tu faire cela ? Renier la paternité que tu m’as presque imposée ?
Il tremblait de rage contenue. Calme, mais ferme, elle répliqua :
— Tu dois comprendre. Son destin est déjà tracé.
— J’emmerde le destin ! Il tourna son attention sur son époux ! Et, toi, tu ne dis rien ! Tu la laisses faire ?
— Ai-je le choix ? Je n’ai pas le privilège d’être son fils, s’énerva Nick.
La dispute éclata alors, une tempête d’émotions déferlant dans la pièce. Les mots fusèrent, tranchants. Lacéré entre la fureur et la crainte de perdre son enfant, Enlil argumentait avec véhémence.
— Tu n’as pas le droit ! Mon garçon ne partira pas sans que je me batte !
À bout de patience, Kelly riposta avec une froideur calculée :
— Arrête tes caprices ! Tu étais d’accord lorsque nous avons initié ce projet en incluant tout ce que cela implique ! Je t’avais prévenu de ta réaction, tu m’avais ri au nez. Voilà une fois de plus la preuve que je te connais mieux que toi-même.
Elle avait raison. Il baissa les armes, mais avait d’autres moyens de remporter la guerre. Alors La Créatrice obtint gain de cause. Enlil, résigné, mais empreint de douleur, déposa Baphomet dans les bras de sa mère. Et submergé de larmes incontrôlées, embrassa son trésor. La porte se referma sur ce tableau déchirant.
FIN !
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