Chapitre 2 - Pia

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☼ Chapitre 2 ☼

Je décide de m'éclipser de la maison après quelques heures passées à discuter avec mes parents. Le délicieux dîner que nous avons partagé me fait quelque peu regretter les talents culinaires de mon père, dont je n'ai apparemment pas eu la chance d'hériter. Je me fais la promesse de prendre le temps d'apprendre à cuisiner cet été, tandis que je pense honteusement à UberEats qui a dû pouvoir s'acheter de nouvelles actions grâce à mes commandes beaucoup trop régulières.

- Je sors un peu, j'ai pris mon double des clés, dis-je pour les prévenir de mon départ.

Tous les deux me souhaitent de passer une bonne soirée, et je sors de la maison dans la douceur du soir, mon sac banane turquoise barrant ma poitrine. Il est tout juste vingt-et-une heures, la chaleur tombe doucement et les cigales s'en donnent à cœur joie.

J'ai enfilé une robe légère de la même couleur que celle de mon sac, dans une teinte un peu plus foncée. Mes cheveux, coupés en un carré brouillon, ondulent et viennent caresser mes épaules nues au rythme de mes pas. Au fond de moi, je sens mon cœur battre un peu plus fort lorsque j'arrive près du bar. Ils sont déjà là, tous les trois. Mon sourire se fait plus franc lorsque ma meilleure amie m'aperçoit, assise face à deux silhouettes masculines. Elle se lève et se précipite pour m'enlacer.

- Mon espace vital, grommelé-je en lui rendant son étreinte.

Zoé sait que je déteste le contact, et elle s'en amuse à chaque fois que je la vois depuis dix ans. Autant de temps passé ensemble et si peu d'évolution en terme de maturité. Je l'adore.

- Tu me manques trop Pi, je te vois en vrai tous les trois mois, tu crois vraiment que je vais manquer une occasion de te faire un gros câlin ?

Je la repousse en riant. Il n'y a que Zoé, la personne la plus entêtée que je connaisse - et la plus incroyable, même si j'évite de faire mousser son égo devant elle trop souvent - qui a pu trouver un surnom à mon court prénom de trois lettres. Cette fille, je l'admire. Contrairement à moi, elle a choisi de rester ici et de mettre de côté ses ambitions professionnelles (de chanteuse ou d'actrice, évidemment), car elle tenait plus que tout à vivre dans le sud et ne se serait pas vue vivre ailleurs. C'est aussi le choix qu'ont fait Arlo et Zek (qui n'a jamais aimé son prénom complet), puisqu'ils avaient déjà prévu de monter leur entreprise dès le début du lycée. Zoé, leur amie d'enfance, s'est greffée à leur duo après la terminale, et c'est ainsi que ma bande de potes d'adolescence s'est retrouvée à faire du jus de fruits artisanal. L'anecdote fait très provinciale aux yeux de mes amis parisiens, qui constituent l'autre pan de ma vie. Moi, je me sens... à cheval entre les deux mondes.

- Alors, comment va notre citadine préférée ? me sourit Arlo de toutes ses dents.

- De retour, prête à me métamorphoser en paysanne pour les deux mois à venir, lui réponds-je d'un ton amusé.

Si je tiens autant à passer l'été dans la Drôme tous les ans depuis que je vis à Paris, c'est pour la simple et bonne raison que je passe la majorité de mes vacances à aider mes trois amis à cueillir des abricots, qui servent ensuite à l'élaboration du meilleur jus - en toute objectivité - que j'ai jamais bu.

Arlo, de son mètre quatre-vingt, me dépasse d'une tête lorsqu'il se lève pour m'accueillir. Il m'enlace rapidement, m'épargnant le "gros câlin" à la Zoé dont je ne parvenais plus à me défaire quelques secondes auparavant. La blondeur de ses cheveux courts contraste avec ceux de Zek, dont les boucles brunes tombent avec légèreté sur le haut de son front.

Avec Zek, c'est différent. Les relations entre nous quatre n'ont pas toutes la même intensité. Zek et moi, c'est tout juste amical. Un peu plat, entre deux plaisanteries, j'ai arrêté d'aller vers lui quand j'ai senti qu'il n'était pas réceptif à ma compagnie. Et depuis, c'est resté ainsi. Ni plus ni moins. Au moins, on ne se déteste pas. Arlo et Zoé ont toujours été trop occupés à rire de tout et n'importe quoi dès qu'ils étaient ensemble pour questionner son attitude sérieusement, mais au moins, je n'ai jamais eu à leur expliquer pourquoi. Après tout, j'ai mes raisons. Zek s'est toujours montré un brin condescendant et distant dès que j'apparaissais, ce qui me blessait au début de notre amitié groupée. J'ai appris à vivre avec, et à lui répondre, j'imagine.

Je ne suis donc pas plus étonnée que ça lorsque je vois qu'il se contente de m'adresser un signe de la main en guise de salutation. Je lui réponds par un signe de tête poli.

- On commence demain ? Je suis archi motivée. La production est bonne ?

Si je ne travaille pas avec eux, dès que l'été arrive, c'est tout comme. Je connais leur fonctionnement par cœur, et les rouages de l'entreprise comme si j'en faisais partie. Le regard furtif qu'échangent Arlo et Zoé me met un peu mal à l'aise. Un peu comme s'ils savaient quelque chose que je n'allais pas tarder à découvrir.

- Oui oui, on va avoir du boulot. En parlant de ça Pi, tu fais équipe avec Zek ce mois-ci. On a quelques missions de communication auxquelles on doit assister avec Arlo, tu t'imagines bien que c'est donc notre cher Ezechiel qui reste sur place.

Bien sûr que j'imagine bien. Zek est une porte de prison, ce n'est pas lui qu'il faut envoyer pour représenter leur business. Toujours est-il que je n'avais jamais fait équipe avec lui dans les vergers, lui comme moi avions toujours secrètement veillé à ne pas rester plus d'une journée ensemble sur le même secteur. C'était un accord tacite entre nous, même si je crois comprendre, à en voir l'air gêné de mes compères, qu'ils avaient dû finir par s'en rendre compte.

Je jette un œil à Zek pour essayer d'entrevoir sa réaction, même si j'imagine que la décision a été prise avec son accord. Il est impassible, évidemment.

À l'inverse, je vois Arlo dévisager mon amie comme s'il lui en voulait de ne pas avoir pris de pincettes pour m'annoncer la nouvelle - comme si Zoé savait comment ça fonctionnait.

- Bien sûr. On va faire tourner tout ça avec Zek, comme si vous étiez là. Vous partez où ?

J'essaye de garder la face, même si je me sens un peu déçue de ne pas pouvoir profiter de Zoé ni d'Arlo pendant les prochaines semaines. Les journées cueillette sont fatigantes mais on s'amuse toujours beaucoup. J'imagine que l'ambiance sera un peu, si ce n'est très différente en compagnie d'Ezechiel.

Zoé m'explique alors qu'ils comptent alterner entre rendez-vous marketing et tenue de leur boutique, et que ces deux activités se complètent bien, raison pour laquelle Zek et moi serons au verger à la journée.

Ce dernier termine sa bière et me lance un sourire forcé.

À ce moment-là, j'espère juste que les jeunes qui seront en job d'été cette année seront agréables. Sinon, mon statut d'amie bénévole risque d'avoir un léger goût amer.

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