Chapitre 5 - Pia

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☼ Chapitre 5 ☼

- Ça m'aide à tenir, Pia.

Les mots de Zek rejoignent la petite flaque de lettres invisible qui se trouve à mes pieds. C'était donc ça, la raison à cette distance entre nous, depuis tout ce temps ? Je peine à y croire. Et à la fois, tout fait sens. Je revois notre relation défiler sous mes yeux, et je repense à cet anniversaire auquel j'avais ramené mon petit ami de l'époque. Zoé et moi avions retrouvé Zek au fond d'une chambre, les yeux rougis. Je me rappelle qu'il n'avait jamais voulu nous dire ce qu'il s'était passé. Mon cœur se serre à l'idée d'avoir pu, sans le savoir, lui faire du mal durant toutes ces années. Je me sens bête de n'avoir rien vu, de l'avoir laissé seul aux prises avec ses sentiments inavouables, de peur de détruire une belle amitié entre nous quatre.

- Pourquoi n'avoir rien dit ? dis-je dans un murmure.

- Et risquer de ne plus jamais te voir si les choses n'avaient pas fonctionné, Pia ? Plutôt crever. Et Arlo ? Et Zoé ? Qu'est-ce qu'on serait devenus, tous les quatre ?

Je baisse les yeux. J'ai envie de pleurer. Sa confession me touche en plein cœur. Tout ce que j'avais pris pour de la distance et de l'arrogance n'avait été qu'un subterfuge de sa part pour oublier... ce qu'il ressentait pour moi ? Je trouve le courage de relever les yeux vers lui. Les siens brillent d'un éclat triste, les miens sont embués de larmes. Je l'observe un long moment avant de lui répondre. Les boucles brunes qu'il a toujours arborées lui donnent un air enfantin, qui, alliés aux traits masculins de son visage, forment un tout pour le moins déconcertant. Son teint hâlé contraste avec la clarté de ses yeux, et... bordel Pia, tu fais quoi là ?

- Et... maintenant ? Pourquoi me le dire aujourd'hui ?

Je ne veux pas qu'il entende ces mots comme un reproche. C'est la dernière chose dont j'ai envie. Je me sens coupable de ne pas avoir compris, j'avais forcément dû laisser passer des indices. Je n'arrive même pas moi-même à savoir ce que je ressens pour lui, tant j'ai été persuadée qu'il me dédaignait tout ce temps.

- Et te laisser croire que je ne t'aime pas ? Ça n'a jamais été aussi loin de la vérité, Pia. Je n'ai jamais rien laissé transparaitre, mais je n'en pense pas moins. Toi, agaçante, pas assez intéressante ? Je ne peux pas te laisser dire ça. Je bois tes paroles, je m'imprègne de ta présence autant que je le peux. Mais si tu pars vraiment... Alors tu dois le savoir. Désolé de t'avoir fait croire que je t'appréciais pas. C'est... tout le contraire.

Mon cœur tambourine dans ma poitrine. À quel moment aurais-je pu anticiper une telle déclaration de la part de Zek, à peine quelques minutes plus tôt ? Je reste figée sur place, incapable de prononcer le moindre mot. Il doit le comprendre, puisqu'il ajoute :

- Je ne te demande pas de comprendre, ni de réagir à ce que je viens de te dire. Il fallait que ça sorte. Pardon, Pia. Pour tout.

Tout se mélange au fond de moi. Les souvenirs, les sensations, les sentiments. Alors j'attrape sa main droite et je la niche au creux de la mienne. Elle est chaude, douce, et ce contact que j'ai choisi de provoquer m'électrise bien plus que je ne l'aurais cru.

- Ne t'excuse pas d'avoir voulu préserver notre amitié, Zek. Je n'ai qu'une seule chose à te demander.

Il acquiesce silencieusement.

- Oublie cette façade, c'est toi que je veux découvrir. Le garçon que j'ai connu au début du lycée, celui qui me faisait rire et qui m'a intégré dans son petit groupe comme si j'en avais toujours fait partie.

J'ai tout sorti d'une traite, d'un seul souffle, les derniers mots se sont perdus en un chuchotement sur le bout de ma langue et je ne sais pas si Zek les a entendus.

- Très bien. Faisons ça. Mais je te préviens, Pia. Quoiqu'il arrive, je refuse de te perdre. Je te fais confiance.

Tout à coup, je me rends compte que j'ai resserré ma prise autour de sa main. Qu'est-ce que je fais ? Pourquoi est-ce que j'ai initié ce contact, pourquoi sa proximité ne m'est-elle plus si désagréable ? Oh... Je frissonne en sentant sa main s'extirper de la mienne. Est-ce que je l'ai mis mal à l'aise ? Un nouveau frémissement. Ses bras se sont glissés autour de ma taille, avec une douceur infinie. Je lui rends son étreinte, en introduisant délicatement mes bras au-dessus des siens, déposant ma tête contre son épaule. Je n'ose plus bouger, je ne veux plus bouger, de peur de briser cet instant si doux. Cette sensation de soulagement de savoir que l'ami auprès duquel j'ai grandi m'apprécie, peut-être même plus que je ne l'aurais pensé, m'enveloppe d'une chaleur indescriptible. Notre étreinte prend fin et je m'écarte lentement, timidement.

- On peut commencer par manger ensemble ce midi, si tu veux ? On pourra discuter de tes projets, me dit-il doucement.

Je lui adresse un large sourire. Sans rien ajouter de plus, nous nous remettons au travail, profitant des premières heures du matin qui sont les plus agréables pour travailler dans une chaleur modérée. Mon sourire ne s'est pas évanoui, il flotte sur mes lèvres depuis deux heures alors que nous nous apprêtons à prendre notre première pause. J'ai l'impression d'avoir seize ans. De revivre un petit passage de mon adolescence, avec une décennie de retard. Après tout, qu'y a-t-il de mal à cela ? Puis, je repense aux raisons qui ont poussé Zek à garder le silence. Il n'a pas tort. Que deviendrait mon amitié avec Zoé, avec Arlo, si quelque chose venait à se passer entre nous ? Mon cœur se serre à nouveau, pour d'autres raisons cette fois-ci. Je comprends alors le choix de Zek, sa décision de ne rien laisser passer, pas même notre amitié. Il savait que nous n'en serions pas restés là. Il m'a suffi d'une étreinte pour entrevoir la vie que nous aurions pu avoir, le couple que nous aurions pu être. Et en même temps, combien de relations commencées au lycée durent-elles vraiment ? Zek a peut-être pris cela en compte aussi. Je me mords l'intérieur d'une joue en pensant au temps qu'il a pu passer à réfléchir à toutes ces choses. A regretter, peut-être. Ou pas. Après tout, il a eu le temps de changer d'avis et ne l'a pas fait. Je ressens un léger pincement au cœur en me rendant compte que s'il m'apprécie beaucoup, Zek ne m'a jamais vraiment choisie. Il a préféré préserver son amitié avec Arlo et Zoé. Mais honnêtement, je ne peux pas lui en vouloir, ni le lui reprocher : ils sont presque une partie de sa famille. Si nous avions rompu et que Zoé m'avait choisie et pas lui, il aurait été dévasté.

Je tourne la tête vers Zek, qui a laissé son casque par terre. Il travaille avec énergie, je le sens moins crispé, peut-être plus léger qu'il y a deux heures. Les muscles de ses épaules roulent sous son t-shirt gris, la sueur qui recouvre sa nuque m'hypnotise quelques secondes de trop. L'été va être long, c'est ce que je me disais ce matin en arrivant. Et c'est toujours mon impression deux heures plus tard, pour une toute autre raison.

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