Chapitre 8 - Zek

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☼ Chapitre 8 ☼

Le trajet se déroule dans un silence de plomb, et je sens bien que ce n'est pas au goût d'Elias, qui est le genre de gars à vouloir étaler en permanence toutes les choses incroyables qu'il a vécues. Ce n'est pas non plus ce qu'il avait prévu en débarquant chez Pia il y a tout juste une demi heure. Tant mieux. Lorsque Pia a raccroché tout à l'heure, j'ai pris une bouchée de mon sandwich, avant de l'abandonner subitement sur la table et d'entamer le premier sprint de deux kilomètres de ma vie. Une horreur, je me suis promis au bout de deux cent mètres d'améliorer mon cardio dès que la saison sera terminée. Mais c'était pour la bonne cause. Une minute de plus, et je ratais le stupide van d'Elias. D'accord, il est recouvert de stickers sur le coffre, ce qui rend le véhicule encore plus stylé qu'il ne l'est déjà, mais c'est le sien, ça suffit pour que je le déteste.

Apercevoir Pia à l'avant, aux côtés de cet idiot aux fausses allures de surfeur (qui vit à Paris ? Il faudra m'expliquer), m'a retourné le cœur. Je l'avais déjà vue avec des garçons, certes, mais ça n'avait pas été plus simple pour autant avec les années. Ça avait même été bien pire, puisque je m'imaginais que chaque nouveau copain pouvait être le bon. Celui avec lequel elle voudrait passer sa vie, reléguant les espoirs inavouables enfouis au fond de moi au rang... et bien, d'espoirs encore plus inavouables. Maintenant qu'elle sait tout de mes sentiments, ou presque, rien ni personne ne me fera reculer. Surtout pas un ridicule surfeur citadin qui regarde autant la route que son reflet dans le rétroviseur. Je le regarde du coin de l'œil, tachant de conserver une expression impassible malgré mon agacement. La dernière chose dont j'ai envie, c'est que Pia voit l'homme jaloux que je suis et qu'elle ne connait pas, puisque je ne le lui ai jamais montré. C'est peut-être la seule chose positive à toute cette mascarade.

Ma jambe frôle régulièrement celle de Pia lorsque nous empruntons un petit chemin de terre, et je ne peux réprimer un sourire en sentant la tension s'évaporer de son corps tandis que ses épaules se relâchent lentement. Elle ne le sait pas, mais je la connais. Je sais repérer le mouvement saccadé de sa mâchoire lorsqu'elle se mord l'intérieur des joues, chose qu'elle ne fait que lorsqu'elle est très stressée. Elle l'a fait d'un bout à l'autre du trajet, puis, en comprenant où l'on allait, un léger sourire est venu remplacer ce tic nerveux. Je détache à regret mon regard de ses lèvres roses, puis je propose à Elias de se garer sous un arbre.

- Je n'étais pas encore venue, cette année, avoue Pia à voix basse, comme si elle voulait que je sois le seul à être au courant.

- Je m'en suis douté. Mais c'est un incontournable, non ? Il fallait bien montrer ça à Elias, dis-je, tentant de masquer l'ironie dans ma voix.

Soudain, je réalise autre chose. Et si, en voulant prouver ma bonne foi à Pia en la conduisant ici, j'étais en train de lui organiser un date avec son ex, dans un cadre idyllique ? Oh non. J'étais si sûr que ça lui ferait plaisir, que j'ai complètement mis de côté le fait qu'Elias et elle ont peut-être partagé des sentiments l'un pour l'autre. Mon ex, c'est ce qu'elle a dit. Aucune autre information, ni sur la durée de leur relation, ni sur son intensité, n'est en ma possession. Quoiqu'il en soit, je ne sens pas ce mec, et pas seulement parce qu'il s'agit de Pia. Derrière ses airs de voyageur intrépide et cool se cache sûrement un homme un peu trop imbu de sa personne. Je frémis en me rendant compte que c'est l'image que Pia a toujours reçue de moi. C'était tellement plus facile de chercher à ce qu'elle m'ignore, à lui lancer des piques, plutôt que de n'être que son ami. Je serre les poings en priant silencieusement pour ne pas me sentir comme la troisième roue du carrosse, ni assister avec horreur à une réconciliation.

Le spectacle qui s'offre à nous me change les idées. Le clapotis de l'eau et les cigales donnent un concert naturel envoûtant, apaisant. La chaleur parait soudain bien moindre lorsque nous nous asseyons à l'ombre des chênes qui bordent la rivière. Celle-ci est assez large, suffisamment pour s'y baigner jusqu'à la taille, mais pas assez pour être dérangé par le courant. L'eau y est claire, si bien que l'on peut apercevoir le sable et les cailloux qui se confondent et forment un tapis gris au fond de la rivière, le tout constituant un tableau harmonieux. Quelques racines sortent de terre, conférant un soupçon de magie au lieu. Onirique, comme dirait Arlo, le poète du groupe. Cet endroit, je l'aime autant que Pia, pour y avoir vécu des journées apaisées en sa compagnie. Le temps s'arrête ici, et mes tentatives de la maintenir à distance disparaissaient presque totalement. Bien sûr, je la taquinais toujours, la poussant à l'eau dès que j'en avais l'occasion. En réalité, je savourais chaque contact. Je suis resté bloqué à l'adolescence, ça craint.

Le silence reste de mise, il faut croire, puisque personne n'ose le rompre. Je me lance, bien décidé à faire pencher la balance de mon côté.

- Tu te souviens des vingt ans de Zoé ?

Pia pouffe de rire, ce qui m'arrache un petit sourire fier.

- Comment tu veux que j'oublie ? Arlo a essayé de fabriquer un harpon pour pêcher, et... Pia s'arrête et sourit béatement, d'un air nostalgique.

La suite, je la connais. Il était tellement saoul qu'il s'était légèrement entaillé le doigt et nous suppliait d'appeler les pompiers. Un pansement et une bouteille d'eau plus tard, il ronflait au fond de son hamac.

Elias semble un peu mal à l'aise, assis au milieu de nos souvenirs. C'était un peu l'effet escompté, je l'admets. Mais je ne veux pas passer pour un connard non plus, alors je change de sujet et propose une baignade. J'imagine que personne n'a de maillot de bain, mais nous nous sommes toujours trempés peu importe les circonstances, habillés, en sous-vêtements, et peut-être une fois ou deux nus, à la nuit tombée. Pia ne me suit pas tout de suite, mais je sens son regard se poser sur les muscles de mon dos alors que je retire mon tee-shirt. Ce simple coup d'œil vaut toute la souffrance endurée à la salle de sport. J'avance de quelques mètres et commence par immerger mes pieds jusqu'aux chevilles.

Je me retourne quand derrière moi, j'entends Elias marmonner quelque chose. Je ne parviens pas à saisir ses propos, mais Pia et lui se lèvent et s'éloignent, s'arrêtant au pied d'un autre arbre. Ils n'ont pas encore dû avoir l'occasion de s'expliquer, et je me dois de les laisser faire, même si je donnerais tout pour voir ce type disparaitre subitement et passer un moment seul ici avec Pia. Une petite voix me souffle que ce n'est pas prêt d'arriver, que je dois regagner sa confiance si je veux espérer ne serait-ce qu'une amitié entre nous deux.

Mais mon regard se fige alors sur la main droite d'Elias, qui s'est posée délicatement sur le cou de mon amie. Je plisse les yeux, observant son pouce qui caresse sa joue, imitant le même geste que moi plus tôt dans la journée. Moins d'une seconde plus tard, Pia a un mouvement de recul, presque instinctif. Mon cœur se serre, fait du yoyo dans ma poitrine, tant que c'en devient douloureux. Au moment où Elias se penche vers elle comme pour l'embrasser, mon corps s'enflamme, et je ne contrôle plus rien. Elle n'en a clairement pas envie, tout son être le crie, elle vient de reculer, putain ! Je sors de l'eau, marchant à toute vitesse dans leur direction.

- Si j'étais toi, je reculerais d'un pas. Même à vingt mètres, j'arrive à voir qu'elle n'en a pas envie, dis-je froidement, une note d'agressivité volontairement présente dans la voix.

Elias se met à sourire. Il est vraiment con, ou quoi ?

- Sans vouloir te vexer, je pense être mieux placé que toi pour savoir ce dont ma copine a envie.

Ses sous-entendus lascifs font bouillir mon sang. Je ne bouge pas. Je ne dois pas bouger.

- Zak, c'est ça ? A la façon dont tu la regardes, je suis certain que tu rêverais d'être à ma place, n'est-ce pas ? Si tu savais ce...

Je n'entends pas la suite. Son petit air suffisant et son sourire en coin ont raison de moi. Zut, j'ai bougé. Enfin, non, pas moi. Mon poing. Il a jailli en plein milieu de sa figure, s'écrasant avec puissance sur son nez. Je n'ai pas pu m'en empêcher, et je vois à l'air horrifié de Pia que je suis mal engagé sur la voie de la rédemption. Elias se tient le nez, le sang se met à couler et je le vois sautiller de douleur. J'ai presque envie de me moquer de lui, mais quand Pia hoche la tête de gauche à droite vers moi en signe de désapprobation, le yoyo de mon cœur s'arrête... et je le sens s'émietter doucement. Elle me déteste.

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