Chapitre 11 - Pia

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☼ Chapitre 11 - Pia ☼

J'ai un peu de mal à croire que je viens de proposer un date... à Zek. Ezechiel. L'homme qui ne me répondait hier soir que par des sourires pincés et des regards perdus au fond de son verre. Je connais son amour pour la bière artisanale, mais tout de même, j'étais loin de penser que douze heures plus tard, j'allais l'égaler sur le podium des centres d'intérêts de Zek. Et puis, est-ce vraiment ça ? Ou bien, une fixette d'adolescent qui refait surface dès que je suis dans le coin ? Impossible à dire. Un frisson parcourt mon corps, lorsque je me rends compte que je n'ai pas la moindre réponse à mes interrogations lorsqu'il est question de Zek. Je sais des choses sur lui, sur sa vie, qui m'ont été racontées par Arlo et Zoé, principalement. Mais j'ignore tout de sa façon de fonctionner. Ça me donne le vertige, quand je pense que j'ai passé une décennie à le voir, souvent, sans jamais réussir à le cerner ni à le comprendre. 

Je regarde autour de nous. Zek est parfaitement immobile, son regard fixe un point au loin, et j'en profite pour le contempler un instant. La courbe de ses cils, son profil parfait. Ses yeux en amande et les traits harmonieux de son visage. Son corps est entouré d'une aura apaisante, d'un cocon invisible un peu mystérieux, quelque chose de calme et d'imperturbable. C'est ce masque de sérénité qui s'est fissuré tout à l'heure, lorsque son poing a embouti le nez d'Elias, ce masque qui s'est craquelé lorsque nous avons discuté ce matin, dans le verger. D'après Arlo, Zek a vécu des choses compliquées étant enfant. Je sais que ses parents n'ont pas été là pour lui, qu'ils lui ont fait payer le fait de ne pas avoir été prévu si tôt dans leur vie. De la violence, physique parfois, mais morale surtout. Je me mords l'intérieur des joues en imaginant un petit bonhomme aux cheveux bouclés avancer seul avec des questions plein la tête, accompagné seulement d'un ennui insensé et d'un désarroi immense que l'on ne devrait jamais avoir à connaitre si jeune. 

J'y réfléchis depuis le lycée. Et je suis à peu près sûre aujourd'hui que tout ça, ce n'est pas Zek. Ce n'est pas vraiment Zek. C'est celui qu'il est devenu, alors que d'autres chemins étaient possibles. C'est le masque de l'ataraxie qu'il porte bon gré mal gré, celui qu'il a glissé sur son visage à peine sorti de l'école maternelle, pour tenir le coup face à ce que la vie lui avait réservé. J'ai envie qu'il sache qu'il y a quelqu'un sous ce masque, parce que je crois qu'il l'a lui-même oublié. 

Tu m'as toujours pas répondu. T'as regardé Fallout, cet été ? 

Un léger sourire se met à flotter sur ses lèvres, et je vois son nez se froncer, presque imperceptiblement. 

— Ouais, c'était cool. Mais c'est pas celle que j'ai le plus aimé, si tu veux tout savoir, me dit-il tout bas. 

Je hausse un sourcil curieux, l'incitant à poursuivre. J'en ai une en tête, et je sens mon cœur battre un peu plus fort juste avant qu'il ne reprenne. 

— One day. Je me suis dit que c'était fou...

— Que tout ait pris tant de temps ? Mais oui ! Il se passe combien de temps avant qu'ils soient enfin ensemble ? Onze, douze ans, non ? Pourquoi est-ce qu'il a fallu que Dex se marie une première fois, sérieux ? C'était juste si évident qu'il...

Je m'interromps, honteuse. Je lui ai coupé la parole de la façon la plus impolie qui soit, alors que je lui avais moi-même posé une question. Je crois qu'il ne m'en tient pas rigueur, si j'en crois son sourire qui s'est élargi.

— J'allais dire la même chose que toi. Que c'était absurde, qu'ils soient passés si longtemps à côté l'un de l'autre, alors qu'ils étaient clairement faits pour être ensemble. C'était même un peu... 

Il hésite, et je tente de compléter sa phrase. 

— Frustrant à regarder ?

Pas de réponse. Mais je n'en ai pas besoin, je sais que c'était ce qu'il pensait. Ses yeux gris me sondent avec une intensité folle, et ce que l'on vient d'échanger se passe également de commentaires. Je ne suis pas sûre qu'on soit encore en train de parler d'Emma et Dex. Une vague de chaleur se glisse au creux de mon ventre, et je suis persuadée que ce sont ses yeux dont la couleur rappelle celle du métal en fusion qui viennent de faire fondre un petit bout de mon cœur. Nous sommes encore dans l'eau, et je me réjouis à ce moment-là de pouvoir cacher mon corps de son regard... ardent. Je ne sais plus où mettre mes bras, ni où poser les yeux, et je ne me rappelle pas de la dernière fois où j'ai été si déstabilisée en présence d'un homme. Même toute l'assurance d'Elias n'a jamais pu m'ébranler ainsi. Pas comme Zek le fait... en m'observant seulement. Je me décide à briser le silence qui s'est installé entre nous. 

— Je... Je n'ai aucune idée de ce que tu fais dans ton temps libre, en fait. Je sais qu'Arlo et toi passez beaucoup de temps ensemble mais j'imagine que tu fais aussi autre chose ? 

Quelque chose de nouveau se met à pétiller dans son regard. Je n'ai pas le temps d'analyser cette étincelle qu'il est sorti de l'eau et commence à se sécher à l'aide de ses mains. Je déglutis péniblement sans toutefois parvenir à détourner les yeux de ce spectacle. Des gouttes d'eau, des muscles saillants et magnifiquement bien dessinés sont présents sur tout son corps. Je m'extirpe à mon tour de l'eau et l'imite, en prenant soin de ne pas regarder dans sa direction, si jamais il était en train de m'observer lui aussi. Et je suis presque sûre que c'est le cas

Une fois nos vêtements retrouvés et enfilés, je me mets à suivre Zek sans trop réfléchir, qui s'est déjà engagé d'un pas décidé sur le chemin du retour. Je soupire en me rappelant que nous n'avons pas d'eau et une heure de marche jusqu'au village. 

Curieusement, même si j'ai déjà fait la route à pied plus d'une fois, cette fois-ci semble différente. Nous marchons vite, et en trois-quarts d'heure, nous arrivons déjà à l'entrée du village. Même si nous n'avons que peu discuté pendant le trajet, mes pensées tourbillonnaient tant que je n'ai pas pu trouver le temps long. 

Je souris en apercevant cette entrée du village. C'est ma préférée. Un petit pont ancien passe au-dessus de la rivière, et l'on est parfaitement orientés pour admirer notre village perché et encastré dans la roche. On dirait presque l'entrée d'un village médiéval fortifié, entouré par une rivière semblable à des douves. Mais, si l'on est ici... 

— Je crois que ça te donnera un petit aperçu, m'annonce Zek calmement. 

J'ai l'impression qu'il me sonde. Le ton de sa voix est à la fois une invitation et une proposition ouverte, il me laisse le choix. Il me dit que je peux refuser, et ça me touche. Mais j'ai rarement été aussi enjouée à l'idée de découvrir l'appartement de quelqu'un. Je suis déjà rentrée chez lui, mais c'était le jour où il a eu les clés, pendant notre année de terminale, il n'y avait donc rien à l'intérieur. Depuis, je n'y ai jamais remis les pieds. À peine moins qu'Arlo ou Zoé, d'ailleurs, qui ont toujours moqué la "caverne impénétrable" de Zek. De mémoire, il me semble qu'il n'apprécie pas plus que ça accueillir du monde dans son petit espace de vie, et je peux le comprendre, vu la surface dont il dispose. Mais, aujourd'hui, je crois qu'il m'ouvre des portes. Celle de son appartement, mais pas seulement. Celle de son cœur, aussi. Je sais que c'est important pour lui, alors, ça veut dire beaucoup pour moi aussi. 

Nous longeons le couloir sombre de sa résidence, nos pas silencieux pesant sur la moquette rouge bordeaux des espaces communs. C'était il y a sept ans, et pourtant, je m'en rappelle comme si c'était hier. Je revois cette porte, tout au bout à droite, s'ouvrir sur ce petit espace tapissé et vieillot qui avait aidé Zek à s'échapper de sa famille dysfonctionnelle. 

Et lorsqu'il pousse la porte d'entrée, je retiens un peu mon souffle. Je fais un premier pas presque symbolique dans son petit salon et je lève les yeux. Oh, Zek. Tu viens de marquer un point. 

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