Chapitre 13 - Pia

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☼ Chapitre 13 - Pia ☼

En quelques minutes seulement, Zoé et moi arrivons chez Arlo. La petite maison de sa grand-mère dégage un charme ancien qui me submerge à chaque fois que je l’aperçois. À peine ai-je poussé la belle porte de bois sculptée qui donne sur l’entrée, que je le vois, debout dans le salon. Zek. Les traits de son visage, qui me paraissaient si doux tout à l’heure lorsque nous observions ses timbres, laissent désormais transparaître un mal-être évident. Il me fixe avec méfiance, et je ne peux réprimer un frisson sous son regard glacial. Mais alors qu’il recule au moment où je décide de m’avancer vers lui, soucieuse de savoir ce qu’il lui est arrivé, je sens quelque chose se briser en moi. L’homme qui se trouve en face de moi n’est pas celui qui m’a ouvert la porte de son appartement douillet, il y a à peine quelques heures. Si Zek m’a proposé de faire… des efforts, il est évident qu’il ne parvient pas à baisser sa garde devant moi, et j’imagine que la présence de nos amis dans la pièce y est pour quelque chose. J’essaye de ne pas faire de conclusions hâtives, et pourtant, je ne peux m’empêcher de ressentir une immense déception. La confiance que j’avais réussi à éprouver aujourd’hui s’effrite un peu, et les mots qu’il prononce sont empreints d’une dureté déconcertante.

— Rien, il exagère. Pia, qu’est-ce que tu fais ici ? Tu as laissé tes invités ?

Je veux retrouver la douceur des mots qu’il m’a adressés à la rivière, chez lui. Le sourire qui flottait sur ses lèvres cette après-midi a disparu.

— J’étais chez Zoé quand elle a reçu le message d’Arlo. Si ça t’embête que je sois là, je peux partir, dis-je sèchement.

Vu de l’extérieur, ça n’a ni queue ni tête. Arlo et Zoé nous fixent, immobiles. Ils ne doivent pas y comprendre grand chose. Après tout, pour eux, rien n’a changé. Et c’est peut-être bien le cas, à bien y réfléchir.

J’attends. Cinq secondes, dix secondes. C’est clair, il ne veut pas de moi ici. Je ravale ma salive, en proie à une colère que je refuse de faire exploser dans cette maison. S’il croit qu’il peut être gentil seulement quand ça l’arrange, alors il se trompe. Peu importe que l’on soit seuls ou pas. Je souffle, déçue, et tourne les talons vers la sortie.

— Pia, attends… chuchote Zek.

Les larmes me montent presque aux yeux, et seule mon envie de comprendre sa réaction désagréable me pousse à rester. Je dois être là pour lui. Même si ça veut dire que je ne comprends pas toujours ce qui le pousse à agir comme il le fait.

— Reste. Je suis désolé. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, j’ai eu un coup de stress sans raison.

Le regard noir qu’il adresse à Arlo m’intrigue, je ne suis pas sûre de savoir ce qu’il signifie.

Avant même que l’on puisse réagir à sa déclaration, Zek se lève d’un bond et nous gratifie d’un sourire forcé que je lui connais bien.

— Vraiment rien de bien grave, Arlo n’aurait pas dû vous déranger. En attendant, on bosse tous demain, et je suis crevé. Je vais rentrer à pied.

Mon cœur loupe un battement. S’il est évident qu’il ne nous a pas tout dit, je ne peux tout simplement pas obtenir les réponses à mes questions ni ici, ni maintenant.

— Je te ramène, clamé-je, et tu n’as pas le droit de dire non.

Zoé me regarde comme si une deuxième tête venait de pousser à côté de la première. Mon ton catégorique m’a moi-même surprise, et il est vrai que je ne propose jamais rien à Zek, en temps normal. Je réagis à ce qu’il me dit, et on se cherche, ni plus ni moins. Je me suis donc préparée à un refus, et pourtant, mon ami ne proteste pas une seule seconde. J’ai dû me montrer assez convaincante… Ou peut-être regrette-t-il déjà ce qu’il m’a dit il y a quelques instants ?

— Je vais rester un peu ici avec Arlo, me prévient Zoé du bout des lèvres.

Arlo acquiesce silencieusement.

Zoé semble presque choquée de la tournure que prennent les événements. Je n’ai jamais ramené Zek chez lui, je crois même qu’il n’est jamais monté dans ma voiture. Tout est accessible à pied autour du village, et les quelques fois où nous sommes partis en vacances ensemble, ce n’était pas ma clio qui remportait l’élection du véhicule le plus adapté. Et pour cause, la capacité du coffre n’aurait jamais pu contenir ne serait-ce qu’un tiers des bagages de Zoé.

— Ça me va si elle te ramène, mec. On se voit très vite, affirme Arlo d’un ton rassurant.

Toujours est-il qu’après de brefs au revoir, laissant Zoé et Arlo un peu perplexes mais plus sereins, Zek et moi nous retrouvons à nouveau seuls, séparés par la simple distance qui existe entre nos deux sièges. Sa respiration est lourde, et sa seule présence suffit à me faire perdre toute cohérence. Mince, j’étais super remontée il y a tout juste cinq minutes, et je n’arrive même plus à savoir pourquoi.

— Je suis… désolé, Pia, souffle-t-il. Ce que j’ai dit… Je t’ai parlé comme si rien ne s’était passé aujourd’hui, et ce n’est pas ce que je veux.

Je soupire, lui adressant un regard contrit.

— Par contre, si on est amis, Zek, il va falloir que tu me laisses t’approcher, même quand ils sont là.

Il acquiesce d’un bref hochement de tête, et son regard gris semble perdu dans le vague au moment où nous arrivons devant son immeuble. Le trajet était ridiculement court, compte tenu de la taille du village où nous vivons, mais je n’aurais pas pu me résoudre à le laisser rentrer seul. Lui qui semble toujours si sûr de lui, imperturbable, j’ai presque du mal à le reconnaître ce soir.

Je tourne la clé, éteignant le moteur afin de lui permettre de sortir de la voiture sans se presser.

— Merci, dit-il doucement.

Ce n’est pas seulement pour le trajet qu’il me remercie, si j’en crois la lueur qui brille au fond de ses yeux. Il doit certainement voir la même ombre danser au fond des miens. C’est cette flamme argentée qui m’attire tel un aimant, qui me rappelle des souvenirs secrets de l’adolescente que j’ai été, il y a presque dix ans.

— Bonne nuit, Pia. À demain.

Je détourne le regard, déstabilisée par l’intensité de sa voix, devenue légèrement rauque.

— Bonne nuit, Zek, chuchoté-je dans un sourire. À demain.

La portière claque dans le silence de sa rue, et je respire enfin. Je sens mon cœur s’emballer, fatigué d’avoir supporté ma respiration saccadée, ou plutôt, la quasi apnée que je viens de lui infliger. C’était quoi, ça ? L’espace d’un instant, j’ai seize ans, et je me revois faire le deuil du crush le plus insensé de ma scolarité. Est-ce que je l’ai vraiment fait ? Est-ce que j’ai vraiment, complètement oublié Zek, depuis ? Non, bien sûr que non. Et puis, ça n’a jamais rien eu d’un crush. Ce qu’il y a toujours eu entre nous me bouleverse complètement. Ce quelque chose abaisse mystérieusement les barrières hautement érigées de ma pudeur, de mon aversion pour le contact physique. J’ai envie de me blottir contre son torse musclé, de passer mes doigts dans ses belles boucles brunes et de caresser chaque parcelle de ce corps qui n’a jamais été pour moi, puisque nous étions à peine de bons amis.

Je m’efforce alors de chasser de mon esprit ces images mentales qui étaient jusque là restées bien rangées dans une boite, dans un coin de ma tête, fermé à double tour. C’est ridicule. Je, suis ridicule. Je n’ai plus seize ans, et Zek m’a fait comprendre depuis bien longtemps que je ne l’intéressais pas. Alors, pourquoi est-ce qu’il lui suffit d’un sourire, d’une excuse et d’une caresse du bout des doigts pour me mettre dans un tel état ?

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