Chapitre 14 - Zek/Pia

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☼ Chapitre 14 - Zek/Pia ☼

Zek

Les jours qui suivent sont rythmés par nos cueillettes et par la chaleur étouffante. Comme je m’en doutais, chaque heure passée en compagnie de Pia me rend la tâche plus ardue qu’elle ne l’était déjà. Qu’est-ce qui m’a pris, d’être sympa avec elle comme j’aimerais vraiment l’être ? D’arranger notre amitié, celle que je sabote volontairement pour ne pas être trop tenté d’aller plus loin ? D’abord, Arlo s’est douté de quelque chose. Ce n’est qu’une question de temps avant que Pia soit au courant, elle aussi.

Au bout d’une semaine, Pia et moi discutons comme nous aurions toujours dû le faire, et je n’arrive plus à m’en passer. Je veille même à rester proche d’elle lorsque nous travaillons, afin de pouvoir continuer à parler entre les pauses.

— Honnêtement ? Oui, j’adore ce que je fais, lui confié-je dans un sourire alors que nous en sommes venus à aborder le métier de fruiticulteur.

— Et ça n’est pas trop dur ? Physiquement, de répéter toutes ces tâches ?

Je hoche la tête de gauche à droite.

— Non. C’est un peu fatigant, surtout l’été, mais j’ai toujours l’impression de décider moi-même de ce que je peux faire, et du moment où je le fais. Et puis, je fais pas mal de sport à côté, ça m’aide, poursuis-je.

Pia croque dans un abricot en écoutant ma réponse, et elle semble hésiter un instant.

— Je vois. C’est vrai que c’est sympa, d’être dehors. D’ailleurs, je vais bouger un peu plus, à partir de septembre. C’est une super occasion mais… je pense que ce sera mon dernier été complet ici, avoue-t-elle.

— Pourquoi, dernier été ? lui demandé-je en sentant un nœud se former sous mon nombril. Tu les passes tous ici depuis que tu vis à Paris.

— Je n’en ai pas encore parlé à Zoé ni à Arlo, lance-t-elle, embarrassée. J'ai fini mes études, comme tu le sais peut-être, et j'ai trouvé un super contrat.

— Dans la traduction, ce qui te permettait de revenir par ici et de bosser à distance, comme tu nous l'a toujours dit ? lui demandé-je, plus inquiet que je ne devrais l’être.

Pia hausse un sourcil, l’air surprise que j’aie retenu ses projets d’avenir. Si elle savait.

— C'était le plan. Mais non, là c'est de l'interprétariat. Beaucoup de déplacements, à l'étranger principalement, à des dates un peu aléatoires. Mais c'est la chance de ma vie, c'est un domaine que j'adore alors…

J’ai arrêté de l’écouter dès les premiers mots, mon regard s'est voilé et il fixe un point dans le vide, derrière son épaule. Je me rends compte que nous n'avons pas bougé depuis plus de trois minutes, et que nous sommes toujours face à face, à quelques centimètres à peine l'un de l'autre. J'ai envie de reculer d'un pas et de respirer un grand coup, mais je n'y parviens pas.

Je ne sais pas ce que j’ai cru, ni quel mensonge j’alimente depuis dix ans. Cette semaine m’a pourtant bien prouvé que je ne pourrais jamais me passer d’elle.

Cet entre-deux ne peut plus durer. J’ai essayé de garder mes distances, je nous ai fait souffrir. J’ai voulu être son ami, et ça n’est pas suffisant. Les craintes qui alimentent mes doutes depuis une décennie entière sont en train de s’envoler avec le peu de bon sens qu’il me reste.

Et si la solution la plus impensable, était en fait la plus évidente de toutes ?

Pia

Le regard de Zek s’est assombri dès que j’ai abordé mon départ pour l’étranger. Son expression pensive a figé son visage pendant de longues secondes. Cette semaine, nos discussions se sont intensifiées, les piques acerbes ont fini par disparaître et j'ai l'impression, pour la première fois, d'être rentrée dans la bulle de Zek. C’est indéniable, j'ai envie de voir ce qui s'y cache. Qui s'y cache.

— Tu te rappelles de la seconde, Pia ?

Mon prénom dans sa bouche fait sauter un battement à mon cœur, pour la simple et bonne raison qu'il ne le prononce presque jamais lorsqu’il s’adresse à moi. Je le sais, car je l’ai déjà remarqué par le passé. C'est bizarre, ça me surprend, et à la fois... Je trouve que ça sonne bien. J'acquiesce silencieusement en guise de réponse à sa question.

— On s'entendait bien, au début. Tu ne t'es jamais demandée pourquoi ça avait changé ?

Je tressaille. Je sais pertinemment de quoi il parle. Je pensais qu'il ne s'en rappelait pas, ça avait duré deux semaines, tout au plus. A l'origine, Zoé, Arlo et Zek se connaissaient depuis l'enfance, et je m'étais liée d'amitié avec Zoé au collège. J'étais un peu la pièce rapportée dans leur trio déjà soudé, presque fraternel, lorsque nous nous sommes retrouvés tous les quatre dans la même classe au début du lycée.

Mais Zek a raison sur ce point. Les premières semaines, nous nous sommes découverts beaucoup de points communs. J'en étais alors venue à questionner mes sentiments pour lui, tant nous nous étions si rapidement rapprochés. Après tout, à cet âge-là, le cœur s'emballe tous les trois jours, j'avais vite compris qu'il n'était pas intéressé lorsqu'il avait adopté cette attitude froide et distante à mon égard du jour au lendemain.

— Non, pas plus que ça... Je me suis dit que je t'avais agacé. J'avais dû trop parler, comme d'habitude, marmonné-je, ou te raconter trop d'anecdotes sur les One Direction, puisque je savais que tu les détestais. Ça m'amusait beaucoup à l'époque.

Ma tentative d’humour tombe à plat. L'air est électrique, comme si un nuage gris s'était formé au-dessus de nous, enveloppant nos corps d'une chaleur lourde et étouffante. Ezechiel plonge son regard dans le mien. Son regard de métal en fusion, qui me fait tout à coup me sentir toute, toute petite. Je ne lui laisse pas le temps de répondre et j'enchaine d'un ton calme, étonnamment ferme, ce qui me surprend un peu.

— Où veux-tu en venir ?

— J'avais eu le temps de goûter à notre amitié, Pia. Et j'étais à peu près sûr que je n'en voulais pas.

Merci, Sherlock. Toujours aussi aimable. Je roule des yeux et m'apprête à couper court à notre discussion en me concentrant à nouveau sur ma cueillette. Puisqu'il veut jouer à ça, autant se remettre à bosser, on a déjà perdu assez de temps. Mais, à peine ai-je le temps d'ouvrir la bouche que je la referme aussitôt, ébranlée par ce que j'entends au même moment.

— J'en voulais plus.

Ses mots ont glissé le long de mon corps. Je me dis que si je baissais la tête, là, maintenant, je les retrouverais à mes pieds sous la forme d'une petite flaque de lettres. Le temps s’est arrêté, et l’espace d’un instant, j’ai seize ans. Je vais changer d’avis, oser aller voir Zoé et lui avouer que son ami Zek me plait… vraiment. Et puis je respire, et le temps reprend son cours.

Je ne parviens pas à lui répondre, tout me parait si incohérent. Comme s'il lisait dans mes pensées, Zek répond à ma question silencieuse. Je sens à sa voix éraillée que ces mots étaient coincés en lui depuis un certain temps. Depuis dix ans ?

— J'adore ce qu'on a avec Zoé et Arlo. Je préférais qu'on reste tous amis. C'était beaucoup plus simple et moins risqué.

Je tombe des nues, alors je ne peux m'empêcher d'accompagner ma réponse d'un petit rire nerveux.

— Ok, imaginons que tu ne sois pas encore en train de te payer ma tête. Ça fait dix ans, Zek. Pourquoi est-ce qu'on s'entend toujours aussi mal alors que…

Je m’interromps. Et merde. J’arrête presque de respirer. Zek est impassible.

— Ça m'aide à tenir, Pia.

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