Chapitre 17 - Zek
☼ Chapitre 17 - Zek ☼
La sonnerie du réveil m'extirpe d'un sommeil peuplé de rêves dans lesquels je retrouve toujours la même chevelure blonde et son parfum sucré. Les boucles dorées de Pia caressent mes joues, mon cou et mon torse... je referme les yeux un instant, mettant de côté la légère gêne que je ressens, avec l'espoir de replonger dans cette douce illusion. Je grogne ma frustration et me lève, trop éveillé pour pouvoir me rendormir ne serait-ce que quelques minutes. Il n'est que six heures, mais mon corps s'est déjà habitué à ces réveils matinaux. La cueillette n'attend pas, et si nous voulons éviter les heures les plus chaudes de la journée, alors il faut commencer le plus tôt possible. Nous. Pia et moi, pour le moment, car les saisonniers n'arriveront au verger qu'en début de semaine prochaine. Ces derniers jours sont passés à une vitesse phénoménale. Après notre première journée pour le moins chaotique, qui a failli tourner à la catastrophe chez Arlo, Pia m'a déposé devant mon immeuble, et il m'a fallu lutter contre l'envie irrépressible qui me hurlait de l'embrasser et de la faire monter chez moi. Le pire dans tout ça, c'est que je crois qu'elle m'aurait suivi. Après tant d'années à la désirer secrètement, je pouvais enfin l'avoir, et je n'ai rien fait. Une petite partie de mon être m'a intimé de prendre mon temps, parce qu'il est hors de question de précipiter les choses et de tout foutre en l'air maintenant. Je crois que j'ai bien fait de l'écouter.
Les trois jours qui ont suivi ont été absolument exquis. Nous ne nous sommes pas vus en dehors de nos journées au verger, mais à chaque pause, nous nous installions à l'ombre d'un abricotier, prolongeant nos discussions et rattrapant le temps perdu avant de reprendre notre effort à contrecœur. Nos sujets de conversation vont de sa vie à Paris, à ses envies de revenir vivre à la campagne. Je la sens tiraillée entre son souhait de développer une carrière dans un domaine qui lui plait, et la tranquillité apaisante qu'elle aime retrouver lorsqu'elle est là. Au fond, je donnerais tout pour qu'elle revienne s'installer ici. Définitivement. Mais je lui dis de prendre son temps pour y réfléchir, et de profiter de cette opportunité incroyable qu'elle a reçue, parce que c'est pour son bien, parce qu'elle peut revenir quand elle veut le reste du temps... Même si ça me fend le cœur.
De mon côté, j'ai réussi à lui parler de mon voyage en Nouvelle-Zélande. Ses yeux se sont agrandis sous l'effet de la surprise, lorsque je lui ai annoncé être parti seul. Elle a tout voulu savoir, de mes hébergements à mes randonnées, des plats que j'ai goûtés aux personnes que j'ai rencontrées. Ce n'était pas seulement par politesse. Son sourire sincère, son ton enjoué, tout m'indiquait que son intérêt était réel. Son intérêt pour moi, pour les choses que j'ai vécues. Je me suis senti pousser des ailes, et la flamme que je fais brûler pour elle au fond de moi, que je suis parvenu à contenir toutes ces années, commence à me consumer de l'intérieur. J'ai besoin de plus.
J'avale mon petit-déjeuner en quelques minutes, glissant ensuite quelques fruits secs et une poignée d'amandes dans mon sac pour profiter d'une pause un plus longue tout à l'heure. Ce soir, le weekend commence, et à partir de la semaine prochaine, nous ne serons plus seuls au verger. Il me faut absolument trouver un moyen de la voir avant lundi, au risque de voir mon courage s'évaporer aussi vite qu'il est arrivé. Notre premier date d'il y a trois jours n'en était pas vraiment un, même si les moments que nous avons passés à la rivière et chez moi ont indubitablement amorcé quelque chose entre nous.
Après à peine dix minutes de vélo, j'arrive sur le parking des Jolisfruitiers, au même moment que Pia, à en croire la portière qu'elle referme à peine derrière elle. Elle se retourne au tintement de ma sonnette, et me gratifie d'un immense sourire. Elle a attaché ses beaux cheveux ondulés, et je la contemple une seconde de trop, silencieux et un peu trop stoïque, comme à mon habitude.
— Tout va bien ? me demande-t-elle, intriguée.
Je souris à mon tour. Est-ce qu'elle a remarqué que je la dévorais du regard ? Mon esprit s'égare un instant vers les rêves qui m'ont habité cette nuit, et je me surprends à ressentir une chaleur inhabituelle sous mes pommettes. Putain, je suis en train de rougir ? C'est sûr qu'elle va le remarquer, il fait à peine jour et le soleil est tout juste levé, je ne peux pas prétexter un coup de chaud maintenant. Et puis merde. Quitte à vivre un moment gênant, autant tenter le tout pour le tout maintenant.
— Ça va, oui. Ça te dit de m'accompagner au restaurant demain soir ?
C'est quoi cette formulation de merde ? On dirait que je vais au restaurant seul tous les samedis soirs, et que cette fois-ci, je lui demande de venir avec moi. En plus, il n'est que sept heures du matin, je dois avoir l'air complètement désespéré. Les mots se sont bousculés sur le bout de ma langue, et, si je n'ai pas l'air complètement fou, c'est seulement grâce à ma mine impassible et à cette habitude moyennement saine de tout garder pour moi, sentiments y compris. Pour une fois, ça me permet d'avoir l'air à peu près normal. Elle doit même croire que je suis tout à fait confiant. Si elle savait.
— Avec plaisir, répond Pia dans un sourire. Où est-ce que tu m'emmènes ?
Pris de court par sa réponse affirmative et rapide, je m'efforce de répondre de façon cohérente.
— Tu verras demain, non ? C'est une surprise, finis-je par dire, soulagé d'avoir enfin trouvé les bons mots.
Elle acquiesce, et sans plus tarder, nous nous mettons au travail. Les premières heures de la journée passent rapidement, et nous parvenons à discuter un peu pendant la cueillette. À l'heure de la pause, deux heures plus tard, je sors le petit sachet contenant les collations que j'ai préparées avant de partir. Je glisse une amande entre mes dents, satisfait de notre avancée en ce début de journée.
— On a bien bossé, c'est cool. Si on avait pas besoin de plus de main d'œuvre, j'aurais été content de terminer la saison avec toi. On fait une super équipe, dis-je en regardant Pia du coin de l'œil.
Ces quelques jours passés ensemble ont débloqué un tas de choses qui étaient restées cachées derrière le secret de mes sentiments. J'arrive enfin à avoir une conversation normale, si ce n'est chaleureuse avec Pia, et bordel, ça me fait un bien fou.
— Je suis d'accord, répond-elle distraitement.
Je fronce les sourcils, troublé par cet air perturbé qui s'est installé sur son visage.
— Écoute Zek, il faut que je te demande un truc. C'est un peu bête mais... Zoé m'en a parlé et depuis... Je sais pas, ça me tracasse.
Je hoche la tête, laissant s'installer le silence afin qu'elle poursuive à son rythme. Pour autant, mon cœur s'est mis à battre plus fort, et plus vite, aussi. Qu'est-ce que Zoé pourrait bien lui avoir raconté ?
— Elle m'a dit que tu voyais du monde le weekend, marmonne-t-elle. Non pas que ce soit mes affaires, ou que tu doives me le dire d'ailleurs... Si ça t'embête, ne réponds pas, c'est ok.
Je dois avoir l'air bête, puisque je continue à la fixer sans rien dire. Pourquoi est-ce que je ne lui répondrais pas, d'ailleurs ? Je n'y comprends rien.
— Non, pourquoi ça m'embêterait ? Tu sais, à part Zoé et Arlo, je ne vois presque personne.
Mon amie s'agite un peu, elle paraît légèrement nerveuse.
— Laisse tomber, grommelle-t-elle, Zoé a juste mentionné que tu passais parfois des weekends... heu... mouvementés. Ça va te paraître ridicule, mais j'ai besoin de savoir si tu penses continuer maintenant que... enfin, cet été quoi.
Ses joues rosissent à vue d'œil. Oh. Qu'est-ce que Zoé est allée raconter à Pia, exactement ? Sérieusement, je l'adore, mais cette fille est une experte dans l'art de me compliquer la vie. Elle sème de petits obstacles partout, puis attrape un paquet de popcorn et regarde l'action se dérouler sous ses yeux.
— Pia, lui dis-je d'un ton rassurant, je ne sais pas ce que Zoé t'a dit, mais crois-moi, j'ai autre chose à faire qu'aller à des concerts tout seul le weekend, surtout en pleine saison estivale.
Son regard, qu'elle avait détourné pour cacher cette drôle de gêne, se reporte à nouveau sur moi. Je bois une gorgée d'eau que je peine à avaler en entendant sa réponse immédiate.
— Hein ? C'est quoi cette histoire de concerts ? Et les plans cul dans tout ça ?
Je plisse les yeux, réprimant un sourire. J'ai du mal à croire que Zoé soit vraiment si naïve. À moins... Qu'elle l'ait fait exprès ? Toujours est-il qu'entendre Pia exprimer une jalousie si évidente à mon égard me fait quelque chose.
— Ça, c'est ce que je lui raconte pour qu'elle arrête d'essayer de m'arranger des coups avec les clientes, ricané-je doucement. Tu me voyais vraiment faire ça, Pia ?
Ma voix est devenue plus grave, légèrement éraillée. J'ai presque du mal à cacher mon excitation, cette conversation est en train de prendre un tournant inattendu mais pas franchement déplaisant.
L'embarras a laissé la place au défi au fond des yeux de Pia. Est-ce qu'elle est rassurée ? Je l'espère. Je veux qu'elle le sache. Je suis à elle, je l'ai toujours été.
— Honnêtement ? Tu aurais pu. Avec ce corps, les candidates ne doivent pas manquer, souffle-t-elle en rapprochant son visage du mien.
Je rêve, ou Pia est en train de me faire du rentre-dedans ? Peu importe ce que c'est, ça marche. Les papillons qui vivent au creux de mon estomac se sont mis à boxer subitement. J'ai envie de l'embrasser. J'ai envie de l'embrasser si fort que je me retiens, parce qu'il faut que ça vienne d'elle. Il faut que ce soit elle qui décide de notre premier baiser. Je ne m'en remettrais pas si jamais elle me repoussait. Je préfère encore m'abstenir, plutôt que d'essuyer un refus. C'est peut-être stupide, mais je m'en fous, je veux et je dois prendre toutes les précautions du monde lorsqu'il s'agit de Pia. Alors je lui souris, nos visages à quelques centimètres à peine l'un de l'autre, contemplant les filaments dorés qui semblent brodés à l'intérieur de ses iris verts. Et je la laisse décider.
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