Chapitre 18 - Pia
☼ Chapitre 18 - Pia ☼
Zoé va m’entendre, si je viens vraiment de passer trois jours à psychoter pour rien à propos de la possibilité que Zek disparaisse avec un de ses plans cul fictifs ce weekend. La jalousie que j’ai ressentie en premier lieu s’est intensifiée un peu plus chaque soir. Et pour cause, les journées que nous avons passées ensemble se sont révélées être… réconfortantes. Un retour vers le passé, un soupçon de regret, une multitude de sentiments flous qui ont fait déborder mon cœur d’une manière tout à fait inconnue. Il était là, tout ce temps. Il m’attendait en silence, et je n’ai rien fait non plus, parce que je croyais dur comme fer à l’indifférence qu’il feignait. Je ferme les yeux, consciente d’être passée à côté d’une partie de ma vie. Pour autant, des pensées redoutables s’insinuent en moi depuis le début de la semaine, si bien que je commence à avoir du mal à les réfréner. Il n’a pas été mon passé ? Très bien. Il sera mon futur. Ça me paraît absolument évident, et à la fois, ça ne fait aucun sens. On a beau se connaître depuis dix ans, ça ne fait que quelques jours que nous nous sommes véritablement rapprochés. C’est trop rapide… et trop lent en même temps. Il m’a manqué sans que je ne m’en rende compte, et tout est en train de me revenir en pleine face. Le poids de nos secrets, de notre attirance, aussi.
Assis à l’ombre d’un abricotier pour récupérer de cette première partie de matinée, je me surprends à observer Zek, une fois de plus. Son teint hâlé m’hypnotise complètement. Les reflets dorés sur ses bras, la fine couche de sueur qui recouvre son front, et ses clavicules saillantes que j’entrevois sous le col de son tee-shirt. Notre conversation vient de prendre une tout autre dimension, et notre proximité soudaine ne fait qu’amplifier l’énergie nouvelle que je sens circuler entre nous. Est-ce que je viens de me rapprocher de lui tout en lui disant qu’il doit avoir du succès auprès des femmes ? Je n’en crois pas mes oreilles. C’est bien trop osé pour le stade de notre relation, et puis, où en est-elle, d’ailleurs ? Comment est-ce qu’on appelle deux personnes qui ont été plus ou moins amies pendant toute une décennie, et que l’un des deux révèle des sentiments bien cachés à l’autre, qui en ressentait peut-être aussi, tout compte fait ? Stop. Il n’y a aucune raison de chercher à tout comprendre, à tout analyser, quand la seule vérité se trouve sur les lèvres si joliment dessinées de celui pour qui mon cœur s’est toujours un peu trop emballé, même quand je choisissais de l’ignorer.
J’avance une main hésitante vers la joue de Zek, et je fonds lorsque son regard brûlant remonte de mes doigts jusqu’à mes lèvres. Je n’y tiens plus. Je me mets à genoux, et prends son visage en coupe, effleurant de mes paumes sa barbe courte et soigneusement taillée. Il parcourt mon corps dans ses moindres détails, comme pour tout garder en mémoire, pour ne jamais l’oublier. Ses yeux dévalent mes courbes et je me sens si belle, happée par son désir, que je n’ai même pas senti ses bras se glisser autour de ma taille. Encore une fois, à son contact, je ne ressens ni gêne, ni embarras. Au contraire, je rêve de me blottir contre lui, de retrouver les sensations qui m’ont envahie lorsque nous nous sommes enlacés, lundi, après notre première discussion. Sauf que cette fois… Je ne pense pas pouvoir m’arrêter là.
— Tu sais, quand tu m’as dit que tu en voulais plus ? chuchoté-je, pantelante.
Il hoche la tête de haut en bas, attentif et silencieux.
— Est-ce que tu me laisserais… t’en donner plus ?
Ma voix s’est éteinte dans un murmure. Une petite partie de moi craint qu’il n'ose pas faire tomber ces barrières, ces règles qu’il s’était promis de ne jamais transgresser… et l’autre ne parvient même plus à raisonner, au moment où il acquiesce à nouveau.
En une fraction de seconde, j’ai levé ma jambe gauche et me suis retrouvée à califourchon sur ses cuisses, à cheval entre sa peau nue et son short de sport. Enivrée par cette proximité, je m’avance encore davantage, pressant mon bassin contre le sien. Tous mes sens sont en alerte, et pourtant, je ne vois ni n’entends rien en dehors de nous, de notre bulle. Même la chaleur semble s’être évanouie. Le chant des cigales parvient à mes oreilles en un son étouffé, recouvert par les battements de mon cœur qui pulse sans ralentir. Zek me laisse prendre les rênes, même si je sens l’effort surhumain que cela lui demande. Il en crève d’envie, son souffle chaud contre le mien est empreint d’une urgence presque palpable.
Je laisse quelques secondes s’écouler, savourant la réalité éblouissante de ces quelques instants, qui précèdent l’intensité de ce que nous nous apprêtons à vivre. Mes lèvres s’étirent en un sourire au moment où je les laisse enfin se poser sur les siennes. Boom, boom, boom.
Tout s’accélère. Ce premier baiser, notre premier baiser me transcende. Une chaleur que je croyais connaître crépite dans le bas de mon ventre, seulement, elle n’a jamais été aussi ardente. Et pour cause, Zek me rend mon baiser avec passion. Avec amour. Ses lèvres sont douces, elles caressent et agrippent les miennes avec une pression parfaite. Je suis complètement envoûtée par son contact, et la seule chose que je parviens à faire, c’est entrouvrir un peu plus mes lèvres pour laisser nos langues se rencontrer. Je ne veux plus jamais faire autre chose. Je veux Zek, je veux l’embrasser jusqu’à la fin de l’été, à l’ombre de chacun de ces abricotiers.
Notre baiser prend fin, et nos regards s’accrochent alors que ses mains suivent la courbe de mes hanches pour venir se poser en bas de mon dos. Une pression exquise s’est accumulée à l’endroit où je me suis assise, son érection calée entre mes cuisses. Je pourrais tout aussi bien vivre ces choses pour la première fois tant elles me parcourent avec force. Les fines couches de tissu qui nous séparent ne suffisent pas à calmer le désir qui m’habite à cet instant, et je passe mes mains sous son tee-shirt, avide de plus de contact.
— Tu es magnifique, me souffle-t-il au creux de l’oreille. Si tu savais combien de fois j’ai rêvé de pouvoir te tenir dans mes bras…
Sa confession m’arrache une frisson de plaisir, et nous nous embrassons encore. Une fois, dix fois, si bien que j’en perds le compte, et la notion du temps. La chaleur du soleil qui s’est déplacé a déjà commencé à laisser une marque rouge sur mon bras exposé. Un bref coup d’œil vers le ciel me permet de confirmer qu’il doit être onze heures, si ce n’est plus.
— On devrait peut-être aller manger ? proposé-je timidement.
Zek me répond par un sourire en coin. Il sait aussi bien que moi que si nous nous retrouvons dans l’arrière-salle tous les deux, ce n’est pas sur nos sandwichs que nous allons nous jeter. Je mords ma lèvre inférieure, réchauffée par nos baisers. Au point où nous en sommes, je ne crois pas avoir envie de refuser quoi que ce soit qui pourrait se produire dans cette petite pièce. Même la possibilité de l’arrivée d’un client ne parviendrait pas à endiguer le désir que je ressens à cet instant.
Je me relève doucement, presque chancelante à cause de la posture dans laquelle j’étais… et surtout de la personne sur laquelle j’étais assise, finalement. Je passe une main légère dans les boucles brunes qui parsèment son front, émue.
— J’ai toujours eu envie de faire ça, murmuré-je. J’adore tes cheveux.
Je rougis à l’instant où ces mots franchissent mes lèvres, honteuse. J’adore tes cheveux, c’est vraiment ça qu’on dit à son crush de lycée qu’on vient d’embrasser langoureusement ? Si on a moins de dix-huit ans, ça passe peut-être. Mais là ? Heureusement, Zek ne m’en tient pas rigueur. Une sensation doucereuse m’envahit lorsque je repense aux remarques acerbes que l’on s’échangeait régulièrement il y a encore quelques mois. Ce qui est en train de nous arriver s’est construit là-dessus, et j’espère que nous n’y reviendrons jamais.
— Je te donne le droit d’y passer la main quand tu veux, mia cara, me répond-il en attrapant mon poignet.
Ce ne sont que deux petits mots, mais ils font palpiter mon cœur aussi fort que ses lèvres sur les miennes. Mia cara. Ma chérie. De toutes les choses qui nous ont séparés au fil des années, cette langue n’en fait pas partie. Celle de ses parents, dont il ne parle jamais, mais qui lui ont laissé cet héritage linguistique. J’espère qu’il parvient à les dissocier de cette si jolie langue, celle que ma grand-mère maternelle m’a apprise en me la parlant chaque weekend depuis ma naissance. Il sait que je la comprends, que je la parle aussi bien que lui, même si nous n’en avons jamais discuté. Ce petit pont qu’il vient de bâtir entre nous alimente encore un peu plus le feu qui brûle au fond de moi.
Je ne réponds pas, mais mes yeux brillants d’émotion doivent certainement parler pour moi. Sans un mot, nous nous dirigeons à pied vers le tracteur, puis vers l’accueil et sa petite arrière-boutique, emportant nos affaires et y laissant nos premiers baisers que je pourrais presque voir flotter sous l’abricotier. De petits nuages de bonheur, comme une vapeur que l’on aurait enfin décidé de laisser s’échapper. À cet instant, je ne suis pas à quatre mois de mes vingt-cinq ans. Je m’apprête à fêter mon seizième anniversaire, et je crois que je suis amoureuse. Mais cette fois-ci, Zek m’a laissée entrer.
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