Chapitre 19 - Zek
☼ Chapitre 19 - Zek ☼
Mon cœur palpite à une vitesse presque inquiétante. Comment pourrait-il en être autrement ? Après avoir passé tant de temps à imaginer cet instant, cette vie à côté de laquelle je suis passé… Un baiser. Non, pas un. Des centaines de caresses de sa peau sur la mienne, la chaleur qui s’est immiscée dans mes joues et qui menace de ne plus les quitter. Pia m’a demandé si elle pouvait m’en donner plus. C’est elle qui me l’a demandé. J’ai tenu bon jusque là, je l’ai laissée faire le premier pas. Et maintenant que les limites que je me suis toujours imposées sont franchies, je ne m’arrêterai plus. Jamais. Au diable les pires scénarios, les réactions horrifiées d’Arlo et de Zoé qui n’existent qu’au fond de mes pensées. Le semblant de conversation que l’on a eue tous les deux lundi me l’a d’ailleurs bien prouvé, ça n’a jamais existé ailleurs que dans ma tête. J’avais si peur de les perdre, que j’ai déformé toutes leurs intentions vis-à-vis de moi. Je ne préfère même pas y penser, quand je sais que je vais quand même avoir toutes les peines du monde à leur annoncer ce qui est en train d’arriver… Et puis, merde, je m’avance peut-être beaucoup trop. Peut-être que ce moment que nous venons de partager n’a pas la même importance pour elle que pour moi. C’est même sûr. J’ai été son pire ami pendant tant de temps. Est-ce qu’un déclic et une semaine de bonté pourraient vraiment effacer des années de connerie ? Pia a peut-être envie de s’amuser une dernière fois avec moi, avant de partir, loin, longtemps. Et je ne pourrais même pas lui en vouloir. Ça me tuerait. J'essaierai de la retenir, d’abord, puis j’en crèverais.
Maintenant que je connais le goût de sa peau, celui de ses lèvres… C’est foutu. Je ne pourrais plus jamais m’en passer. Ma main encercle encore son poignet, tandis que nous nous dirigeons vers la boutique. J’ai la tête dans les nuages. La chaleur et les effluves de son parfum m’enivrent totalement. Il pourrait se passer n’importe quoi, je serais à peu près certain d’être à côté de la plaque si quelqu’un essayait de communiquer avec moi maintenant.
Alors que nous nous rapprochons du bâtiment principal, je me raidis en apercevant un véhicule garé à côté de la clio de Pia. Et merde. Je reconnais immédiatement le C15 de Zoé, avec lequel Arlo et elle ont dû partir ce matin. Qu’est-ce qu’ils foutent déjà ici ? Pia semble avoir remarqué mon agacement, puisqu’elle retire sa main de mon étreinte pour venir la loger au creux de la mienne, et je sens qu’elle l’enserre doucement.
— Eh, ne t’inquiète pas, me sourit Pia. Je ne pars pas tout de suite, on aura tout le temps qu’on veut… Je crois me rappeler que tu m’as invitée quelque part, demain ?
Elle est tout ce dont j’ai toujours rêvé, et sa gentillesse suscite chez moi une admiration sans bornes. Je sais qu’elle aurait pris la route depuis Paris sans hésiter si j’avais eu un problème, et ce malgré notre relation conflictuelle ces dernières années. Elle est juste incroyable. L’optimisme à mon pessimisme. Je n’ai plus qu’à croiser les doigts pour ne pas la faire fuir.
Je lui souris en retour, apaisé par ses paroles et son ton calme.
— Tu as raison. J’espère juste que tu ne comptes pas me poser un lapin maintenant que… enfin, tu sais.
Maintenant que quoi, Zek ? Que tu l’as embrassée langoureusement sous un arbre, et qu’elle connait toutes tes intentions ? Je me rends compte que nous n’avons presque pas parlé depuis que nous avons commencé cette… pause. Ce n’était pas la peine. Chaque geste était empreint d’un mélange de douceur et d’excitation qui n’avaient rien à envier à un long discours, et je suis presque certain que Pia a ressenti toutes ces choses, elle aussi.
— Vraiment, Zek ? Tu n’es pas le seul à avoir gardé des choses pour toi, tu sais.
Je plisse les yeux. Si cette phrase a le sens que je lui donne, il faut que j’en sois absolument certain. Sinon, ça risque de m’obséder complètement.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ? lui demandé-je.
Pia hésite. Sa petite moue timide m’attendrit, mais je ne veux pas la déstabiliser en le lui montrant.
— Je… Tu as toujours été plus qu'un ami à mes yeux, Zek. Tu crois que c'est seulement ce que tu m'as dit lundi, qui me fait faire tout ça ?
Je hausse les sourcils. Je n'y avais jamais songé. Je savais ce que je ressentais, mais, enfermé dans ce mutisme, je ne m'étais jamais risqué à demander à Pia son ressenti vis-à-vis de moi. Je passe une main dans mes cheveux, pesant les mots que je m’apprête à prononcer.
— Peut-être pas, non… Je t’avoue que je n’y avais pas pensé. J’ai l’habitude qu’on me trouve silencieux, effacé et même un peu bizarre, tu sais. Je me suis certainement dit que c’était ce que tu pensais aussi.
Son regard s’est durci, je le sens à ses iris verts qui me transpercent de part en part. Ses longs cils se sont abaissés, formant un fin rideau devant ses yeux.
— N’importe quoi, rétorque-t-elle.
Elle retire sa main de la mienne, et place ses poings sur ses hanches. Elle aurait presque l’air énervée, si je ne la connaissais pas si bien. Je ne l’ai encore jamais vue en colère. Agacée, bien sûr, mais je me demande si elle a déjà senti la rage brûler au fond de sa poitrine. Celle qui me submerge, parfois, lorsque je perds le contrôle et le masque stoïque que je porte pour oublier les choses de mon passé auxquelles je ne préfère pas penser.
— Je ne vais pas te mentir, Zek. Tu t’es comporté comme un connard avec moi, poursuit-elle. J’ai souffert du peu d’attention que tu m’accordais, quand je te voyais si proche d’Arlo et de Zoé. Je me sentais indigne de ton amitié, et ça m’a vraiment minée.
Je baisse la tête et serre les dents. Je le sais, pourtant. C’était la solution la plus égoïste, et c’est celle que j’ai choisie. Mais l’entendre de sa bouche ? Ça me fait mal au cœur. Physiquement.
— Mais…
Mon regard remonte le long de son corps. Elle va vraiment prendre ma défense maintenant ? Je ne la mérite pas. J’espère qu’elle ne le sait pas.
— Mais tu sais pourquoi ça m’a fait tant de mal ? Parce que t’es un gars incroyable, Zek. J’étais triste de ne pas avoir cette place-là dans ton cœur, parce que tu es un ami en or. J’enviais Arlo et Zoé d’avoir su gagner ta confiance. Et ton amour. Parce que tu les aimes tellement, je voulais… que tu m’aimes bien, moi aussi.
Elle inspire profondément, jetant un œil au vieux tacot de Zoé, garé quelques mètres plus bas.
— Tu te rappelles du jour où Vic est mort ? Ce que tu as fait pour Zoé… Je crois que ni Arlo, ni moi n’aurions pu en faire le quart.
Je hoche la tête, ému. L’année dernière, Zoé a perdu son chien, celui qui partageait sa vie depuis qu’elle avait dix ans. Évidemment, ça l’a complètement dévastée.
— J’ai essayé d’être là pour elle, comme n’importe quel ami l’aurait fait, murmuré-je.
— Ne minimise pas, Zek. Tu ne lui as pas dit qu’il avait eu une belle vie, comme on l’a tous fait, parce qu’on ne savait pas comment l’aider. Tu lui as offert un carnet, des photos de Vic à coller, de quoi décorer chaque page, tu l’as aidée à faire son deuil. Et les balades que tu l’as emmenée faire, celles qu’elle faisait avec lui ? Elle m’a raconté, tu sais. Elle t’en sera reconnaissante toute sa vie, et moi aussi.
Sa voix s’est éteinte sur les derniers mots. Elle est au bord des larmes. Les miennes sont là, aussi, quelque part à l’intérieur. Et même si elles ne couleront pas, j’ai à tout prix besoin d’essuyer les siennes. Mes mains s’avancent lentement vers ses pommettes rosies, et mes doigts sont parcourus d’une petite décharge électrique à leur contact.
— Pardonne-moi, Pia. Pour tout. D’avoir été si bête, d’avoir cru que tu resterais toujours, et que je pourrais t’aimer en secret toute ma vie, en oubliant que ça t’impactait aussi. Je suis désolé.
Et je le pense si fort. J’espère qu’elle n’a pas entendu le mot “aimer” en plein milieu de ma phrase. Elle va partir en courant. C’est sûr qu’elle l’a entendu, pitié Pia, reste.
Elle ne semble pas avoir l’intention de bouger. Jusqu’au moment où elle le fait. Mais, elle ne s’enfuit pas, non. Elle m’imite, plaçant ses mains sur mes joues, et mon rythme cardiaque s’accélère, comme si c’était encore possible. Et elle m’embrasse. Encore. Notre baiser est doux, mais surtout, il veut dire quelque chose. Je te pardonne.
— Hé Arlo, j’ai des madeleines dans la voiture, t’en veux une… Mais, c’est quoi ce bordel ?
Je me fige. Pia s’éloigne de moi en un éclair, nos mains s’écartent des joues qu’elles caressaient une seconde auparavant. Mais c’est trop tard, à en croire l’expression horrifiée qui a pris place sur le visage de Zoé. Ok, peut-être que cette réaction n’existait pas uniquement dans ma tête. Ça craint. Elle a l’air super en colère, et j’ai envie de disparaître sous terre. Je jette un regard vers Pia, qui a l’air tout aussi gênée que moi. Qu’est-ce qui nous a pris, de faire ça ici ? Et surtout, pourquoi est-ce que Zoé a surgi de nulle part pour… récupérer des madeleines ? On n’aurait pas réussi à se faire prendre d’une façon plus ridicule si on avait essayé. Finalement, c’est peut-être moi qui vais partir en courant.
Pour couronner le tout, Zoé parcourt la trentaine de mètres qui nous sépare d’elle. Elle marche vite, trop vite.
— C’est une blague ? Vous bossez une semaine ensemble et vous vous sautez déjà dessus ?
Zoé dit tout. Tout haut, tout fort, et c’est ce qui la caractérise, en plus de toutes ses incroyables qualités, évidemment. Elle prend souvent les choses à la rigolade, et j’ai espéré jusqu’à la fin de sa phrase que ce soit complètement ironique, comme d’habitude. Jusqu’à ce que je vois une lueur enflammée dans ses yeux, celle que je pensais ne jamais avoir vue chez Pia. La lueur d’une rage sourde et incontrôlée.
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