Chapitre 23 - Zek/Pia
☼ Chapitre 23 - Zek/Pia ☼
Zek
— Pia, soufflé-je contre sa bouche, je te jure que je pourrais faire ça toute la journée, mais…
Et puis merde. Je capitule, envoûté par les jolis yeux verts qui me détaillent.
— Mais ? Je t’écoute, chuchote Pia tout en laissant une traînée de baisers humides le long de mon cou.
Je suis incapable de lui résister, je ne sais pas à quoi je m’attendais. Toute la froideur que j’ai pu feindre… Comment ai-je fait pour tenir ? Une chose est sûre, il n’y aura pas de retour en arrière de mon côté. Je ne pourrai plus jamais m’en passer.
— Mais, si on continue à ce rythme-là, même les saisonniers qui arrivent lundi seront plus efficaces que nous, dis-je en souriant.
Dans trois jours, nous ne serons plus seuls au verger, et cette simple pensée me tourmente bien plus qu’elle ne le devrait. La semaine qui a suivi notre weekend à la plage a brisé les dernières barrières qui subsistaient encore entre nous, et même si nous avons continué la cueillette comme prévu, les pauses se sont multipliées. Entre les conversations à cœur ouvert, les éclats de rire et les baisers ardents que nous avons partagés, il n’y a pas eu beaucoup de place pour le travail acharné que nous étions censés poursuivre.
Si, d’ordinaire, je calcule avec précision le nombre de jours nécessaires pour boucler la cueillette, j’ai tout laissé de côté cette semaine. Ce cadre que je m’impose, cette rigueur dans le travail, ce n’est pas elle qui m’a apaisé ces derniers jours.
Oh non. Depuis lundi, Pia et moi avons voyagé dans le temps. Ça fait une semaine que j’ai dix-sept ans. Une semaine que j’ai l’impression de revivre toutes ces sensations oubliées, de celles que l’on découvre à cet âge-là. Demain soir, Pia sera dans mon salon, et j’ose espérer que ses pensées ont suivi le même cheminement que les miennes.
— Alors autant profiter de n’être que tous les deux pour le moment, tu ne crois pas ?
Le petit sourire narquois qu’elle m’adresse est à deux doigts de me faire craquer. Si je n’avais pas une conscience professionnelle aussi marquée, il y a bien longtemps que nous serions allés plus loin ici, entre deux rangées d’abricotiers. Après tout… l’arrière-boutique pourrait bien faire l’affaire.
Pia me regarde, et lorsque sa main attrape la mienne, je ne suis plus vraiment maître de mon corps. Elle m’entraine en direction du parking, et lorsqu’elle se retourne vers moi, je dépose un baiser à la commissure de ses lèvres.
— Hé Arlo, j’ai des madeleines dans la voiture, t’en veux une… Mais, c’est quoi ce bordel ?
Je me fige. Pia s’éloigne de moi en un éclair, et nos lèvres se quittent. Mais c’est trop tard, à en croire l’expression horrifiée qui a pris place sur le visage de Zoé. Ok, peut-être que cette réaction n’existait pas uniquement dans ma tête. Ça craint. Elle a l’air super en colère, et j’ai envie de disparaître sous terre. Je jette un regard vers Pia, qui a l’air tout aussi gênée que moi. Qu’est-ce qui nous a pris, de faire ça ici ? Et surtout, pourquoi est-ce que Zoé a surgi de nulle part pour… récupérer des madeleines ? On n’aurait pas réussi à se faire prendre d’une façon plus ridicule si on avait essayé. Pour couronner le tout, Zoé parcourt la trentaine de mètres qui nous sépare d’elle. Elle marche vite, trop vite.
— C’est une blague ? Vous bossez à peine ensemble et vous vous sautez déjà dessus ?
Zoé dit tout. Tout haut, tout fort, et c’est ce qui la caractérise, en plus de toutes ses incroyables qualités, évidemment. Elle prend souvent les choses à la rigolade, et j’ai espéré jusqu’à la fin de sa phrase que ce soit complètement ironique, comme d’habitude. Jusqu’à ce que je vois une lueur enflammée dans ses yeux, celle que je pensais ne jamais avoir vue chez Pia. La lueur d’une rage sourde et incontrôlée.
Pia
Après avoir calmé mon amie devant le bâtiment principal, nous avons rejoint Arlo à l’intérieur. Si j’espérais une annonce subtile, c’était sans compter la discrétion légendaire de Zoé, qui a lancé un “je les ai trouvés en train de se bécoter à quinze mètres du parking, tu y crois toi ?” à peine arrivée dans l’embrasure de la porte qui mène à l’arrière-salle. Je ne parviens toujours pas à comprendre sa colère. Si ma meilleure amie est spontanée, parfois un peu impulsive, elle a aussi tendance à tout dédramatiser. Or, là, je ne la retrouve pas. Au contraire, c’est Arlo qui parait beaucoup moins surpris qu’elle.
— Ce que je veux dire, c’est qu’on est un peu passés à côté de notre amitié, tous les deux… On aimerait apprendre à se connaître davantage, dis-je en fixant la table basse de l’arrière-boutique.
Arlo se tourne vers Zek, l’air méfiant.
— Tu ne m’as pas dit qu’il ne se passait rien entre vous ?
Je hausse les sourcils. Alors comme ça, les garçons ont parlé de moi ? Ça me met étrangement mal à l’aise, de m’imaginer au cœur de l’une de leurs conversations, sans savoir ce qui a été dit. Ma confiance en eux a beau être de taille, celle que je n’ai pas en moi me prive souvent d’assurance, et il m’arrive d’imaginer toutes sortes de choses.
— Et c’était vrai. À ce moment-là, il ne s’était rien passé, se justifie Zek.
Zoé semble s’impatienter. Elle trépigne, et j’ose à peine lever les yeux vers elle tant la tension est palpable de son côté de la pièce.
— Arlo, tu te moques de moi ? C’est tout ce que tu as à lui dire ? s’agace-t-elle.
Je sonde les garçons du regard rapidement, et cela me rassure de constater que tous les deux ont l’air aussi éberlués que moi par l’emportement de Zoé.
— Je peux pas être la dernière à être au courant, si ? Pia, c’est quoi cette histoire ?
— Je… Zoé, c’est arrivé seulement la semaine dernière, soupiré-je. Et puis…
— La semaine dernière ?? s’égosille Zoé, sous le choc.
— Je ne voulais pas vous en parler, me coupe Zek.
Je le fixe, surprise. Je me rends alors compte qu’il ne nie pas, qu’il ne cherche pas à contourner les accusations dont Zoé semble nous accabler, et ça me réchauffe le cœur. Ce n’est peut-être pas grand chose, mais pour lui, c’est certainement un grand pas.
— Je ne voulais rien dire, parce que justement, j’étais terrifié à l’idée que l’un de vous trois réagisse comme ça, poursuit-il amèrement.
— De nous trois ? le questionne Arlo.
Zek essuie son front d’un revers de main, faisant danser les bouclettes brunes dans lesquelles je passais mes doigts tout à l’heure. Je sens qu’il est mal à l’aise, même si nous sommes ses trois plus proches amis. Je ressens un pincement au cœur en réalisant à quel point sa vie a dû être différente des nôtres, lui qui a dû traverser son enfance et son adolescence au sein d’une famille aussi dysfonctionnelle que la sienne. S’il s’ouvre à moi sur ce point-là, je me promets de l’aider du mieux que je pourrais.
— Je n’avais rien dit à Pia non plus, bougonne-t-il. Maintenant, est-ce qu’on peut passer à autre chose ? Je crève de faim.
Un silence étrange règne, et je scrute le visage de Zoé, qui ne cesse de fixer Zek avec un regard méfiant. Elle ne rajoute rien, mais je la sens perturbée plus que de raison par notre échange. J’aurais compris sa surprise, son étonnement, mais là ? Ça ne colle pas. Il va me falloir en savoir plus. Malheureusement, ça devra attendre, je n’ai pas envie de plomber complètement l’ambiance déjà bien refroidie.
Par chance, personne ne relance la conversation et nous déjeunons ensemble dans le calme. Je pose quelques questions à nos amis en mission marketing, et tout semble avancer pour le mieux de leur côté. Les quelques boutiques qu’ils avaient contactées ont pour le moment toutes accepté de les recevoir et de vendre leurs produits. Ils n’avaient rien de prévu pour cette après-midi, alors ils ont décidé de venir nous aider à la cueillette.
L’heure tourne, et l’atmosphère s’est quelque peu détendue. Je suis heureuse de pouvoir plaisanter avec Arlo, qui semble avoir été beaucoup moins secoué que Zoé par ce qu’il a appris tout à l’heure. De son côté, cette dernière s’est isolée sur la rangée d’abricotiers se trouvant derrière la nôtre. Dire que la savoir fâchée ne me préoccupe pas serait mentir. Et pour cause, cela n’arrive jamais. Nous ne nous sommes jamais brouillées auparavant, même pour des futilités, comme deux adolescentes auraient pu le faire. Je me fais la promesse d’éclaircir cette histoire ce weekend, pas question de laisser tout ça mijoter plus de deux jours - en attendant, je décide de respecter son silence. Après avoir salué tout le monde, regrettant de ne pas pouvoir serrer Zek dans mes bras avant demain, je prends le chemin de la maison de mes parents vers dix-sept heures, exténuée par ma journée.
En arrivant, je les salue brièvement puis file à la douche, pressée de me débarrasser de la sueur accumulée. L’eau tiède qui ruisselle sur mes épaules endolories me fait un bien fou, et j’en oublierais presque le coup de gueule de Zoé. Je n’estime pas avoir dépassé les bornes, pourtant. C’est la vérité : Zek et moi apprenons à mieux nous connaître.
À cette pensée, une douce chaleur se répand dans mon bas-ventre. Ça n’est pas tout à fait vrai. On n’apprend pas simplement à mieux se connaitre. Ces trois dernières semaines, j’ai ressenti une jubilation tellement intense, de pouvoir enfin discuter avec lui, avec le vrai Zek. Pas de piques, pas de second degré. Que du positif, des questions emplies de bienveillance sur nos vies respectives, des éclats de rire et des sourires. C’était exultant. Mais au fond de moi, le désir ardent de le serrer contre mon corps s’est intensifié, jusqu’à… Et bien, aujourd'hui. Jusqu’à nos baisers brûlants que j’aurais sûrement pris la décision d’emmener bien plus loin si Arlo et Zoé n’avaient pas débarqué en pleine journée.
Après m’être séchée rapidement, j’ai revêtu un haut ample et un short en soie, et j'ai laissé mes cheveux humides me rafraîchir le dos sous mon tee-shirt, pour compenser avec la chaleur étouffante de ce début de soirée. Je fais le tour de ma petite chambre d’enfant, nostalgique et heureuse de pouvoir caresser du bout des doigts les petits souvenirs qui la composent. Mes médailles d’athlétisme, qui ornent fièrement tout un pan de mur à côté de mon lit. Ce sport qui m’a vue grandir, qui m’a toujours aidée à me surpasser, même dans les moments les plus délicats de mon adolescence. Que ce soient les notes au lycée, la perspective étouffante des épreuves du baccalauréat qui approchaient, ou encore un crush sur l’un de mes trois meilleurs amis ? Il me suffisait d’aller courir pour oublier. Une fois mes baskets enfilées, encore aujourd’hui, peu de choses parviennent à occuper mon esprit après quelques kilomètres parcourus.
Alors que je m’apprête à ouvrir l’un de mes vieux journaux intimes, mon téléphone vibre deux fois, annonçant l’arrivée d’un message de Zek. Mon cœur se met à battre un peu plus vite. Malgré notre rapprochement de ces dernières semaines, nous ne nous sommes pas aventurés du côté des échanges par message. Quelque part, c’est pour le mieux, je n’aurais certainement pas eu mon quota de sommeil si nous l’avions fait.
ZEK : Toujours partante pour demain soir ? Je comprendrais, si c’est non. Par rapport à Zoé.
Je me mords l’intérieur de la joue, embêtée par ce que je m’apprête à faire. Si ce que nous faisons ne convient pas à Zoé, alors qu’elle vienne me l’expliquer. Pour le moment, pas question de repousser cette occasion : un moment privilégié avec Zek. Seuls. Mes pouces prennent les devants, et composent un nouveau sms.
PIA : C’est toujours bon de mon côté ! Qu’est-ce que tu as prévu ? Tu m’emmènes loin ?
Mes doigts s’immobilisent au-dessus des trois petits points qui dansent sur l’écran de mon téléphone, me tenant en haleine.
ZEK : Et si je t’emmenais chez moi ? On serait sûrs de ne croiser personne ;)
Un large sourire s’installe sur mon visage. On serait sûrs d’être parfaitement tranquilles, surtout. Je ne peux pas être certaine à cent pour cent de ses intentions, même si je les devine aisément. De mon côté, je sais pertinemment ce que cette soirée annonce. D’autres rapprochements, de tous les types. Et ça me va. Je m’empresse de lui répondre, conquise et impatiente.
PIA : C’est parfait. Tu vas me faire ranger tes nouveaux timbres, c’est ça ?
Je ne peux réfréner un gloussement à cette idée. Il a mentionné ce matin cette commande qu’il venait de recevoir, et il était si heureux que c'en était contagieux. Quelque chose à voir avec une édition rare et limitée, mais je ne voyais que son sourire et sa joie entre les explications qu’il me donnait.
ZEK : J’aurais pu… mais, non. J’ai d’autres idées.
Je frissonne. Comment si peu de mots peuvent-ils évoquer tant de choses ? L’eau qui imbibe mon tee-shirt ne suffit plus à me rafraîchir, tant mes pensées se sont mises à fuser dans des directions pour le moins inappropriées. L’image de Zek, uniquement vêtu d’un boxer et immergé dans la rivière jusqu’à la taille, fait irruption dans mon esprit. C’est un vrai retour en adolescence, il faut croire, puisque même les hormones se sont remises au niveau. Je ne peux plus m’arrêter d’y penser. Il peut avoir prévu ce qu’il veut pour sa soirée, s’il est d’accord, j’ai déjà ma propre idée.
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