Chapitre 23 - Pia
☼ Chapitre 23 - Pia ☼
J’ai couché avec Zek. Dix ans après être devenue son amie, et presque autant de temps à l’avoir désiré dans un secret teinté de déni, entrecoupé de tentatives de l’oublier. Ça n’a beau faire qu’une semaine que l’on s’est rapprochés, cette attirance entre nous flotte discrètement dans l’air depuis des années. Je repense à toutes les vagues de chaleur qui se sont échouées sous mon nombril à chaque fois que je me suis retrouvée près de lui, aux petits sursauts de mon cœur lorsque j’entendais son rire, si rare mais si sincère. Toutes ces choses que j’ai gardées précieusement en moi, que j’ai si longtemps choisi d’ignorer, de repousser, en me disant que nous deux, ça n’arriverait jamais. Dire que lui a attendu tout ce temps… et n’a peut-être rien mis de côté. S’était-il fait une raison ? Mon cœur se compresse en pensant aux filles qu’il a fréquentées depuis, celles dont j’ai entendu parler, et toutes les autres… Les a-t-il aimées ? La jalousie s’infiltre dans mes pensées alors que je suis encore blottie dans ses bras. Ils sont chauds, et d’une douceur insoupçonnée. Hors de question que je gâche ce moment avec des questions sur son passé. De toute manière, je n’ai pas mon mot à dire.
Nous avons fini par déguster les délicieux bò búns que Zek avait préparés, peu avant minuit, trop pris par nos ébats pour penser à calmer la faim qui nous tenaillait. Pour être honnête, j’aurais sauté le repas sans hésiter afin de pouvoir passer plus de temps dans son lit. Pourtant, je ne regrette rien, puisque je ne pensais pas découvrir deux nouveaux talents de Zek dans la même journée. Premièrement, ses talents culinaires, cela va sans dire, puisque j’ai savouré chaque bouchée de ce plat que je pensais être mon préféré. Oh, c’est toujours le cas. Mais le bò bún made by Ezechiel Lazzaro est incontestablement celui que je positionne en haut du classement, désormais. Tout y était, de la fermeté du tofu à la fraîcheur des brins de coriandre, finement hachés. Je ne crois pas me vanter en disant que je suis une spécialiste en matière de cuisine vietnamienne, et je peux certifier que Zek a cuisiné ce plat à la perfection. En version végétarienne, évidemment. Je n’ai même pas pensé à le lui rappeler, mais je me rends compte maintenant que ce n’était absolument pas la peine. Il me connait par cœur, et n’aurait jamais oublié cette information me concernant. Je ne me serais pas doutée, il y a une semaine, qu’il puisse être aussi attentionné envers moi, et je réprime un sourire en pensant à ce que Zoé m’a confié il y a quelques jours. C’est peut-être anecdotique, mais le fait qu’il ait pensé à acheter des gants à ma taille, sachant que je déteste faire la cueillette sans, m’émeut plus que de raison.
Quant au deuxième talent… Cette simple pensée réveille les papillons qui se reposaient - enfin - dans ma poitrine. Je ne crois pas avoir déjà eu autant d’orgasmes au cours d’une seule soirée. Non, j’en suis absolument certaine. Jamais autant, et jamais d’une pareille intensité. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû mordre l’oreiller pour éviter de réveiller tout l’immeuble, pressée contre son torse magnifiquement dessiné. Je n’arrive toujours pas à comprendre ce qui a pu me faire perdre pied à ce point. Son corps sublime, qui épousait le mien à la perfection et qui semblait avoir été conçu pour moi ? La chaleur de sa langue dans ma bouche, tantôt la douceur, tantôt la fougue de nos baisers ? Les sentiments évidents qui sont en train de renaître entre nous ? Et puis merde, ça n’a aucune importance. Cette soirée est parfaite. Évidemment, je ne peux m’empêcher de penser au comportement étrange de Zoé. Ce matin, au marché, elle a fait mine d’avoir tout oublié, ou alors, elle n’a pas voulu m’en parler. La voyant si souriante, j’ai préféré mettre cette histoire sous le tapis moi aussi, un peu égoïstement. Il est évident que quelque chose la tracasse, et je ne mets pas encore le doigt dessus.
La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est qu’elle a peut-être eu des sentiments pour lui, mais ça me paraît très peu plausible. Il m’est arrivé de recevoir des sms de Zoé en pleine nuit, dans lesquels elle me racontait de façon détaillée, très détaillée, son coup de la soirée précédente, ou de l’entendre m’expliquer longuement ce qu’elle ressentait pour ses crushs, ou pour ses petits copains. Zoé n’est jamais restée très longtemps avec la même personne, mais quand elle aime, elle se donne corps et âme. C’est pour cette raison que je la vois mal me cacher, ou même dissimuler le moindre sentiment qu’elle aurait pu avoir… pour lui. Mon cœur fait un drôle de bond lorsque je réalise que c’est pourtant ce que j’ai fait, de mon côté. Je ne lui ai jamais avoué ce que la présence de Zek me faisait ressentir, ni au lycée, ni au cours de ces dernières années.
— Ça va ? me chuchote Zek.
Je hoche la tête contre son épaule, bouleversée par ce flot de pensées qui me tourmente désormais, alors que je flottais quelques instants plus tôt, sur un petit nuage d’euphorie et de bonheur pur.
— Si tu préfères que je dorme chez moi, je peux rentrer. Je ne voudrais pas m’imposer, lui dis-je, tentant de camoufler l’émotion dans ma voix.
Qu’est-ce qui me prend, bon sang ? La seule chose dont j’ai besoin, c’est d’être ici, avec lui. Ça me tuerait qu’il me demande de partir, mais c’est vrai, je ne veux pas m’imposer s’il préfère être tranquille. Et puis, je traîne avec moi cette peur de gêner, de déranger, depuis si longtemps maintenant, que je m’excuserais peu importe la situation. Peu importe si je suis en tort ou pas, j’ai besoin de savoir que la personne en face de moi se sent à l’aise. Tant pis si moi, je ne le suis pas. Un jour peut-être, je saurais m’affirmer et m’imposer. Aujourd’hui, ces automatismes régissent encore chacune de mes réactions. Et puis, c’est aussi l’image que j’ai de Zek. Il aime la solitude et le silence, se retrouver avec lui-même pour seule compagnie. Ce soir, j’espère juste que je fais partie de sa tranquillité.
Il se redresse soudainement, se défaisant de notre étreinte au passage. Mon regard glisse directement sur ses pectoraux sculptés, et je sens le rouge me monter aux joues. Zut. Je passe mon temps à le mater, même quand la situation ne s’y prête pas.
— Tu rigoles ? Pia, si c’est ce que tu veux, je ne t’empêcherai pas de rentrer chez toi. Mais crois moi, j'essaierai de te retenir, souffle-t-il.
Ses mots me réconfortent, et j’en profite pour me blottir à nouveau dans ses bras. Je ne veux plus réfléchir, simplement savourer le contact qui nous unit. C’est notre première nuit ensemble, mais tout me paraît déjà si fluide. De nos taquineries aux gestes les plus intimes, tout semble si… naturel. Réel. Transcendant. J’espère qu’il se sent aussi bien que moi à cet instant.
Je frémis lorsque je sens ses lèvres se poser délicatement en haut de mes joues. Un simple baiser de chaque côté, plus chaste que ce à quoi il m’a habituée ce soir.
— Qu’est-ce que c’était, ça ? dis-je, amusée.
Ses yeux se plissent, et cet air mystérieux qu’il arbore le rend encore plus sexy. Comme si c’était possible d’être aussi beau. Comment est-ce que j’ai pu être l’objet de ses désirs aussi longtemps ? Je me trouve parfois jolie, mais sans plus. Zek pourrait littéralement avoir n’importe qui sur cette planète, j’en suis convaincue.
— Tu as ces toutes petites tâches de rousseur sur les pommettes... Je me suis toujours dit que je voudrais les embrasser… Le jour où tu serais d’accord.
— Qui te dit que je l’étais, là ? dis-je en fronçant les sourcils, sans parvenir à cacher le rictus amusé qui anime mes lèvres.
Il ne répond pas, mais ses doigts glissent le long de ma cuisse, remontant lentement vers ma hanche. Rien que ça. Je n’ai besoin de rien d’autre pour prendre feu, et je glisse ma jambe entre les siennes, avide de plus de contact entre nous. J’ai envie de me fondre en lui. Je n’en aurais jamais assez.
Rapidement, sa bouche trouve la mienne et ses mains parcourent mon corps avec tant d’adresse que j’en ai le souffle coupé. C’est comme s’il lisait dans mes pensées, ses doigts, sa bouche atteignant chacune de mes zones sensibles au moment où je les désire le plus.
— Ton corps tout entier me le crie, Pia, murmure-t-il contre mon oreille. Un mot de ta part et j’arrête, tu le sais.
Alors je ne dis rien, et je m’abandonne à lui, une fois de plus. Je perds la notion du temps, et bien après que nous ayons terminé, je sens que la fatigue commence à peser sur mes paupières. Zek semble le comprendre puisqu’il m’embrasse tendrement sur le front, et part faire un tour à la salle de bains.
Je m’apprête à le rejoindre, bien qu’à moitié endormie, pour faire un brin de toilette moi aussi et lui emprunter un tee-shirt pour la nuit. Mon téléphone vibre, mais je constate qu’il n’y a pas de nouvelle notification sur l’écran de verrouillage. Je hausse un sourcil, avant de me rendre compte que c’est celui de Zek, posé sur sa table de chevet, qui vient de s’éclairer.
Je ne devrais pas. Mais, je peux toujours lui dire qu’il a reçu un message, non ? Je n’ai qu’à regarder qui le lui a envoyé. Je ne verrai rien d’autre, et je ne fouillerai pas, ce n’est pas mon style.
Alors je laisse mes yeux se poser sur l’écran, et je cille en remarquant qu’il s’agit d’un sms de Zoé. Sauf que ce n’est pas simplement son nom qui est affiché. Le message est suffisamment court pour être lu dans son intégralité sans avoir à déverrouiller le téléphone. Et soudain, je m’en veux d’avoir été tentée. Cette fois-ci, c’est sûr que quelque chose cloche. De nous trois, je semble être la seule à ne pas être au courant.
Si tu ne lui dis pas, je vais devoir le faire.
Ça peut vouloir dire n’importe quoi, non ? La douleur qui transperce mon cœur sait toutefois que ce n’est pas insignifiant. Je me sens trahie. Perdue. Je ne sais pas encore ce dont il s’agit, mais j’ai mal, et les larmes qui s’accumulent sous mes yeux menacent de jaillir à chaque instant. Mes lèvres tremblent, et les baisers enflammés de Zek qui s’y déposaient à peine quelques minutes plus tôt ont à présent un goût tout à fait différent. Deux de mes meilleurs amis m’ont caché quelque chose. Peut-être même qu’Arlo est au courant, lui aussi. Une larme perle le long de ma joue, alors que je me recroqueville de mon côté du lit. Dans une minute, Zek sera là. Je ne sais pas si j’aurai le courage de lui en parler… et encore moins de faire semblant.
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