Chapitre 24 - Zek
☼ Chapitre 24 - Zek ☼
Mes parents s’engueulaient aussi fort que ce qu’ils s’aimaient. J’ai passé mon enfance à naviguer entre le beau temps et la tempête, rentrant de l’école la boule au ventre, ne sachant jamais comment j’allais les retrouver. Parfois, j’entendais les cris avant même d’entrer dans la maison. Les objets volaient dans le salon, la vaisselle venait s’écraser contre les murs. D’autres fois, les rires de ma mère résonnaient dans l’entrée, mon père lui souriait, et je les surprenais enlacés, amoureux comme au premier jour. Pour moi, ça ne changeait rien. Ils n’avaient pas un regard à m’adresser. Je n’avais jamais rien été de plus qu’une corvée, et quand j’avais pu survivre par moi-même, alors ils s’étaient contentés du strict minimum. Me préparer quelques repas, m’emmener chez le docteur. Le reste, c’était à moi de gérer.
Lorsque je reviens de la salle de bains, le même frisson me traverse. Celui qui me parcourait les jours d’orage à la maison, lorsque ma mère avait les yeux rougis, mon père la mâchoire serrée. L’air a changé. Pia s’est tournée vers la fenêtre, ses jambes sont repliées contre son torse. Quelque chose ne va pas, et les battements de mon cœur me disent ce que je savais déjà. Je ne veux plus la voir blessée.
— Pia ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Ma gorge est serrée. Pas de réponse. Je m’approche doucement d’elle, réfléchissant à toute vitesse. Qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Elle renifle, et mon estomac se tord. Je pose une main hésitante sur son épaule dénudée. Elle se retourne, les yeux humides et l’air inquiet.
— Parle moi, s’il te plait, la supplié-je.
Son silence pèse dans la pièce et je sens de gros nœuds se former dans mon ventre. Ces sensations physiques me sont totalement étrangères, cela fait des années que je ne les ai pas expérimentées. Peu importe ce qu’il s’est passé dans ma vie au cours des quinze dernières années, rien ne m’a chamboulé de la sorte. Je savais qu’il n’y avait que Pia, pour me faire ressentir tout ça. Peut-être qu’en l’évitant, je savais que je m’épargnais certaines souffrances… Mais la voir ici, larmoyante et presque nue sur mon lit, après avoir goûté à sa peau et au bonheur qu’elle peut m’offrir ? C’est de la torture. Qu’est-ce qu’il se passe, putain ?
— Je vais y aller, Zek. On n’aurait pas dû faire ça, chuchote-t-elle.
Sa voix se brise sur les derniers mots. J’inspire longuement, dans une tentative de remettre de l’ordre dans mes pensées. Cette soirée avait pourtant si bien commencé…
— Je… Si c’est ce que tu penses, alors d’accord, dis-je à regret. Tu fais comme tu le sens. Mais s’il te plait, dis moi ce qui ne va pas. J’ai besoin que tu m’expliques…
Je cherche son regard, mais elle l’évite consciemment. Elle n’arrive pas à me regarder dans les yeux, et ça me fait un mal de chien. Alors qu’elle me répond enfin, ma confusion est à son paroxysme.
— Regarde tes messages, souffle-t-elle.
La contrariété et la tristesse dont est empreinte sa voix me font serrer les dents. Je n’arrive pas à évacuer cette détresse qui s’est emparée de moi, et me sens complètement démuni. Je m’empresse d’attraper mon téléphone, et fronce les sourcils en lisant le message que Zoé m’a envoyé. Si tu ne lui dis pas, je vais devoir le faire. Mais de quoi est-ce qu’elle parle, putain ? Forcément, Pia a dû s’imaginer tout un tas de choses. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait réagi de la sorte.
— Pia, je te jure que je n’ai aucune idée de ce que ça veut dire. En tout cas, ce n’est certainement pas ce que tu crois, ajouté-je doucement.
Elle semble se détendre un peu, mais ses sourcils restent froncés lorsqu’elle me regarde enfin. Ses beaux yeux verts sont voilés de tristesse. À quoi est-ce que Zoé a pensé en m’envoyant un tel message ? Je n’ai aucune idée de ce dont elle parle, qui plus est.
— D’accord. Je te fais confiance. Mais Zoé est ma meilleure amie, et je dois comprendre pourquoi elle s’oppose à… nous. Je suis désolée, Zek… Je ne me sens pas de rester ce soir. Pas tant que je ne sais pas ce qu’il se passe de son côté.
Je te fais confiance. Les mots de Pia s’impriment dans ma poitrine et même si la fin de sa phrase me laisse déçu, la situation n’est plus aussi catastrophique qu’elle en avait l’air quelques instants plus tôt.
Pourtant, les quelques mots de Zoé ne cessent de tourner en boucle au fond de ma tête, et je n’arrive pas à comprendre ce à quoi elle fait référence. Je la connais par cœur, pourtant. Elle s’emballe vite, mais elle n’invente rien. Jamais elle ne se mettrait en travers de notre route, à Pia et à moi, si elle n’avait pas une bonne raison de le faire. Au fond, ce n’est pas vraiment de leur réaction, à elle et Arlo, dont j’avais peur. C’était que la vie nous sépare, Pia et moi, et qu’ils aient à choisir entre nous deux. Qu’ils aient à choisir lequel de nous ils inviteraient au moment de partir en vacances, que chaque moment passé en leur compagnie soit différent, parce que nous aurions toujours eu à faire un choix.
Mes doigts s’agitent au-dessus de l’écran, puis je finis par envoyer un simple point d’interrogation à Zoé. Je dois savoir ce dont il s’agit. Vite. Alors que j’attends sa réponse, Pia se rhabille sous mes yeux, enfilant sa petite robe blanche avec empressement. La magie qui nous a bercés tout au long de la soirée n’est plus, et j’ai peur de ne jamais la retrouver. Je ne pourrais pas m’en contenter. Ce n’est pas une nuit, que je voulais. Bien sûr, que je crevais d’envie de découvrir les lignes de son corps, mais ce n’est qu’une partie de ce qui fait battre mon cœur pour elle. J’aimerais vivre mille autres choses à ses côtés. Je veux l’emmener à l’autre bout du monde, rencontrer les gens qu’elle aime. Découvrir ce qui lui plait, ce qui la fait sourire, être bien plus qu’un ami. Bien plus que celui que j’ai été pour elle jusque-là, aveuglé par mes propres craintes.
Pia m’enlace, et je m’efforce de lui sourire en retour. Elle attrape mon visage entre ses mains, et la chaleur de ce geste intime suffit presque à me dérider. J’embrasse sa main, cherchant dans son regard l’étincelle qui brûlait un peu plus tôt.
— Je t’appelle dès que j’ai mis tout ça au clair avec Zoé, d’accord ?
Elle est aussi perturbée que moi. Je l’entends à sa voix vacillante, et j’en veux à Zoé d’avoir employé ces mots… équivoques. Putain, elle est comme une sœur pour moi. Il n’y a jamais rien eu entre nous, j’espère que Pia le sait. Je lui ai toujours donné des tas de raisons de douter de moi, avec nos disputes à la con, mon besoin de l’agacer pour réfréner mon attirance. Mais pas aujourd’hui. Plus jamais.
Alors que la porte se referme dans son dos, faisant disparaitre le tissu blanc de sa robe qui ne quittera plus jamais mes rêves, je pose les yeux sur l’écran de mon téléphone. Il vient de s’allumer, révélant la conversation avec Zoé. Sous mon point d’interrogation, un mot. Le seul mot que j’aimerais ne plus jamais voir écrit, celui que j’ai mis des mois à sortir de ma tête.
Jules.
Jules. Jules. Jules. Tous ces putains de souvenirs affluent, inondant mon esprit déjà embrumé de toutes ces choses que je n’aurais jamais dû dire, jamais dû faire. Le mal est fait, me répétait Zoé. Je me laisse glisser le long de la porte qui vient de voir partir Pia. Les yeux clos, je respire lentement. J’avais le temps de lui avouer, mais encore une fois, j’ai été con. Tout se passait si bien, cette semaine à ses côtés a été la plus douce que j’ai jamais vécue. J’en ai même complètement oublié cet enfoiré de Jules, alors que cette histoire m’a obsédé des mois après la fin de notre voyage. Pia saura tout. Elle a le droit de savoir. Mais elle ne me le pardonnera jamais.
Je sais déjà qu’elle ne reviendra pas.
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