Chapitre 26 - Zek

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☼ Chapitre 26 - Zek ☼

Malte. 2022.

Zoé s’active dans le salon de notre location, remplissant son sac de quelques-uns de ses essentiels pour la soirée. Dans ses mains, j’aperçois une flasque de vodka, un baume à lèvres et un paquet de préservatifs, qu’elle s’empresse de glisser dans une trousse de toilette prévue à cet effet. Je crois même qu’elle y a déjà mis sa brosse à dent et un tube de dentifrice. Après tout, on ne peut pas lui reprocher d’être si prévoyante. Depuis qu’elle sort en ayant comme idée en tête de finir la nuit aux côtés d’un inconnu, Zoé n’a encore jamais eu à prévoir de plan B. Je la connais depuis que j’ai trois ans, et si je sais qu’elle attire les regards de façon incessante depuis que nous sommes de jeunes adultes, je ne l’ai jamais perçue de cette façon. Elle est pour moi ce qui se rapproche le plus d’une sœur, et je suis heureux que nous ayons conservé cette relation fraternelle au fil des années, Arlo, Zoé et moi.

Pour autant, je ne suis pas complètement aveugle. Personne n’est insensible à son charme, à ses longs cheveux noirs qu’elle attache tous les jours en un chignon flou et désordonné, aux doux traits de son visage qui reflète parfaitement le mélange ancestral dont elle est issue. Si sa chevelure noire de jais lui vient de sa grand-mère chinoise, Zoé porte aussi sur ses pommettes les tâches de rousseur de son grand-père écossais. Elle est tout ça à la fois, elle est sublime, et pourtant, ce n’est absolument pas ce qui la définit. C’est son côté pétillant, la manière qu’elle a de croquer la vie à pleines dents. Je ne réalise pas toujours la chance que j’ai de l’avoir comme meilleure amie. Zoé est un rayon de soleil, elle est ouverte, sincère et généreuse. En cela, elle a véritablement trouvé un alter ego un brin plus discret et réservé en rencontrant Pia.

Pia. Mon cœur se serre lorsque mon regard se pose sur le canapé où elle est allongée, les yeux mi-clos. Je sais depuis de nombreuses années que les douleurs qu’elle endure parfois lors de ses règles sont insoutenables, mais il m’est toujours aussi difficile de la savoir souffrir et d’être si impuissant. Je sais que je dois garder mes distances avec elle. Je sais que si je cède, que je passe trop de temps à ses côtés, je ne vais pas pouvoir y arriver.

Depuis qu’elle est avec Jules, c’est encore plus difficile. J’aimerais pouvoir me réjouir de son bonheur, c’est la réaction sensée que l’on attend de n’importe quel ami. Mais mon corps me signale à chaque fois qu’il en a l’occasion, que ça m’est complètement impossible. Je me sens déchiré dès que leurs mains s’effleurent, ma cage thoracique comprime mes poumons à chaque fois que je les vois s’embrasser. Et son sourire qui me rappelle sans cesse que ça aurait pu être moi, ça aurait pu être nous, si je n’avais pas eu si peur de tout faire foirer en lui avouant ce que je ressentais pour elle. Sept ans après, ça aurait dû passer, non ? Rien. Les papillons s’embrasent encore et toujours dans tout mon corps quand elle me regarde dans les yeux. J’aimais ça, au début. Maintenant, je n’en suis plus si sûr. J’aurais dû foncer tant qu’il était encore temps… Il n’en est plus question. Pia est avec Jules, ils s’aiment. Je dois respecter ça, même si cette simple pensée me donne envie de hurler mon regret et ma peine dans les rues de La Valette.

— Bon, Zek, t’es prêt ? me demande Zoé, toute apprêtée pour notre sortie nocturne.

Je hoche la tête, un peu préoccupé par Pia qui se tortille sur le canapé, serrant une bouillotte contre son ventre.

— Profitez de votre soirée, je reste avec elle, nous rassure Arlo. De toute façon, je suis crevé. Cette journée de visite en plein cagnard m’a complètement achevé, dit-il en baillant.

J’esquisse un sourire. Je sais qu’il exagère un peu, pour que Pia ne se sente pas coupable qu’il passe sa soirée devant Netflix avec elle, plutôt que de profiter de l’une de nos dernières sorties sur l’île. Nos vacances touchent à leur fin, et même si Jules était de la partie cette année, j’ai tout de même réussi à profiter de notre escapade comme il se doit. J’ai détourné le regard autant de fois qu’il le fallait pour éviter leurs épanchements, à lui et à Pia. Ils sont ensemble depuis presque deux ans, et je ne sais pas si j’arriverai à m’y habituer un jour. En attendant, je m’efforce d’ignorer leurs marques d’affection, même si, dans un sens, ça aurait pu être pire. Pia est très peu tactile, et les contacts entre eux, du moins, ceux qui ont lieu devant nous, sont très restreints.

Zoé et moi franchissons le seuil de la location, en souhaitant à Pia de bien se reposer. Je remercie Arlo silencieusement, d’un bref hochement de tête. Je suis presque peiné d’avoir à la laisser et de ne pas pouvoir l’aider davantage, même si un quart d’heure plus tôt, je faisais bouillir de l’eau, déclarant que cette petite bouillotte que j’avais secrètement emportée dans ma valise faisait partie des objets mis à disposition dans un placard du airbnb. Pia s’était extasiée devant ma trouvaille, en disant que décidément, ils avaient tout prévu, ici.

Malgré tout, je suis bien décidé à profiter de ma soirée en compagnie de Zoé, et lorsque nous nous engouffrons dans la rue principale, noire de monde, l’adrénaline me gagne rapidement. J’ai beau apprécier la tranquillité de la Drôme tout au long de l’année, je ne refuse jamais de profiter d’un bain de foule et de l’effervescence qui l’accompagne lorsque j’en ai l’occasion. Très vite, la nuit tombe, et nous faisons la tournée des bars les plus attrayants de Paceville depuis presque deux heures déjà. Zoé fait tinter son verre contre le mien pour la cinquième fois de la soirée, et nos cocktails couleur lagon dissimulent sa moue boudeuse l’espace d’un instant.

— Je te jure, personne ne vient vers nous et c’est à cause de toi, bougonne-t-elle en pointant un doigt accusateur en direction de mon torse.

Je réprime un sourire et la laisse poursuivre sa tirade, croisant mes bras sur ma poitrine, l’air faussement surpris.

— Zek, tu connais beaucoup de gars qui aborderaient une fille alors qu’elle est seule avec un type aussi musclé que toi ? Personne n’a envie de se faire massacrer, râle-t-elle en adoptant une posture similaire à la mienne.

— Alors, selon toi, c’est uniquement de ma faute si personne ne vient te draguer ? Ça va les chevilles, Zoé ? la taquiné-je, sirotant mon cocktail.

Autour de nous, l’ambiance est électrique. À notre droite, des jeunes venus des quatre coins de l’Europe pour faire la fête rient à gorge déployée, et devant eux trônent deux plateaux de shooters qui sont avalés dans la minute. Je n’ai jamais trop voyagé, ni beaucoup profité de la sorte, mais soudain, cette vision me plaît. Ici, le temps s’arrête, et la vie reprendra son cours une fois que nous serons rentrés. Alors autant en profiter, non ? Boosté par l’alcool qui commence à prendre le contrôle de mon corps, je tire Zoé par le bras et décide de me tourner vers la tablée voisine. Dans un anglais approximatif, je leur demande si nous pouvons nous joindre à eux. Ils acceptent aussitôt, et après quelques paroles échangées, nous nous voyons offrir une boisson chacun. Zoé me sourit, et la surprise se lit sans difficulté sur son visage.

— Où est Zek, et qu’avez-vous fait de mon meilleur ami ? me lance-t-elle, bien éméchée elle aussi.

Je lui souris, et soudain, je prends conscience que je n’ai pas pensé à Pia depuis que nous sommes sortis. Je profite à fond de ce moment avec Zoé, et ça me fait un bien fou.

Très vite, Zoé se rapproche de l’un de mes voisins de table, qui a compris que nous n’étions pas en couple, lorsqu’elle s’est empressée de me présenter à lui comme étant son meilleur ami. Je lui adresse un clin d’œil complice alors qu’elle s’est déjà hissée sur ses genoux. J’admire toujours autant son franc-parler et son assurance, surtout en sachant qu’elle ne les a pas toujours eus. Plus jeune, ses origines lui ont valu quelques moqueries, puis elles sont devenues sa force. Et j’ai assisté à tout ça, fier d’avoir une meilleure amie aussi forte et indomptable qu’elle.

Perdu dans mes pensées, je fronce les sourcils en observant une silhouette se dessiner devant le comptoir du bar, à quelques mètres de là. Nous sommes en terrasse, et cette personne se trouve à l’intérieur, mais très vite, je n’ai plus le moindre doute sur son identité. Mes poings se serrent instinctivement, et j’ai l’impression de dessoûler dans la seconde qui suit, malgré les verres qui se sont enchaînés depuis le début de la soirée.

Jules ne semble pas porter sur lui le tote bag “I love Malta” qu’il avait repéré pour sa sœur, ni les cartes postales qu’il était sorti acheter un peu plus tôt pour ses parents. Non, vraiment, je ne vois rien de tout ça, aucun des souvenirs qu’il nous a annoncé devoir récupérer. Par contre, c’est difficile de ne pas voir la main de la jolie brune qui caresse sa cuisse, ni sa main à lui, entortillée dans les cheveux de cette fille, qui n’est certainement pas Pia. Mon cœur se brise pour elle, et je retiens mon souffle. Il l’a elle. Il a Pia, qui est pliée en deux sur un canapé à trois rues d’ici. Il l’a elle, et elle saura sans doute très vite qu’elle ne lui suffit pas.

Je sors de ma torpeur, et je tapote la cuisse de Zoé à côté de moi, déjà bien occupée avec celui qu’elle vient de rencontrer.

— Désolé de casser ton coup, Zoé, mais je crois qu’on a un problème, dis-je amèrement.

Alors qu’elle se retourne en m’insultant, profitant que son nouvel ami ne la comprenne pas, ses yeux s’agrandissent sous le coup de la surprise. Sa colère ne tarde pas à prendre le pas, je le vois de suite à son regard qui s’assombrit et à sa mâchoire qui se contracte.

— Putain, je vais le défoncer. Viens, on y va. Zek ?

Elle se lève, mais je la stoppe immédiatement. Ce n’est certainement pas la première fois qu’il fait ça. De ses gestes assurés à son sourire de séducteur qui me retourne l’estomac, ce connard a de l’expérience. Est-ce qu’elle sait ? Est-ce que Pia l’a déjà surpris ? La sensation est douloureuse, elle me prend aux tripes. Je ne l’appréciais déjà pas beaucoup, mais je mettais ça sur le compte qu’il soit son mec, tout simplement. C’était déjà trop pour moi. Maintenant, je veux qu’elle sache qui il est vraiment. Elle doit savoir. Mais… Je ne suis pas sûr de pouvoir supporter la peine qu’elle endurera, si je dois lui expliquer moi-même ce à quoi nous sommes en train d’assister.

— Non. On attend de voir, dis-je doucement.

Le doute s’installe sur le visage de Zoé. Pourtant, elle acquiesce silencieusement, et je tente sans succès de me replonger dans l’ambiance qui me portait quelques instants auparavant. Alors que j’essaie de récupérer le fil d’une conversation, une horrible pensée s’immisce dans mon esprit. Je n’arrive plus à la chasser, elle est partout, elle commence déjà à me ronger de l’intérieur. Voyons, Zek. Tu n’es pas si déçu que ça, n’est-ce pas ?

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