Chapitre 27 - Zek

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☼ Chapitre 27 - Zek ☼

J’ai espéré un instant que ce ne soit pas ça. Que Jules et cette inconnue soient simplement en train de sympathiser. Oui, quelque part, j’aurais aimé me tromper. Parce que même si c’est un supplice de la voir heureuse avec lui, je dois me rendre à l’évidence : j’ai laissé filer ma chance. Mon tour est passé, et tout ce qui compte maintenant, c’est qu’elle soit heureuse. Peu importe qui fait s’envoler les papillons dans sa poitrine, elle mérite tout le bonheur du monde.

Jules ne nous fait pas attendre plus longtemps. Cinq minutes après l’avoir remarqué, accoudé au bar avec un sourire enjôleur qui me fait frissonner, il a déjà initié un contact bien plus… rapproché, avec sa mystérieuse inconnue. Enfin, je ne suis pas sûr que ce soit si romantique. Ça ne m’étonnerait pas qu’il se soit isolé pour passer du temps sur Tinder, juste sous nos yeux. Sous ceux de Pia, qui ne doit pas être au courant de quoi que ce soit.

— Zek ? C’est bon, ça te suffit, là ? s’agite Zoé à côté de moi.

Un grognement s’échappe d’entre mes lèvres. Zoé s’impatiente, je sens bien que mon approche n’est pas celle qu’elle aurait choisie. Et pourtant, il me fallait en être certain. Avoir la preuve irréfutable que Jules n’est pas celui qu’il prétend être, sous ses airs de grand romantique et de petit copain attentionné. Là, le doute n’est plus permis, si l’on en croit le baiser passionné qu’ils sont en train d’échanger, à quelques mètres de notre table. Pia. Elle est amoureuse, je le vois à la lueur qui éclaire ses yeux à chaque fois qu’il est près d’elle, à chaque fois qu’elle prononce son prénom. Et cet enfoiré est en train de piétiner son cœur.

Je n’y tiens plus. Bien que ma vision soit altérée par la quantité d’alcool que j’ai ingurgitée, ça ne change rien, je dois intervenir. Zoé s’empresse de me suivre, laissant derrière elle son nouvel ami allemand qui n’y comprend rien du tout.

— Tu nous présentes ta copine, Jules ? balance Zoé derrière mon épaule.

Cet enfoiré a l’indécence de paraître surpris de nous voir là. Il s’écarte lentement de sa conquête, et je crois voir une once de détresse passer au fond de ses yeux. Putain, j’ai beaucoup trop bu pour gérer un truc pareil maintenant. Je serre les poings, sentant la rage s’infiltrer dans chaque parcelle de mon être. Pour une fois que j’étais décidé à profiter, laissant derrière moi mes regrets et mon cœur meurtri, voilà que je dois m’occuper de l’homme à la place duquel j’aimerais être.

L’image d’une Pia fébrile, à moitié endormie sur le canapé de la location s’impose à moi, et je dois me prendre sur moi pour ne pas écourter la discussion que nous nous apprêtons à avoir en envoyant mon poing dans la sale gueule de Jules.

— Dis à ta copine de dégager ou je m’en occupe moi-même, grondé-je.

Évidemment, cette pauvre fille n’y est pour rien, et je ne lui veux aucun mal. Elle ne doit certainement pas être au courant de l’existence de Pia. Jules bredouille quelques mots en anglais, et la jeune femme s’éclipse aussitôt, l’air ennuyé d’avoir perdu son temps.

Jules nous fixe sans dire un mot. Son regard brun que j’ai tenté d’éviter au maximum ces deux dernières années me transperce, mais je ne vois pas l’ombre d’un remords au fond de ses pupilles et cela m’irrite plus que de raison.

— Est-ce qu’elle sait ? articulé-je froidement.

Les yeux de Jules s’écarquillent de surprise, puis ses sourcils se froncent exagérément. L’espoir qu’il me restait, celui qui me poussait encore à croire qu’il pourrait éventuellement s’agir d’un accord respectueux entre eux s’évanouit totalement. Pour couronner le tout, son attitude m’agace au plus haut point. N’a-t-il donc aucun respect pour celle qu’il est censé aimer ?

— Euh, non, évidemment, marmonne Jules. Pourquoi ?

— Pourquoi ? s’emporte Zoé. Je sais pas, si elle est ni d’accord, ni au courant, c’est peut-être que t’étais en train de la tromper sous nos yeux y’a à peine cinq minutes ?

Je serre les dents. Jules n’a jamais aussi peu mérité Pia de toute sa misérable existence. C’est fini, j’aurais au moins essayé de l’apprécier tant qu’il était ce qu’il fallait à Pia. À partir de maintenant, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il ne la blesse plus. Jamais.

— Tu sais ce que tu vas faire ? Tu vas dégager d’ici tout de suite. Oh, et Pia ? Elle ne mérite pas les excuses de merde que tu vas lui inventer pour te sortir de là. Quoi, tu pensais qu’on allait garder ton petit secret entre nous ?

Le volume de ma voix s’est intensifié sans que je ne m’en rende compte, et je réalise aux têtes tournées vers nous que je suis presque en train de lui hurler dessus. Zoé attrape mon bras et se rapproche de moi lentement.

— Laisse-le revenir à l’appart et s’expliquer, chuchote-t-elle près de mon oreille. C’est à Pia de voir ce qu’elle doit faire.

Les mots de Zoé me traversent de toute part. Je sais que c’est à Pia de décider, bien sûr. C’est leur relation, c’est à elle de voir si elle peut accepter de vivre avec ces paramètres que Jules semble lui imposer sans trop culpabiliser de sa conduite. C’est évident qu’il n’en est pas à son coup d’essai. Je sais tout ça et pourtant… Je ne peux pas. Pardon, Pia, mais je ne supporterai pas de te voir grandir, vieillir aux côtés de ce gars si tu décides de passer outre, si tu décides qu’il est le bon. Parce que le bon t’aimera assez pour que saches que, oui, tu es assez, et que ça ne vaut même pas la peine de regarder si l’herbe est plus verte ailleurs.

J’ignore les paroles de Zoé, et réduis considérablement la distance qui me sépare de Jules en avançant d’un pas confiant. Je suis maintenant assez proche de lui pour que nous parlions à voix basse sans être entendus. Ce connard ne mérite pas que j’exprime la colère et le dégoût qu’il m’évoque.

— Je te laisse pas le choix. Si tu tentes, ne serait-ce qu’une seule fois, d’aller te faire pardonner auprès d’elle, je te brise. Tu sais de quoi je suis capable.

Je m’interromps un instant, assez longtemps pour comprendre que ma menace est prise au sérieux par mon interlocuteur. Jules n’est pas un bagarreur, et même si je ne suis pas fier d’en être souvent venu aux mains, je sais que cet argument va peser dans la balance. Je vois ses lèvres se pincer, et je poursuis, enhardi par la rage qu’il a ravivée en moi.

— Elle va vouloir te parler, tu lui diras que tu l’as trompée, et que tu la quittes parce que tu n’es pas celui qu’il lui faut. J’en ai rien à foutre de savoir si t’es déjà allé plus loin avec ces filles. Tu sors de sa vie. Pia mérite ce qu’il y a de mieux, et ça n’est certainement pas toi. Ne reviens pas à la location, on t’enverra tes affaires.

Les mots que je lui ai adressés se sont enchaînés avec une fluidité déconcertante, compte tenu de mon état d’ébriété pour le moins… avancé. Mon ton est froid, ma voix est platonique, plus calme et posée qu’elle ne l’a jamais été. Je suis à peu près sûr d’être en train de faire une connerie, Zoé a raison, ce n’est pas à moi de décider, je n’ai aucun droit. Si ce n’est celui de vouloir protéger ma meilleure amie… Et peut-être, même si je refuse de me l’avouer, d’être en train de saisir la perche que me tend la vie. Une deuxième chance. Est-ce que j’en ferai quelque chose ? Je n’en sais rien.

J’attrape Zoé par le bras et m’éloigne aussi vite que possible de ce bar, de ses néons chaleureux et de sa musique rythmée qui faisaient écho à nos rires à peine quelques instants plus tôt, laissant Jules seul au comptoir, face à deux verres presque pleins.

— Je veux pas que Pia finisse sa vie avec ce type, Zoé. T’as bien vu de quoi il est capable. Tu veux ça pour elle ? Et même si c’était la première fois, il recommencera, tu peux en être certaine.

Zoé ne me répond pas. Nous nous sommes engagés dans une autre rue, sans avoir pris la peine de saluer ceux avec qui nous nous étions assis au bar. J’ai l’impression d’être en train de fuir, et la sensation pèse douloureusement sur mon cœur.

— Je suis d’accord avec toi, dit-elle enfin. Mais… Zek, c’est sa vie. T’avais pas le droit de choisir pour elle.

Le mélange d’alcools ingéré dans la soirée menace de ressurgir à tout instant. Mon estomac me brûle, j’ai la gorge serrée. Suis-je meilleur que lui, si je dois moi aussi lui mentir ? Lui cacher ce que je viens de faire ? Je n’ai pas la réponse à cette question. Pour autant… Je refuse catégoriquement de la perdre.

— Promets-moi de ne rien dire. Zoé, je t’en supplie. Ne lui dis pas, dis-je, tête baissée, le cœur au bord des lèvres.

Je relève les yeux vers elle, et mon cœur rate un battement à l’instant où j’aperçois son doux regard brun rempli de larmes.

— J’espère juste que c’est pour elle que tu l’as fait, Zek, et non pour toi.

Ses mots résonnent en moi si fort que j’en ai mal. Je les entends en boucle sur le chemin du retour, ils ricochent à l’intérieur de mon crâne, et ils retardent ma réponse. Bien sûr, qu’elle a compris. Zoé me connaît mieux que mes deux parents réunis, bien que ce ne soit pas si difficile. Elle sait que l’attachement que je porte à Pia n’est pas anodin, elle l’a compris depuis longtemps, mais jamais elle ne m’avait poussé à l’avouer.

— C’était pour elle, murmuré-je alors que nous atteignons la porte de notre immeuble. Promis. Elle n’en saura rien, c’est pour son bien et tu le sais. Je ne tenterai jamais rien avec Pia, Zo.

Jamais. Rien.

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