Chapitre 28 - Pia

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☼ Chapitre 28 - Pia ☼

Sous mes yeux se consume la troisième cigarette de Zoé, et dans ma tête, l’orage gronde, sourd et belliqueux. Zoé me regarde fixement, une lueur apeurée au fond de ses iris sombres, elle me sonde. Qu’est-ce qui est en train de se passer, déjà ? Mes émotions semblent s’être évaporées dans le nuage de fumée toxique qui m’étouffe presque autant que la confession qu’elle vient de me faire.

Elle savait. Elle savait ce que Zek avait fait, et elle ne m’a rien dit.

La confiance qui nous unit se fissure, je sens la brèche s’élargir au fond de mon cœur. Il y a deux ans, elle était là. Elle était là lorsque j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, inconsolable à l’idée d’avoir été trompée, puis quittée par l’homme avec lequel je pensais vouloir finir ma vie. Elle était là lors des mois qui ont suivi, lorsque j'essayais tant bien que mal de reconstruire ma vie. Ma vie sans lui, qui n’avait même pas pris la peine de me dire les choses en face. Si j’avais su. Est-ce que je me serais moins détestée ? Et lui ? Lui aurais-je pardonné ? Je n’en ai aucune idée. Mais, surtout, on ne m’a pas laissé le choix. Zek, ne m’a pas laissé le choix.

Ma mâchoire est si serrée qu’un frisson parcourt mon corps tout entier, laissant apparaître sur mes bras une chair de poule qui rend tout à coup mes bras sensibles, presque douloureux. Je ne crois pas avoir envie de pleurer. Je ne sais juste pas ce que je dois faire, mon cerveau ne me dicte pas la marche à suivre, et ça commence à m’agacer.

— Je n’étais pas d’accord avec ce qu’a choisi de faire Zek, murmure Zoé prudemment. Mais il m’a fait promettre de ne rien te dire, et… je voulais t’éviter des souffrances inutiles, avoue-t-elle.

Des souffrances inutiles ?

Mon sang ne fait qu’un tour. Putain. En plus de dix ans d’amitié, je ne crois pas m’être déjà énervée une seule fois contre Zoé. Ce n’est pas moi, je n’ai aucune idée de comment faire ça. Pourquoi est-ce qu’il faut que je sois en colère ? Je sais gérer les choses autrement, j’ai toujours composé, je me suis toujours adoucie pour éviter le conflit. Je déteste ça, mais aujourd’hui, je ne trouve pas d’autre issue.

— Putain, Zoé ! Au bout d’une semaine, quand j’avais si mal aux yeux que je n’arrivais plus à pleurer, que j’envoyais des messages désespérés à Jules, tu me préservais, c’est ça ?

Ce n’est plus ma voix. Ce n’est plus mon corps, ce ne sont pas mes mots. Zoé ouvre de grands yeux, et dans la seconde qui suit, ils s’emplissent de larmes. Quelques minutes plus tôt, j’aurais été horrifiée d’avoir pu provoquer chez elle une telle peine. Mais à cet instant, je suis tout à fait incapable de contrôler quoi que ce soit.

— Tu m’as vue misérable et tu me mentais. Vous, me mentiez ! Je méritais au moins la vérité, Zoé ! C’était à moi, de faire ce choix, et à personne d’autre !

La colère, la rage ou je ne sais quelle émotion vient faire trembler ma voix qui s’éteint subitement dans la nuit noire. Un souffle saccadé, empreint d’une tristesse palpable s’échappe d’entre les lèvres de Zoé, choquée de me voir m’emporter ainsi.

— C’est ce que j’ai dit à Zek quand…

— Ne rejette pas la faute sur lui. Tu étais là, je me trompe ? Tu pouvais lui dire non, n’est-ce pas ? craché-je.

Zoé acquiesce d’un hochement tête timide, honteux, mais je poursuis ma tirade, un sentiment inconnu parcourant mes veines et me dictant de le laisser m’engloutir complètement.

— Ok. Alors si tu savais que c’était une connerie, que j’avais le droit de savoir, pourquoi est-ce que tu lui as promis de ne rien dire ?

Je suis amère, froide et je ne me reconnais dans aucun des mots que je suis en train de lui balancer au visage. Je crois que mon cerveau s’est fait à l’idée, lui aussi. Si je ne connaissais pas bien la colère jusqu’à cette nuit, je crois qu’il s’agit là de notre rencontre la plus intense.

Zoé regarde à présent les marches en bois de son petit escalier, son regard n’ose plus croiser le mien. Quelques larmes tombent lourdement sur le perron, entre ses pieds nus et ses ongles vernis de noir.

— Je ne sais pas, Pia, je ne voulais pas le trahir, finit-elle par admettre.

Mes lèvres se pincent et s’incurvent vers le bas. Je me sens si triste, déçue et abandonnée, que j’ai l’impression qu’un vide est en train de s’installer au fond de ma poitrine.

— Tu avais fait ton choix, murmuré-je.

Je les sens monter, ces foutues larmes. Si elles m’ont laissée tranquille tout au long de son récit, et jusqu’à maintenant, elles menacent désormais de jaillir et de me submerger totalement.

— Non, Pi, j’étais complètement bloquée. S’il te plait, pardonne-moi, chuchote Zoé à son tour, bouleversée.

La vision trouble, je hoche la tête frénétiquement de gauche à droite. J’ai beau ne pas avoir toute cette confiance en moi dont Zoé jouit depuis si longtemps, je me connais mieux que quiconque. Et je sais pertinemment qu’il me faudra bien plus que de simples excuses pour pouvoir pardonner Zoé de m’avoir caché ce morceau de ma propre vie.

Je me lève subitement, incapable de rester en sa compagnie plus longtemps.

— Je vais y aller. Ne m’écris pas, j’ai besoin de réfléchir un peu, là.

Si mon ton se veut détaché, je n’arrive pas à empêcher ma voix de trembler. Zoé, de son côté, ne dit plus rien. Dans sa main droite, sa cigarette s’est consumée seule jusqu’au mégot, et la cendre menace de tomber à tout instant.

— Oh, et démerdez-vous pour lundi, dis-je sèchement. Ne comptez pas sur moi pour venir bosser gratos au verger, en tout cas. Tu feras passer le mot à Zek.

C’est là. Au moment où son prénom passe mes lèvres, que je nous revois quelques heures plus tôt, baignant dans un bonheur que je n’aurais jamais pensé connaître à ses côtés. C’est là que mon cœur finit de se briser. Toute cette histoire date d’il y a deux ans, et pourtant, la trahison s’imprime dans ma peau, fraîche et cuisante à la fois. Ce que nous construisons avec Zek ces derniers jours, les sentiments qui me brûlent de l’intérieur depuis une semaine… J’ai bien peur de devoir tirer un trait sur toutes ces choses-là. Si Jules m’a trompée, ils l’ont fait eux aussi.

Mes chaussures sont restées sur le palier de chez Zoé, et je sens chaque aspérité de la route sous la plante de mes pieds, pourtant, je marche aussi vite que possible. Soudain, le visage de Zek s’impose à moi. Je tente de le chasser mais… Je n’en ai pas envie. Je le veux lui, je veux son regard gris sur ma peau nue, ses caresses douces et rugueuses, ses baisers ardents et son dévouement infini. Je veux son amour, celui qui a traversé les années sans faiblir, même quand le mien s’était endormi. Sauf que c’est impossible. Je ne peux plus revenir en arrière, et maintenant que je sais, ce regard, ces mains, ces baisers et cet amour n’auront plus jamais la même saveur. Ils seront teintés de duplicité, de mensonge et de fourberie. Là où il y a deux ans, je rampais lâchement aux pieds de Jules, en vain, la situation m’apparaît sous un angle bien différent, aujourd’hui.

Si Zoé et Zek veulent se racheter, alors qu’ils essaient. Mais ce ne sera pas à moi d’aller vers eux. Peut-être que Zoé y parviendra. Peut-être qu’à tête reposée, je verrai les choses différemment en ce qui la concerne.

Quant à Zek… Je ne suis pas sûre de pouvoir lui pardonner, cette fois-ci. Car même si mon cœur me hurle de retourner chez lui et de le serrer contre moi, d’essayer de le comprendre, je choisis la raison et je rentre chez moi, tête baissée, le visage baigné de larmes tièdes.

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