Chapitre 35 - Pia/Zek

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☼ Chapitre 35 - Pia/Zek ☼

Pia

Arlo s’éloigne sans un regard en arrière, et les larmes brûlent au coin de mes yeux. Depuis que je suis partie de chez Zoé samedi soir, chaque épisode de pleurs s’accompagne d’une vive douleur qui pèse sur mes paupières. Je pensais connaître la peine d’être quittée lorsqu’Elias a choisi son été de liberté plutôt que notre relation, mais ce qui est en train de m’arriver se passe de mots. Je n’arrive même plus à démêler mes idées, ni les solutions qui s’offrent à moi. Alors je me contente d’évacuer ma peine comme je peux, tentant de faire abstraction du trou béant qui semble dévorer ma poitrine à petit feu.

Je suis soulagée d’être seule à la maison. Si mes parents ont vite compris que quelque chose clochait hier, ils n’ont pas insisté face à ma mine renfermée, et même la romance que j’avais si hâte de lire au bord de la piscine ne m’aide en rien à canaliser mes pensées. Bien au contraire. Chaque rapprochement entre les protagonistes me ramène à ma propre situation, et mon cœur se serre à chaque fois que le visage de Zek s’imprime dans ma tête.

Je passe une main tremblante sur mes joues, essuyant les gouttes salées qui tombent silencieusement sur la couverture de mon roman. Le chuchotement des cigales ne me berce pas, aujourd’hui, il bourdonne au fond de mon esprit tourmenté.

Sans savoir comment, je parviens à me concentrer un instant sur les mots qu’Arlo m’a adressés. Ils l’ont fait dans ton intérêt. Comme si je ne le savais pas, putain. Bien sûr que Jules était un menteur infidèle. Évidemment, qu’il fallait que je le quitte. Mais pourquoi ne pas me l’avoir dit tout de suite après ? J’aurais compris. Le fait qu’ils aient laissé ce secret s’éterniser au fil des semaines, des mois et des années me fout hors de moi.

Je ferme les yeux longtemps, lorsque je repense à ce que me disait Arlo quelques instants plus tôt. A la situation de Zek. A ses parents, qui méritent si peu d’avoir un fils comme lui. À ses secrets, à ses passions qui m’ont échappées pendant tant d’années. Je souris malgré moi en revoyant son enthousiasme démesuré face aux timbres de ses albums, aux photos si soigneusement accrochées sur les murs de son appartement.

Et puis, je repense à la semaine qui vient de s’écouler. À nos regards échangés, timides au départ, à ses sourires sincères qui auraient fait chavirer mon cœur d’adolescente, et à ses mains rugueuses, usées par le travail. Notre soirée. Notre première fois. J’en voulais mille fois plus, et je réalisais surtout que je ne voulais plus jamais repartir, maintenant que j’étais enfin avec lui. J’y ai songé pendant que nous discutions sur son balcon. J’étais bien, ici, dans le village de mon enfance. Et pas seulement pour des vacances. Je me voyais déjà rester, m’habituer à cette vie douce et sereine qui m’avait vue grandir. Adieu la capitale, le bruit des voitures et la foule qui va et vient à toute heure du jour et de la nuit.

Je me penche pour attraper mon téléphone, transie par les idées qui m’ont traversée au cours des derniers jours. Je ne réfléchis plus vraiment, ou du moins, je me force à ne plus rien penser, au moment où j’écris quelques mots que j’envoie à Zek dans la seconde qui suit.

Prouve-moi que je peux te faire confiance. Que tout ça en vaut la peine.

Je soupire bruyamment, peu satisfaite du sms que je viens de rédiger. Je ne sais même pas ce dont j’ai besoin. Qu’il me rassure ? Qu’il s’excuse ? Tout ce que je sais, c’est que j’ai besoin de lui. Je ne peux pas laisser cette histoire se mettre en travers de notre chemin, alors que nous avons attendu si longtemps que les étoiles s’alignent pour nous.

Moi, dans l’ombre de son indifférence feinte.

Lui, dans la tempête de ses sentiments inavoués, préservant notre amitié.

Arlo a raison, ça ne peut pas s’arrêter là.

Zek

Chaque mot qui défile sous mes yeux fait battre mon cœur plus intensément que le précédent. Tout n’est pas perdu. Un léger sourire étire mes lèvres, tandis que je tente de remettre de l’ordre dans ma tête.

Après qu’Arlo soit parti et m’ait laissé seul à la guinguette, je me suis dit qu’enchainer les bières n’était peut-être pas la meilleure chose à faire, et j’ai fini par rejoindre Zoé et les jeunes au verger. Pour me changer les idées, me concentrer sur quelque chose de concret, sans doute. Toujours est-il que ça n’a absolument rien donné. Le regard de mon père accroché à sa télévision. Celui de Pia, inquiet, lorsqu’elle a lu le texto de Zoé. Ils tournent en boucle dans mon esprit. C’est tout ce que je vois, le négatif l’emporte et je n’arrive pas à m’en défaire.

Cependant, après avoir lu le sms de Pia à trois reprises, je ne ressens plus la même inquiétude. Je vais m’en assurer autant de fois qu’il le faudra : Pia peut me faire confiance, elle doit le savoir, en être certaine. Toute cette histoire concernant Jules n’est qu’une énorme erreur, un cumul d’événements désastreux, et je dois lui prouver que je ne suis plus cet homme-là aujourd’hui. J’accepterai et respecterai chacune de ses décisions, à présent, peu importe si je ne les approuve pas.

Je meurs d’envie d’aller la retrouver maintenant, mais ce serait trop tôt, trop facile. Je dois trouver un moyen de répondre à sa demande du mieux que je peux. Je pose mon téléphone près d’une caisse d’abricots à moitié remplie, et m’assois sur le sol sec et brûlant, indifférent aux rayons du soleil qui viennent immédiatement fouetter mes avant-bras et mon visage. Je lève la tête vers le ciel, les yeux clos, et j’inspire profondément. La chaleur étouffante m’empêche de ressentir l’air qui circule alors dans mon corps.

Quelques instants plus tard, je me relève d’un bond, animé d’une énergie que seule Pia a le pouvoir de m’insuffler. J’abandonne derrière moi la caisse et le tracteur, les clés sur le contact. D’après Zoé, un des saisonniers a l’habitude d’en conduire un, il le ramènera à la fin de la journée.

Je trottine pour arriver jusqu’à l’accueil, trop impatient pour marcher. Lorsque j’entre enfin dans la petite boutique, je remarque Zoé, qui semble être en pleine conversation avec un client. J’attends tant bien que mal mon tour, camouflant difficilement mon impatience.

— Tout va comme tu veux, Zek ? s’inquiète Zoé en m’observant remuer dans le coin de la pièce, une fois le client parti.

Je lui adresse un sourire presque… hébété. Je ne sais pas d’où il sort, je n’en ai jamais senti un pareil sur mon visage avant cet instant.

— Je crois que Pia me laisse une deuxième chance, chuchoté-je.

Je n’ose pas parler plus fort. Comme si elle pouvait m’entendre, changer d’avis à tout instant. Putain, cette femme ferait de moi ce qu’elle voudrait. Et je la laisserais faire.

Le visage de Zoé s’illumine à son tour, et elle joint ses mains devant sa bouche. Elle s’apprête à dire quelque chose, mais je m’empresse de poursuivre, trop impatient pour m’arrêter.

— Je prends ma semaine. Je n’ai pas encore pris de congés cette année, dis-je d’un air faussement nonchalant.

Si je ne lui demande pas son accord, c’est que je sais que ma présence n’est absolument pas indispensable pour la semaine à venir. Les rendez-vous marketing auxquels se rendent Zoé et Arlo cessent pour plusieurs semaines et ne reprendront qu’en août. À eux deux, ils peuvent tout à fait gérer la structure ainsi que les saisonniers sans mon aide ou celle de Pia.

Zoé hoche la tête de bas en haut, et si elle est surprise, elle n’en montre rien. Même si elle n’est pas aussi enjouée qu’Arlo à l’idée de nous voir ensemble, Pia et moi, elle semble comprendre l’importance de ma demande.

— Pas de souci. On gère, avec Arlo, dit-elle tout en m’adressant un clin d’œil complice.

— Merci, Zoé. T’es la meilleure.

Alors qu’elle hausse les épaules et affiche un air mi-confiant, mi-satisfait, je tourne les talons vers la sortie et me dirige vers le parking qui longe la boutique. Une fois installé au volant de ma voiture, je prends quelques secondes avant de démarrer pour répondre au sms de Pia.

Si tu as de quoi préparer une valise pour une semaine et que tu es prête à te lever tôt demain, je passerai te chercher à sept heures.

Mes mains tremblent tandis que j’attends sa réponse, et un frisson glacé me parcourt le dos malgré la chaleur qui inonde l’habitacle. Mon cœur sursaute dans ma poitrine au moment où je vois que Pia a ouvert mon message, et je ne peux pas m’empêcher d’en renvoyer un second.

Tu peux me faire confiance.

Et j’espère de tout mon cœur qu’elle le fera.

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