Chapitre 36 - Pia

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☼ Chapitre 36 - Pia ☼

La valise que j’ai préparée à la hâte hier soir trône au bout de mon lit, et je la fixe silencieusement. Autant dire qu’après avoir reçu la réponse de Zek hier en fin de journée, je n’ai presque pas fermé l’œil de la nuit. La fatigue qui flottait autour de moi depuis quelques jours s’est évaporée dès que j’ai posé ma tête sur l’oreiller.

Tandis qu’une partie de mon cerveau s’inquiétait d’avoir bien fait d’envoyer ce sms, l’autre était en ébullition, complètement intriguée par la proposition inattendue de Zek. Une semaine ? Je n’ai aucune idée de ce qui m’attend. Ma conversation avec Arlo était courte, mais elle a suffi. Elle m’a rappelé ce que je savais déjà au plus profond de moi, et ce que je voulais vraiment. Ce secret que j’avais tenté d’enfouir, de mettre de côté pendant si longtemps. Cette attirance, ces sentiments. Je ne veux plus les ignorer. Cependant… J’ai besoin d’être absolument certaine des intentions de Zek pour mettre le passé derrière nous.

Je me suis habillée à six heures moins vingt, me suis assise sur mon lit, et je ne crois pas avoir bougé depuis. J’aurais pu essayer de me rendormir, mon corps le réclame, mais ma tête et mon cœur ne semblent pas se préoccuper de mon état de fatigue alarmant. Alors quand mon téléphone émet un léger tintement, je sursaute et sors de ma rêverie.

Je suis en bas.

Il est sept heures précises, et je viens donc de passer la dernière heure à fixer le mur de ma chambre sans ciller. Ok, ça craint vraiment. Je me lève en grimaçant, tentant d’ignorer les picotements qui parcourent mes jambes engourdies. Je descends les escaliers sur la pointe des pieds, ma valise dans une main, l’autre posée sur la rambarde. Mes parents ne sont pas levés, et j’ai déjà décidé hier soir qu’un petit mot posé sur la table de la cuisine suffirait amplement à les prévenir de mon départ. Bien que je sois un peu triste de leur fausser compagnie si vite, et de façon si inattendue, je ne peux tout simplement pas passer à côté de la proposition de Zek.

J’attrape deux crêpes rescapées du goûter ultra sucré qui m’a servi de repas hier soir, et m’échappe discrètement par la porte d’entrée. J’aperçois Zek, garé devant le portail, et son regard me transperce immédiatement. Je ne sais pas exactement ce que j’y lis, mais mon cœur se réchauffe sous la caresse que laissent ses yeux sur mon visage.

Zek quitte son siège et s’empresse d’aller ouvrir le coffre de sa voiture, me laissant y déposer mes bagages. Son regard s’attarde sur les deux crêpes qui pendent au bout de mon autre main, et il réprime un sourire.

— Heureusement que j’ai prévu de préparer nos petits-déjeuners cette semaine, murmure-t-il.

Je souris à mon tour un peu malgré moi. Je le savais déjà avant de le voir ce matin, mais me retrouver face à lui fait disparaître jusqu’à la plus petite once de rancœur qui aurait pu subsister. Quelque part, j’espérais garder la face, lui expliquer immédiatement que ma colère était légitime. Le problème, c’est qu’elle l’était autant que son envie de me protéger, et je ne l’ai compris qu’après ma discussion avec Arlo. Heureusement. Je crois bien que j’aurais été incapable de rester en colère contre lui plus longtemps.

— Je ne te permets pas de critiquer mon petit-déjeuner sain et équilibré, monsieur muscles.

S’il semble conserver son sourire l’espace d’un instant, je sais qu’il nous faut évoquer l’éléphant dans la pièce. Zek s’en rend compte lui aussi, puisqu’il passe une main distraite dans ses cheveux, et son expression se fait plus sérieuse.

— A propos de… tout ça…

Je l’interromps d’un hochement de tête.

— Je sais. Est-ce qu’on a le temps d’en parler pendant le trajet ? J’ai pas trop envie d’expliquer le mot que j’ai laissé à mes parents tout de suite, soufflé-je.

Ses traits se détendent quelque peu, et l’ébauche d’un sourire se dessine à nouveau sur ses lèvres.

— Bien sûr. On a… le temps.

Il ne m’en dit pas plus, mais je perçois à son expression amusée que le trajet risque de durer. C’est à ce moment-là que je m’en rends compte. Je ne sais ni où nous allons, ni ce que nous allons faire. Je sais seulement que c’est avec Zek que je pars, et cela suffit à faire s’envoler mes doutes. Je lui fais confiance. Infiniment.

Les minutes passent, et nous sommes bercés par le chuchotis de la radio. Je lutte contre le sommeil et tâche de me concentrer sur la route. Aucun doute, nous nous dirigeons vers le sud-est de la France. Les panneaux se succèdent et nous atteignons Marseille après une petite heure de trajet.

Mon regard se perd fréquemment vers les mains de Zek. L’une est posée sur le volant, tandis que l’autre oscille entre sa cuisse droite et le levier de vitesse. Son tee-shirt blanc fait ressortir son bronzage, et sa peau mate conserve ensuite une teinte ensoleillée tout au long de l’année.

Zek tourne la tête vers moi et plante son regard gris dans le mien, une seconde, puis il se reconcentre sur la route. L’intensité de ce simple coup d’œil me redonne de l’énergie, et je décide de me lancer.

— Arlo est passé, hier, tenté-je.

Zek me regarde à nouveau, puis il s’éclaircit la gorge.

— Je sais. Je lui ai demandé un peu d’aide, admet-il. Je serais passé si j’avais pu, mais, tu avais été claire, et j’ai voulu t’écouter.

Je hoche la tête lentement. Son honnêteté me touche plus que de raison. Le fait qu’il ait gardé ses distances à ma demande, qu’il ne soit pas venu malgré sa peine, malgré son envie de s’excuser. Je m’en voudrais presque d’avoir choisi de m’éloigner et de l’avoir blessé, mais c’était ce dont j’avais besoin à ce moment-là.

J’ai l’impression de commencer à stresser, le nœud dans mon estomac se resserre. Cette conversation n’aura rien de très agréable, mais elle doit avoir lieu. J’inspire profondément, cherchant le courage et les bons mots.

— Zoé et toi avez voulu m’aider, et je ne vous en voudrais jamais pour ça, déclaré-je aussi posément que ma voix me le permet.

Zek resserre sa prise sur le volant, mais acquiesce, toujours concentré sur la route.

— Mais… J’ai été blessée de n’apprendre que samedi toutes ces choses de ma vie que j’aurais dû connaître, tout ce que vous auriez dû me dire au moment où vous êtes rentrés à la location. J’avais le droit…

Mon souffle se coupe, tout est sorti d’une traite et j’ai oublié de respirer. J’ai chaud, et l’air qui s’infiltre par les fenêtres entrouvertes siffle dans mes oreilles. Merde. Je veux oublier cet élément de l’histoire. Revenir à la version que je connaissais, à Jules qui m’avait quittée sans un au revoir. Conserver le deuil de notre relation que j’avais bien fini par faire, au bout de quelques mois. Zoé et Zek savaient l’emprise qu’il avait sur moi, et ils ont dû se douter que je pardonnerais les tromperies. Moi-même, je n’en sais rien. Je ne sais pas comment j’aurais réagi.

Je ferme les yeux un instant. Une main rêche mais empreinte d’une douceur infinie se pose sur la mienne, apaisant aussi les tremblements qui la parcouraient quelques instants plus tôt.

— Je suis désolé, Pia, me répond Zek.

Sa voix est rauque, le regret transparaît derrière ces quelques mots qui crient leur sincérité.

— J’ai eu tort. Tu as raison, tout ce que j’ai fait, c’était pour te protéger. C’était pour toi, je te le promets, poursuit-il.

J’observe ses lèvres se pincer un instant, et ses sourcils se froncer. Il jette un œil vers moi, l’air soucieux.

— Mais je te mentirais, si je te disais que c’était l’unique raison pour laquelle je l’ai fait.

Mes doigts s’enroulent désormais autour des siens, dans une invitation à poursuivre son explication. Zek prend une profonde inspiration, et je caresse doucement le dos de sa main avec mon pouce. Il ne le sait peut-être pas, mais ce qu’il s’apprête à me dire n’a pas tant d’importance que ça. Je crois avoir deviné ce dont il s’agit, et tout ce qui m’importe désormais, c’est l’avenir.

— Je… j’ai vu ta vie aux côtés de Jules. Je vous voyais avancer tous les deux, et ce qui s’est passé à Malte, cette porte de sortie, c’était la mienne aussi. Je n’arrivais pas encore à te le dire, mais c’était déjà toi que j’aimais, tu le sais.

C’était déjà toi que j’aimais. La chaleur de ses mots vient se lover dans mon ventre, tout autour de mon cœur, et une larme solitaire roule sur ma joue. Il m’a fallu l’entendre pour savoir à quel point j’en avais besoin.

— Plus les années passaient, plus elles te rapprochaient de l’homme qui allait partager ta vie. Quand j’ai réalisé que Jules allait peut-être prendre cette place, j’ai eu du mal à m’en remettre, bredouille Zek.

— Mais pour autant, avant Jules, tu n’as jamais essayé de me dire tout ça, murmuré-je. Tu t’es concentré sur notre amitié, précisé-je.

Je n’arrive toujours pas à mettre le doigt dessus. Depuis le début de l’été, Zek a justifié sa froideur, toute la distance entre nous, par cette volonté de ne jamais nuire à notre petit groupe d’amis. Même si je peux le comprendre, je ne peux pas m’empêcher de penser que j’avais donc… moins d’importance. Zek semble percevoir mon trouble, puisque mon expression s’est affaissée et que ma voix s’est légèrement durcie.

— C’est le dilemme de ma vie, Pia. Je sais que je ne t’ai jamais trop raconté ce qu’il se passait chez moi… mais Arlo savait, lui. Et sa famille est devenue la mienne.

Je me mords la joue, me remémorant les quelques informations dont je dispose à ce sujet. Arlo m’a confié quelques bribes de l’enfance de Zek qu’il n’arrivait pas à garder pour lui seul, et pourtant, je sais bien que je ne suis pas au courant de tous les détails sordides, des abus qu’il a vécus, tandis qu’Arlo, Zoé et moi étions choyés, entourés d’un amour démesuré.

Zek extirpe sa main de la mienne, et passe une vitesse alors que nous arrivons au niveau d’une gare de péage.

— Et puis tu es arrivée.

Un immense sourire fend à présent son visage. La lumière du petit matin éclaire les boucles brunes qui tombent sur son front, et les larmes brûlent au coin de mes paupières, mais je me force à les contenir, encore un peu.

— Tu étais ce rayon de soleil, la super copine de Zoé qu’elle avait si hâte de nous présenter. Plus j’apprenais à te connaître, et plus je comprenais que ce coup de foudre que j’avais eu était totalement justifié. Je t’ai toujours trouvée incroyable, Pia. Parfaite, s’émerveille-t-il.

Encore un peu.

— Tellement parfaite, que j’ai tout de suite imaginé le pire scénario. Ne me demande pas pourquoi, je réfléchis comme ça depuis que j’ai l’âge de réfléchir, poursuit-il d’une voix morne. Et je me suis dit que s’il avait un jour à choisir entre nous, si on se séparait, Arlo et Zoé te choisiraient.

Personne ne l’avait jamais choisi. Pas même ses parents. Une vague de tristesse me traverse, en imaginant ce petit garçon que je n’ai pas connu, être privé de cette tendresse. Tandis que nous nous apprêtons à reprendre la route après être passés au péage, j’aperçois une aire de repos à quelques mètres de là.

— Tu peux te garer là, s’il te plaît ? demandé-je à Zek en lui indiquant le petit espace vert à notre droite.

J’attends que la voiture soit garée pour me tourner vers lui, détachant ma ceinture d’un geste brusque, comme s’il me fallait m’en débarrasser au plus vite. Zek aussi s’est tourné vers moi, et ce que je lis sur son visage finit de me bouleverser. Il est là. Le petit garçon inquiet, qui a compris que ses parents n’étaient pas comme ceux de ses copains. Celui qui a constamment peur d’être abandonné, qui a cru qu’il ne méritait pas ce qui lui arrivait, car rien de bien ne pouvait venir pour lui.

Je pose une main sur sa joue. Sa barbe naissante pique le bout de mes doigts, et je la caresse doucement. L’instant d’après, ce sont mes lèvres qui viennent se poser sur les siennes, et nous nous abandonnons l’un à l’autre. Notre baiser s’enflamme, sa bouche se délecte de la mienne avec passion, et je savoure ce moment en me rendant compte que personne ne m’a jamais manqué d’une telle façon, si vite et si intensément. Je veux vivre pour nos baisers.

J’entends Zek étouffer un grognement lorsque nos langues se rencontrent, et la tendresse qui primait au départ est aussitôt remplacée par une urgence ardente. Putain, s’il n’y avait pas toute une famille en train de pique-niquer à cinq mètres de nous, je crois que nous serions déjà à moitié nus.

Après quelques secondes, je me détache à regret de notre étreinte, les lèvres gonflées et le souffle court.

— Je te choisirai toujours, Zek. N’en doute plus jamais. Tu ne perdras personne, murmuré-je au creux de son oreille. Je suis à toi.

Alors, je l’enlace tendrement, autant que je le peux dans l’espace confiné de sa voiture, et lorsque nos bras se touchent et qu’il m’enserre à son tour, je n’ai jamais été aussi confiante. C’est là que je dois être. Mais ça ne me suffit pas. Je le sais déjà, moi. Je plonge mes yeux dans les siens, hypnotisée par les filaments argentés qui dansent au fond de ses iris.

— Je t’aime, chuchoté-je.

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